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Pendant la première année de son mandat, le président des États-Unis Donald Trump s’est montré de plus en plus inflexible vis-à-vis du président du Venezuela Nicolás Maduro. Washington a renforcé ses sanctions contre Caracas et a même envisagé une intervention militaire pour faire chuter le dirigeant vénézuélien. Douze mois après le début de son mandat, Maduro semble encore plus accroché au pouvoir et l’opposition vénézuélienne plus divisée que jamais.
La politique des États-Unis envers le Venezuela est fondée sur une série d’inexactitudes. La plus sérieuse et courante d’entre elles est l’idée selon laquelle le Venezuela est une dictature totalitaire. Bien que Maduro ait fait beaucoup de choses qui portent atteinte à la démocratie, le Venezuela n’est pas la Corée du Nord. Le Venezuela n’est pas une autocratie tyrannique, mais une société divisée et polarisée.
Les recherches sur l’opinion des Vénézuéliens indiquent qu’il existe un soutien fort et profond au chavisme, le mouvement créé par le leader populiste Hugo Chávez (aujourd’hui décédé), parmi de larges parties de la population. De nombreux électeurs continuent d’accorder au crédit de Chávez la redistribution des richesses pétrolifères du pays via des programmes sociaux, ainsi que d’avoir donné une voix aux pauvres dans la vie politique du pays. Près d’un quart des Vénézuéliens soutiennent le successeur de Chávez, Maduro –ce qui est beaucoup vu l’état de l’économie– et la moitié considèrent que Chávez était un bon président. Des élections régionales récentes ont montré que la coalition gouvernementale est capable de mobiliser près de six millions d’électeurs pour soutenir ses candidats, c’est-à- dire un tiers de la population adulte du pays –plus que nécessaire pour gagner une élection à fort taux d’abstention.
Le prédident Maduro | Federico Parra / AFP
Des sanctions inefficaces
En plus de mal analyser le climat politique du pays, les responsables américains semblent également convaincus que le dirigeant ne pourra quitter le pouvoir que contraint par la force. Les sanctions économiques sont ostensiblement destinées à augmenter les coûts pour l’armée, et supposées stimuler une rébellion contre Maduro. Cette approche malavisée vient d’une mauvaise compréhension des dynamiques internes du gouvernement et une foi excessive en l’efficacité des sanctions en tant qu’outil pour précipiter un changement de régime.
Des recherches universitaires importantes ont démontré que les sanctions économiques sont rarement efficaces. Quand elles fonctionnent, c’est souvent en proposant au régime sanctionné des incitations à trouver une solution en modifiant la conduite ayant mené à l’imposition de sanctions (par exemple le gel du programme nucléaire iranien en échange de l’accès au commerce international).
Par contraste, les sanctions contre le Venezuela ont acculé le régime, et ont rendu tout retrait du pouvoir plus difficile pour le gouvernement tout en incitant Maduro à s’obstiner. Encore plus problématique est l’idée selon laquelle des sanctions financières peuvent mettre à mal le gouvernement vénézuélien sans nuire sérieusement aux Vénézuéliens ordinaires. Cela n’est pas possible dans un pays où 95% des revenus des exportations viennent du pétrole vendu par la compagnie pétrolière dont l’État est propriétaire. Empêcher le gouvernement d’avoir accès à ces dollars signifie aussi priver l’économie des ressources financières avec lesquelles payer les importations de nourriture et de médicaments. Priver l’économie vénézuélienne de ses revenus issus de l’étranger risque de transformer la crise humanitaire actuelle dans le pays en catastrophe humanitaire de grande ampleur.
Le Venezuela croule sous les dettes
C’est ce qui a commencé à arriver en 2017. L’an dernier, les exportations vénézuéliennes sont passées de 28 à 32 milliards de dollars sous l’influence de la remontée des cours mondiaux du pétrole. Dans des conditions normales, l’augmentation des exportations d’un pays lui permettrait de bénéficier de plus de ressources pour importer. Mais dans le cas du Venezuela, les importations ont chuté de 31% au cours de la même année parce que le pays avait dans le même temps perdu accès aux marchés financiers internationaux.
Le pays a dû constituer d’immenses surplus pour continuer à rembourser sa dette et tenter désespérément d’éviter de faire défaut. Dans le même temps, les créditeurs menaçaient de faire saisir les sources de revenus restant du gouvernement vénézuélien, notamment des raffineries situées à l’étranger et des paiements d’exportations de pétrole.
Les sanctions américaines ont empêché le Venezuela de contracter de nouvelles dettes et ont bloqué ses tentatives de restructuration de ses obligations de dettes existantes. Les institutions financières importantes ont retardé le traitement de tous les transferts financiers de la part d’entités vénézuéliennes, limitant significativement la capacité des entreprises vénézuéliennes à faire des affaires aux Etats-Unis. Même Citgo, une filiale appartenant au Venezuela qui possède 4% des capacités de raffinage des États-Unis, n’a pas été capable depuis l’imposition des sanctions d’obtenir des institutions financière états-uniennes des crédits commerciaux pourtant très classiques.
Les sanctions déstabilisent aussi l'opposition
Depuis la guerre du Vietnam, la plupart des responsables politiques aux États-Unis ont compris que la politique étrangère ne consiste pas à avoir de plus gros canons que ses adversaires mais aussi à gagner les cœurs et les esprits. Mais 56% des Vénézuéliens sont opposés aux sanctions financières des États-Unis et seuls 32% les soutiennent. Quant à une intervention militaire étrangère au Venezuela, 57% des sondés y sont opposés quand 58% soutiennent le dialogue entre le gouvernement et l’opposition et 71% pensent que ces discussions devraient se concentrer sur la recherche de solutions aux problèmes économiques du pays.
Les Vénézuéliens ont de bonnes raisons de craindre que les gens ordinaires paieront le prix des sanctions. Des données récentes démontrent que deux mois après l’imposition de sanctions financières par Trump, les importations s’écroulaient de 24% de plus, aggravant la pénurie en produits de base et donnant donc de la crédibilité à l’argument du gouvernement selon lequel les mesures états-uniennes nuisent directement aux Vénézuéliens.
Au lieu de déstabiliser Maduro, les sanctions font qu'il est de plus en plus difficile à l’opposition de convaincre les électeurs que sa véritable priorité est le bien des Vénézuéliens et non la chute de Maduro. Ce n’est pas la première fois que l’opposition a fait cette erreur.
Manifestation contre la pauvreté | Federico Parra / AFP
En 2002, les opposants au président Chávez avaient appelé à une grève massive dans le secteur pétrolier. La grève avait fait chuter la production de pétrole et entraîné une récession majeure qui devait pousser Chávez à démissionner. Cet événement avait convaincu les Vénézuéliens qu’ils ne pouvaient pas faire confiance à un mouvement politique qui était prêt à détruire l’économie pour accéder au pouvoir. Lors d’un référendum anticipé organisé deux ans plus tard, les électeurs avaient largement soutenu Chávez.
Les États-Unis et l’opposition anti-Maduro ne gagneront pas les cœurs et les esprits des Vénézuéliens s'ils contribuent à détruire l’économie du pays.
Maduro doit quitter le pouvoir de la même façon qu’il y est arrivé: par le vote
Si le président des États-Unis veut montrer qu’il se soucie du sort des Vénézuéliens, il pourrait commencer par aider ceux qui sont les plus affectés par la crise. Étendre le statut de migrant protégé aux États-Unis et soutenir les pays voisins qui font face à l’augmentation de l’immigration vénézuélienne serait un début, tout comme soutenir des organisations apolitiques qui ont réussi à apporter de l’aide au pays, telles que le Programme de Développement des Nations Unies.
Les États-Unis devraient également soutenir les négociations destinées à rendre possible la coexistence des factions politiques du pays plutôt qu’à encourager le remplacement d’une d’entre elles par une autre.
Comme tout un chacun, je voudrais que Maduro parte. La gestion catastrophique de l’économie par son gouvernement est la principale (mais pas la seule) cause de la crise économique la plus grave de l’histoire de l’Amérique latine. L’annulation de la majorité aux deux tiers obtenue par l’opposition à l’Assemblée nationale au moyen d’accusations sans fondement d’achat de voix a été une attaque contre la constitution du pays et le catalyseur des tensions politiques qui ont mené à la mort de plus 100 personnes lors des manifestations l’an passé. Il y a des preuves abondantes des sérieuses atteintes aux droits de l’homme ayant eu lieu lors de ces manifestations, ce qui mérite une enquête internationale pour déterminer la complicité potentielle de personnes haut-placées dans le gouvernement.
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Mais pour les raisons mêmes pour lesquelles je suis opposé à Maduro, je suis également fermement en désaccord avec l’appel du président Trump et de certaines voix dans l’opposition à une intervention militaire étrangère au Venezuela. Que cela nous plaise ou non, Maduro est actuellement président du Venezuela parce qu’il a remporté une élection dont le résultat a été reconnu par la communauté internationale. Même si Maduro était contraint à démissionner, il serait alors remplacé par son vice-président, qui pourrait lui-même nommer un autre vice-président, qui pourrait reprendre son poste si lui-même devait démissionner... Même un examen rapide de la constitution vénézuélienne montre que l’Assemblée nationale ne peut pas nommer un nouveau président. Mener une opération militaire pour remplacer un président élu dans le cadre de la constitution par un autre nommé inconstitutionnellement serait une violation encore plus grave de la loi vénézuélienne que tout ce dont les régimes de Chávez et Maduro ont pu être accusés.
Maduro doit quitter le pouvoir de la même façon qu’il y est arrivé: par le vote des Vénézuéliens. Le Venezuela doit organiser de nouvelles élections présidentielles cette année. Plutôt que d’encourager la chimère d’invasions militaires ou de coups d’État, la priorité absolue de l’opposition vénézuélienne devrait être de convaincre les électeurs qu’elle saura mieux diriger le pays. Trump et son administration doivent arrêter de rendre cette tâche-là plus difficile.