Culture

Le rap doit-il rester un truc de jeunes?

Les rappeurs stars sont nombreux à professer que leur musique est faite pour les moins de 35 ans. Moi-même, avec la quarantaine approchant, les sentiments pour ce vieil amour se sont étiolés. Les retrouvailles avec un ami de vingt ans m'ont pourtant fait changer d'avis.

<a href="https://www.flickr.com/photos/mathyscresson/16450653940/in/photostream/">En concert</a> | Mathys Cresson via Flickr CC <a href="https://www.flickr.com/photos/mathyscresson/">License by</a>
En concert | Mathys Cresson via Flickr CC License by

Temps de lecture: 13 minutes

J’ai rencontré Landry à la rentrée de première. Lui comme moi ne connaissions personne, moi pour avoir redoublé ma seconde, lui pour arriver d’un autre lycée. J’avais passé l’été précédent à Los Angeles et, ce jour-là, je portais une casquette «Long Beach». Alors, de loin, il a crié «Long Beach» comme un signe de ralliement.

Cette casquette, qui aurait pu n’être que le simple vestige malavisé de vacances californiennes, signifiait pour lui que j’écoutais du rap. Il aurait pu se tromper. En 1995, dans un lycée de province, écouter du rap n’était pas quelque chose d’ordinaire.

Le rap, ma vie, ma drogue

Il ne s’était pas trompé. Dans son esprit comme dans le mien, le sigle sur ma tête marquait notre identification commune à Snoop Dogg, Warren G ou au Dogg Pound, tous originaires de la ville portuaire du sud de Los Angeles.

Ce sigle, il était répété à foison dans The Chronic, Doggystyle ou Regulate... G Funk Era, des albums que j’écoutais alors en boucle.

Grâce à lui, nous nous étions trouvés. Les discussions infinies sur ces albums –et bien d’autres– scelleront notre amitié. Elle rentrera dans la légende le jour où nous déciderons de créer un groupe de rap pour, à notre tour, adolescents rebelles de classe moyenne, devenir les nouveaux Dr Dre et Snoop Doggy Dogg.

À cette époque, le rap, c’est ma vie, ma drogue. J’en avais dans les oreilles en permanence. Dans mon walkman entre chaque cours au lycée ou dans ma stéréo pendant les devoirs. Nous sommes au milieu des années 1990, le genre vit son âge d’or. Les classiques s'enchaînaient dans les bacs et tout mon argent de poche y passait. J’étais jeune, naïf et passais des heures dans ma chambre à écrire des textes et d’autres à m’entraîner à les rapper sur des instrus de Mobb Deep, Raekwon ou Royal Flush.

Pourtant, vingt ans plus tard, alors que je viens de fêter mes 39 ans, le rap est très loin d’avoir l’importance qu’il avait autrefois dans ma vie. J’ai depuis longtemps résilié mon abonnement à The Source, je ne visite (presque) jamais de sites spécialisés et le seul rap que j’écoute beaucoup et régulièrement est celui de mon adolescence et des premières années de ma vie d’adulte. Il peut m’arriver de m'enthousiasmer pour des jeunes rappeurs comme Vince Staples ou Joey Bada$$ mais l’opportunité a, depuis longtemps, pris la place de l’assiduité.

«Mieux avant»

Depuis que j’ai passé la trentaine, je suis rentré dans cette catégorie de gens avec un loyer et des impôts à payer qui, dans un moment de faiblesse, peuvent dire des choses comme «le rap c’était mieux avant» et «tous ces petits jeunes n’ont aucune culture et auraient du rester un peu plus longtemps à l’école» quand ils tombent, au détour d’une playlist Spotify, sur des punchlines comme «T'as beau faire du MMA / Nous, c'est zéro blabla / Zéro tracas comme MMA» ou «Déterminé j'tire pas sur les pigeons / J'te monte au nez #moutarde de Dijon».

Quand j’entends ces phrases peu inspirées, les sons trap de Kaaris et Gradur ou les flows chantés et auto-tunés de PNL et Niska, je ne suis pas loin, finalement, d’être devenu mon père qui me disait, il y a vingt ans –en ouvrant la porte de ma chambre avec les enceintes crachant «Shook Ones Pt.II» ou «Bring The Pain»–, ne rien comprendre au «boum boum» de cette musique «répétitive» «où tout se ressemble».

J'étais atteint du syndrome décrit par Chris Rock dans son mythique sketch sur le rap:

«Vous savez, j’ai 39 ans maintenant. Et j’adore toujours autant le rap. J’adore le rap. Mais je suis fatigué de le défendre. Parce que vous devez le défendre. Les gens disent toujours: “ce n’est pas de la musique, ce n’est pas de l’art, c’est de la merde! Comment tu peux écouter cette merde?” Et à l’époque, c’était facile de défendre le rap. C’était facile de le défendre à un niveau intellectuel. Vous pouviez expliquer, intellectuellement, pourquoi Grandmaster Flash était de l’art, pourquoi Run DMC était de l’art, pourquoi Whodini était de l’art. Et j’adore tous ces rappeurs d’aujourd’hui, mais c’est difficile de défendre cette merde. C’est dur. “I got hoes in different area codes[“j'ai des salopes dans tous les départements”, punchline d'un titre de Ludacris, ndlr], c’est difficile à défendre.»

Je ne m’identifiais plus à Riggs qui voulait tout faire péter dans L’Arme Fatale. Je m’identifiais au «trop vieux pour ces conneries» Murtaugh.

Retraite à 35 ans

Je devais peut-être me faire une raison: le rap était une musique de jeunes pour les jeunes. Et je ne l’étais plus. Un fait que les rappeurs eux-mêmes ont intégré. En 2012, alors qu’il était âgé de 26 ans, Drake avouait par exemple dans une interview à i-D qu’il ne pensait pas continuer à rapper après 35 ans.

«Je ne sais même pas si je continuerai à faire du rap. Je ne sais pas combien de temps j’ai envie de faire du rap. Il y a des artistes qui ont plus de 35 ans et qui font toujours du rap et ça marche pour eux, mais je ne sais pas si je suis cette personne. Une grande partie de ma musique parle d’être jeune et je ne sais pas si je serai capable de continuer à faire ça à cet âge. Peut-être que je ferai du cinéma. Mon plan est de faire de la musique aussi longtemps que je peux. Jusqu’à ce que l’histoire de Drake arrête d’avoir l’impact qu’elle a pu avoir. Et à ce moment là, je trouverai ma voie ailleurs.»

Même son de cloche chez le jeune rappeur d’Atlanta, Young Thug, qui disait à GQ en 2015 qu’il «ne voulait pas rapper pour toujours».

«Je ne veux pas être un mec de 50 ans qui rappe. Je suis à peu près sûr que personne ne veut ça. Je suis à peu près sûr que Jay-Z ne veut pas rapper en ce moment. Si tu as 30 ou 40 ans, tu n’es pas écouté par les mineurs. C’est vrai que Jay-Z a les paroles les plus dingues jamais écrites, mais jamais je n’achèterai ses CDs. Juste à cause de mon âge et de son âge. Quand je serais aussi vieux, je ne ferai pas ce qu’il fait.»

D’ailleurs, Jay-Z lui-même avait annoncé, quelques mois avant ses 35 ans, qu’il renonçait au rap et prenait sa retraite après la sortie de son huitième album, The Black Album. Il est depuis revenu sur sa promesse avec cinq albums supplémentaires.

Jay-Z, le rappeur devenu hommes d'affaires

Mais la musique est-elle encore vraiment ce à quoi on pense en évoquant le rappeur de Brooklyn? À 47 ans, il rappe sur la paternité, la fidélité et l’importance de la stabilité financière –«You wanna know what's more important than throwin' away money at a strip club? Credit» («Vous voulez savoir ce qu'il y a de plus important que de claquer de l'argent dans un strip club? Un solde créditeur»), dit-il dans la chanson «The Story of O.J.».

Pas forcément le genre de choses qu’on a envie d’entendre quand on a 15 ans et que la seule chose qui nous intéresse vraiment est de ne SURTOUT rien faire comme ses parents.

Quant à mon moi de 39 ans qui galère avec ses factures, il n'a pas forcément envie non plus d’entendre la crise de la cinquantaine d’un milliardaire qui raconte à quel point il est désolé d’avoir trompé une des femmes les plus belles et admirées au monde.

Le rappeur est devenu un homme d’affaires. Il s’est reconverti. Il passe derrière le micro régulièrement, mais il le fait pour entretenir une flamme qui ne doit sa vivacité qu’à la grâce d’une vie maritale très médiatique et d’un empire financier qui couvre des domaines aussi variés que le streaming musical, le champagne, les cigares, les jets privés, les bars sportifs, le management ou l’immobilier.

D’ailleurs, quand il annonce en fanfare que son dernier album 4:44 est certifié double disque de platine en cinq jours aux États-Unis, c’est en fait uniquement à la faveur d’un deal avec un opérateur téléphonique (gros actionnaire de Tidal, sa société de streaming), qui a offert l’album à ses millions de clients.

Et on pourrait écrire plus ou moins la même chose de Dr. Dre, qui n’est pas devenu le premier rappeur milliardaire grâce aux ventes de son très attendu troisième album mais par la vente à Apple de sa marque d’écouteurs.

Comme l’écrivait Boris Bastide sur Slate.fr à la sortie de l’album:

«Il y a encore quelques temps, une telle sortie aurait été l'événement hip-hop de l'année. Aujourd'hui, elle tient plus du miracle inespéré. [...] Si Compton est une vraie réussite, il ouvre peu de portes. En tout cas, on peine à lui imaginer une riche descendance. En seize ans, un changement de perspective s'est opéré. Plutôt que de regarder vers le futur (2001 est sorti en 1999, souvenez-vous), Dr. Dre a commencé à se retourner vers son passé.»

Reconversions en série

Avec l’âge, ces rappeurs que j’ai tant écoutés adolescent se diversifient et ne pensent plus le rap comme une nécessité. Malgré la musique qui continue à sortir plus ou moins régulièrement, ils sont passés à autre chose.

Ainsi, peu importe qu’il soit resté vivre dans son quartier de Staten Island, Method Man, 46 ans, fait désormais plus parler de lui comme acteur de la série The Deuce que comme membre du Wu-Tang Clan, laissant baggies et Timberland au vestiaire pour apparaître dans les talk-shows.

LL Cool J est, lui, à 50 ans, l’animateur de l’émission Lip Sync Battle, en plus d’être le héros de la série NCIS: Los Angeles depuis 2009. The Roots ambiancent le plateau du Tonight Show de Jimmy Fallon, tous les soirs sur NBC. Quant à Ice T, dix ans après avoir fait la une de tous les médias pour sa chanson scandale «Cop Killer», il se mettait à jouer un flic dans la série New York Unité Spéciale, un rôle qu’il joue depuis presque vingt ans.

Un destin pas si éloigné de Joey Starr –qui le doublait en VF dans New Jack City–, nommé aux César en 2012 pour son rôle de flic sensible dans Polisse.

Le rap français n’échappe en effet pas à la règle. Quand il y a, pour les plus médiatiques, des possibilités de se recaser en télé-réalité (La Fouine et Youssoupha dans Popstars, JoeyStarr dans Nouvelle Star et 60 Jours, 60 Nuits), au cinéma (Stomy Bugsy, Doudou Masta…), dans la littérature (MC Jean Gab’1), la loi (Cochise) ou le poker (Kool Shen), c’est souvent la retraite plus ou moins forcée qui attend la plupart des rappeurs, à l’image de Sinik reconverti dans le tatouage ou Fabe dans la religion.

Un acharnement de vingt ans

Landry, lui, n’a jamais abandonné. Quand j’ai réalisé –très rapidement– qu’on ne pouvait pas s’improviser rappeur, que cela nécessitait une technique et un talent que je n’avais pas, Landry a continué. La technique et le talent, il les avait. Il les a eus immédiatement. Sans beaucoup de travail. Ce que je pouvais apporter sur les pages d’un cahier, lui, il pouvait l’apporter au micro. Il fallait désormais l’appeler Freez.

À 20 ans, il fait ainsi partie de la Baraka, un groupe de 8 MCs que les plus assidus reconnaîtront au célèbre refrain «Baraka quoi quoi!». Il passe d’open mic en open mic, où il rencontre un autre rappeur, Emoaine, avec qui il forme le groupe Stamina au milieu des années 2000. Suivront une apparition sur la compilation Appelle-moi MC en 2010 et deux albums, Les Règles de l’art en 2011 et Prison(s) de verre en 2013. Tout, de la musique jusqu’aux visuels, est alors fait en artisanal, avec les amis et les moyens du bord.

«Les Oursins Productions, ça vient du fait qu’on n’a vraiment pas de thune! C’est avec notre statut associatif qu'on organise nos concerts. Cet album est en total indépendant, contrairement au premier qui était en coproduction. C’est vraiment un album artisanal, familial. Il n’y a pas de placement de noms de middle vague ou old school, pas la sensation des six derniers mois en featuring», disaient-ils au Bon Son, en 2013.

Pendant vingt ans, le succès n’a jamais frappé à la porte. Il n’a jamais signé en major et n’est jamais passé sur Skyrock. Et pourtant, malgré la trentaine largement dépassée, il continue, inlassablement, et vient de se lancer dans la plus ambitieuse et dangereuse des aventures musicales, celle de la carrière solo.

Atouts de l'expérience

À 37 ans, il vient ainsi de sortir son premier EP, le magnifiquement produit Les Minutes Vides. Difficile d’imaginer ce futur, à 15 ans, quand on échangeait dans la cour de notre lycée sur ce qu’on avait écrit et qu’on luttait pour sortir de l’ordinateur familial sous Windows 95 un son qui ne ressemblerait pas à un groupe de reprises de Kraftwerk en fin de vie.

Car là où j’ai toujours vu mon âge comme un frein –voire un rempart– à mon amour du rap, lui le voit plus comme un atout, une façon de se singulariser, de faire valoir son expérience et son savoir, comme il me le racontait récemment:

«Je fais une radio à Montreuil. Généralement, les mecs ne savent pas que j’ai 37 balais. Ça ne se voit pas forcément. Je pensais faire une interview sur mon truc, mais en fait il y avait plein de monde dans la pièce, plein de jeunes. L’animateur me dit alors de venir au micro. Je rappe et il y a deux-trois mecs, un groupe de Montreuil –ils devaient avoir genre 21 ans–, qui me disent après: “mais t’as quel âge, gros, en fait?” Je leur dis que j’ai 37 piges et il me font: “ah ouais, parce que je te vois arriver tout à l’heure et tout et je t’ai entendu parler et c’était pas le même délire. On dirait qu'il est plus vieux.” Il y a cette singularité qui se dégage dans la façon dont tu parles, dont t’écris. J’espère juste qu’ils ne se sont pas dit que quand je rappe, c’est “à l’ancienne”!»

Le rap est un art qui ne s’improvise pas. Si on l’a souvent comparé au punk pour les moyens limités que sa pratique nécessitait, il n’a jamais été question de ne savoir jouer que trois accords sur une guitare (le fameux «This is a chord, this is another, this is a third. Now form a band»).

Il fallait une technique, une façon de poser sa voix et ses mots sur un rythme. Il fallait également une écriture. Et n’en déplaise à Christophe Barbier, la coordination des deux est loin d’être simple et, même avec un talent inné, le succès ne se trouve que dans le travail acharné et l’expérience.

Récemment, en livrant un freestyle anthologique de dix minutes en direct de HOT 97, sans fausses notes et sans aucune interruption, Tariq Trotter alias Black Thought, le rappeur des Roots âgé de 46 ans –que les plus jeunes ne connaissent qu’en épisodique figure du Tonight Show de Jimmy Fallon– l’a démontré de la plus impressionnante des façons.

Juste avec beaucoup de sueurs et un flow de mots (2.102 exactement) où sont référencés pêle-mêle Socrate, Jules César, F. Scott Fitzgerald, Icona Pop, Henry Kissinger, Voltaire, Kim Kardashian, Apollo 11, Padma Lakshmi ou Hamlet. Des mots qui ne doivent leur salut qu’à l’expérience du rappeur, à sa culture et un art pratiqué, comme Landry, depuis ses quinze ans.

Un an auparavant, sur cette même radio HOT 97, le contraste était saisissant quand le très en vogue jeune rappeur de 22 ans, Lil Uzi Vert, lui aussi originaire de Philadelphie, refusait en direct de se lancer dans un freestyle sur une instru de DJ Premier, le mythique DJ/Producteur new-yorkais. «Je suis trop jeune. Je ne suis pas dans ce genre de sons», se défendait-il devant l'insistance du DJ.

Pas de compromis

En réécoutant Freez sur mon CD un peu poussiéreux de La Baraka, sorti en 2000, je mesurais justement son incroyable progression en terme de technique et d’écriture. Je mesurais aussi qu’il ne les avait jamais compromis. Jamais il n’avait trahi ce son sur lequel nous avions tant bougé la tête à 15 ans. Jamais il n’avait dilué ce son dans des guitares acoustiques. Jamais il n’avait tenté la trap, le slam ou le rap comique. Jamais il ne s’est inventé une réputation de gangster. Jamais il n’avait fait de consensus sur son écriture pour passer plus facilement chez Ruquier ou Drucker. Jamais il était devenu ce «poète urbain», ce «nouveau Brassens» qui aurait fait saliver Télérama.

C'est ce que disait déjà Lino, le légendaire rappeur d’Arsenik âgé de 41 ans et revenu en 2015 –après dix ans d’absence– avec un deuxième album solo qui ne reculait devant strictement rien et se hissait à la deuxième place du Top Albums dès la semaine de sa sortie, détrônant le beaucoup plus consensuel Black M:

«Je m'en fous que mon son ne plaise pas à la ménagère de moins de 50 ans. Si elle kiffe, tant mieux, mais j'ai pas cherché ça. J'ai conscience de ce que je fais et de la limite de ce que je fais. Si j'avais ouvert ma musique au max et que je plafonne, là ok, je pourrais être aigri genre “merde, j'ai fait toutes les concessions possibles, pourquoi ma musique passe pas?”. Mais là non, je fais ma musique comme moi j'ai envie de l'entendre. Ça passe ou ça casse.»

Pour la première fois de sa déjà longue carrière dans l’underground, Freez réussissait à être remarqué, à attirer l’attention d’une presse moins spécialisée qu’il n’arrivait pas à toucher auparavant. Elle était donc peut-être là la recette pour bien vieillir dans le rap: ne pas se compromettre, continuer à travailler avec passion et assumer –son âge, ses rides, son expérience, sa culture et d’être à contre-courant d’une jeunesse qui semble, en apparence, dicter la règle du jeu.

Seul coupable

«Je suis sûr qu’il y a un public pour un rap pur», me confiait-il, me faisant réaliser par la même occasion que j’avais tort. Si j’avais perdu foi dans le rap, ce n’était pas à cause d’une jeunesse dans laquelle je ne me reconnaissais pas mais à cause de mon propre manque de curiosité, celle-là même sur laquelle s’était bâtie notre amitié. J’étais en fait le seul coupable.

Quand Freez me disait «écouter tout ce qui se fait» et l’importance «d’être à jour», il me faisait réaliser que ces dix dernières années, je m’étais laissé berner par ce que les médias, en quête constante de jeunesse et de nouveautés, avaient bien voulu me faire avaler.

Je leur avais laissé la porte ouverte pour venir me vendre PNL, Gradur, Migos, Lil Uzi Vert et les autres comme les seules alternatives aux Sages Poètes de la Rue, Public Enemy, Mobb Deep et Method Man. J’avais arrêté d’être curieux. J’avais arrêté de chercher, de sonder. Comme ton vieux papy réac qui gueule sur les immigrés et les féministes, j’avais transposé mon refus de vieillir sur les autres.

Alors, ces derniers jours, j’ai cherché. J’ai écouté les conseils de Freez. Car comme disait JP Manova, un rappeur qui –malgré des débuts à l’orée des années 90– a lui aussi récemment sorti à 37 ans son premier album, 19h07:

«Si t'es saoulé par le rap de teenagers / Fatigué d'entendre piailler les bandes de yorkshires / Des rappeurs conscients qui t'font la leçon par cœur / Des gangsters foireux qui s'imaginent te faire peur / Je te propose un courant alternatif.»

S'il y en avait deux susceptibles de me faire retrouver l’amour de mes 15 ans, c'était bien ces deux-là. Je devais peut-être faire un peu plus d’efforts pour les trouver. Après tout, à 15 ans, sans Spotify, sans passages radio ou télé, j’y arrivais. Alors pourquoi pas à 39? Ils sont là. Ils existent. Car, jeunes ou vieux, comme le disait Nas, «All I need is one mic, one beat».

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