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En 2014, je traînais sur mon ordi, je m’en souviens très bien, quand j’ai senti internet frémir. Une vague qui montait, un brouhaha qui s’amplifiait, puis la frénésie.C’était le celebgate, soit la fuite massive de photos de stars à poil. Ça a duré plusieurs jours, avec de nouveaux dossiers de photos qui apparaissaient.
Si vous étiez sur votre ordi à ce moment-là, vous avez été face à deux choix possibles. Chercher à aller voir lesdites photos –ce qui était moralement très vilain et très banal–, soit faire le choix du bien et s’abstenir –et apparaître pour une espèce de surhumain.
Condamnés pour piratage, pas pour diffusion
Que s’est-il passé depuis? Ce mois-ci, George Garofano, 26 ans, habitant du Connecticut, a plaidé coupable pour le celebgate. C’est le quatrième inculpé dans l’affaire. En octobre dernier, Ryan Collins, 36 ans, a plaidé coupable pour obtenir un accord avec le procureur et a été condamné à dix-huit mois de détention dans une prison fédérale. Idem pour Edward Majerczyk, 29 ans, résident de Chicago, qui a plaidé coupable et été condamné à neuf mois de prison. Emilio Herrera, 32 ans, attend son jugement.
Ils avaient tous procédé grosso modo de la même manière: ils avaient envoyé des mails à leurs victimes en se faisant passer pour la branche sécurité d’un service web et en demandant identifiants et mots de passe (ne jamais répondre à ce genre de requête, vous le savez). À partir de là, ils accédaient à tous les comptes en ligne et ont pu télécharger les photos et vidéos stockées dans le «cloud» (nombre de téléphones font des sauvegardes automatiques du contenu de vos appareils dans ce nuage informatique). Mais George Garofano est le seul accusé pour lequel l’enquête pouvait prouver qu’il avait partagé les mots de passe et du contenu volé avec d’autres personnes. Tous les autres ont seulement été condamnés pour piratage, pas pour diffusion.
Ce qui amène à s’interroger sur la responsabilité individuelle. Imaginons qu’à l’époque, vous ayez été voir ces photos délibérément. Imaginons même que vous les ayez enregistrées pour les partager avec des potes, ou simplement que vous ayez envoyé les liens où se trouvaient les photos (tout cela est évidemment pure fiction). Quel est votre degré de culpabilité?
«Quiconque a regardé ces images commet une agression sexuelle»
À l’époque, Jennifer Lawrence, qui faisait partie des victimes, avait déclaré dans une interview à Vanity Fair:
«Quiconque a regardé ces images commet une agression sexuelle. Vous devriez vous recroqueviller de honte. Même des gens que je connais et que j'aime disent “Oh, ouais, j'ai regardé les photos”. Je ne veux pas me fâcher, mais en même temps, je ne vous ai pas dit que vous pouviez regarder mon corps nu.»
À l'époque, on y avait majoritairement vu une réaction disproportionnée, liée à la violence de ce qu’elle venait de vivre. Et si elle avait simplement raison? Et si c'était effectivement une forme d'infraction sexuelle?
1.004 ados inculpés au Danemark
Cette semaine, on a découvert une autre affaire au Danemark, dans laquelle les autorités rejoignent l'analyse de Jennifer Lawrence. Une photo et deux vidéos privées (comprendre sexuelles) qui mettaient en scène deux ados de 15 ans consentants (un garçon et une fille) a circulé à travers Facebook Messenger. Facebook a prévenu les autorités américaines, qui ont prévenu Europol, qui a prévenu le Danemark. Et la police a décidé d'en faire un exemple, pour que les jeunes comprennent qu’il ne faut jamais partager du contenu sexuel volé.
Résultat: inculpation des 1.004 personnes, âgées de 15 à 20 ans, qui avaient partagé la vidéo (on apprend qu’environ 800 étaient des garçons). Les peines pourraient aller d’une amende à une peine de prison avec sursis. C'est une énorme opération, qui a demandé beaucoup de temps, mais la police explique qu'il était important d'envoyer un message clair.
Ce qui m’inspire plusieurs réflexionnettes en désordre:
- Si tous les gens qui ont partagé des photos du celebgate avaient dû payer une amende, quel montant ça aurait fait?
- Combien de parents ont déjà pensé à dire à leurs gamins: «au fait, il ne faut pas partager, propager ce genre de photos et vidéos»?
- On est quand même très lents à réfléchir à nos pratiques (et je m’inclus totalement dedans).
- On vit encore dans une société où on humilie des femmes sur la base de leur activité sexuelle (et ça, c’est du vrai puritanisme). Mais même si un jour on en sort, il n’en demeure pas moins que le consentement est nécessaire.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq. Pour vous abonner c'est ici. Pour la lire en entier: