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Les mauvais garçons sont-ils de retour dans le tennis?

À l'Open d'Australie, qui s'ouvre le 15 janvier, la performance du tennisman local Nick Kyrgios sera scrutée avec attention. Et plus encore son comportement, réputé assez explosif.

Nick Kyrgios lors de l'Open de Chine à Pékin, le 7 octobre 2017 | Nicolas Asfouri / AFP
Nick Kyrgios lors de l'Open de Chine à Pékin, le 7 octobre 2017 | Nicolas Asfouri / AFP

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Gagner un tournoi du Grand Chelem est une prouesse, le faire à domicile est un tour de force d’une autre dimension. Alors que Yannick Noah attend son successeur au palmarès de Roland-Garros depuis 1983, les Australiens doivent patienter depuis plus longtemps encore, aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

Chris O’Neil, en 1978, reste la dernière lauréate du cru s’étant imposée à l’Open d’Australie. Côté masculin, il faut remonter à 1976 avec Mark Edmondson.

Depuis, des champions australiens de l’envergure de Pat Cash, Lleyton Hewitt et Patrick Rafter –vainqueurs de cinq titres du Grand Chelem à eux trois– se sont tous cassé les dents à Kooyong ou sur les courts de Melbourne Park, où s’est installée l’épreuve voilà exactement trente ans. Rien à faire, si ce n’est constater leur échec, devant un public national qui attend toujours l’oiseau rare.

Un personnage qui intrigue

Au moment où commence l’édition 2018 du premier tournoi majeur de la saison, un homme s’avance en pleine lumière: Nick Kyrgios, 22 ans, originaire de Canberra, 17e mondial et vainqueur du premier tournoi de la saison, à Brisbane, il y a quelques jours.

Dans un tableau où Rafael Nadal et Roger Federer sont les deux premières têtes de série, il n’est pas question, bien sûr, d’en faire l’un des favoris incontournables à Melbourne, d’autant que l’Australien –au genou gauche fragile ces derniers temps et à la hanche épisodiquement douloureuse– est plutôt du genre imprévisible, capable de perdre au premier tour en envoyant tout balader.

Tandis que le tennis n’en finit plus de célébrer la classe et les bonnes manières de Nadal et Federer –auxquels doivent être associés Novak Djokovic et Andy Murray– à l’éducation et à la tenue parfaites, il s’est trouvé en Kyrgios un «mauvais garçon», un personnage qui intrigue et fait même un peu fantasmer. 

C’est l’une des contradictions de ce sport, qui n’a peut-être jamais eu de personnalités aussi fortes qu’aujourd’hui, mais qui réclame un peu de sang neuf et si possible, pour le spectacle, des têtes brûlées qui ne manqueront pas d’être condamnées par la vox populi à la première incartade.

Une longue liste de «méfaits»

Quart de finaliste à Wimbledon en 2014, dès l’âge de 19 ans, Nick Kyrgios a depuis suivi une trajectoire pour le moins accidentée, faite de coups d’éclat, dans le bon et le mauvais sens du terme.

Il a battu Rafael Nadal et Novak Djokovic à deux reprises et il a bien failli dominer Roger Federer une deuxième fois à Miami, en 2017, lors d’une rencontre qui a été l’un des sommets de la saison écoulée. Mais sa détermination a été souvent prise en défaut et ses propos déroutants ont régulièrement questionné ses ambitions.

Sa vulgarité a même parfois affleuré, comme à Montréal, en 2015: dans un match contre Stan Wawrinka, il s’était adressé en des termes injurieux à son adversaire, qui ne l’avait pas entendu, contrairement aux téléspectateurs: «Kokkinakis [un autre joueur australien, ndlr] a couché avec ta copine, désolé de te le dire, mec».

Plus tard, sur les réseaux sociaux, le vainqueur de Roland-Garros avait dû mettre les choses au point: «Tellement décevant de voir un collègue être si irrespectueux, d'une façon que je n'aurais jamais pu imaginer».

A Shanghai, en octobre dernier, Kyrgios a abandonné sans raison apparente et a écopé d’une amende lors d’un tournoi où il s’était déjà fait remarquer un an plus tôt en raison d’un mauvais comportement, qui lui avait valu une suspension de trois semaines et une obligation de se soigner. La liste de ses «méfaits» est longue et elle sera probablement complétée dans le futur.

Kyrgios agace, voire même révulse, une partie des passionnés de tennis soucieux de la stricte étiquette à laquelle ce sport est attaché. Mais il est aussi un objet de curiosité pour d’autres, moins «mordus», qui jugent que cette discipline gagnerait davantage à casser les codes pour élargir son audience, notamment à l’ère des réseaux sociaux où les images se répliquent dans un flot continu.

Avant Kyrgios, Nastase, McEnroe et Connors

Il est vrai que le tennis n’a jamais été aussi populaire que dans les années 1980, quand des stars comme les Américains John McEnroe et Jimmy Connors –dans le sillage du Roumain Ilie Nastase– agissaient en véritables bêtes de scène, éructant quelques insanités à la première occasion.

Les insultes étaient souvent dirigées en direction de l’arbitre, mais ils pouvaient également se défier eux-mêmes au filet dans une boxe verbale, comme lors de leur demi-finale de Roland-Garros en 1984.

Seulement, Connors et McEnroe avaient faim de victoire, comme des fauves privés de nourriture depuis des jours. Ce n’est sans doute pas le cas de Kyrgios, qui pourrait se rapprocher d’un joueur français des années 1960-1970, Jean-Baptiste Chanfreau. Immensément doué, il allait jusqu’au bout de sa démarche ou de ses idées, quitte à se «suicider» sur le terrain, et tant pis pour le tableau de score.

Si Connors était très égoïste et Nastase «voyou», Kyrgios se rapprocherait plutôt de McEnroe dans son refus du système, même s’il est probablement plus sensible que ce dernier –comme l’ont attesté ses larmes, lors d’une récente exhibition à Prague.

Kyrgios, plein de contradictions, semble aussi soucieux de faire le bien autour de lui. D’ailleurs, personne ne serait vraiment étonné de l’entendre dire demain qu’il met un terme à sa carrière pour passer plus de temps en Australie, au lieu de voyager d’un pays à l’autre.

Rappels à l’ordre et à la bienséance

Il sait également qu’il évolue dans un monde plus hostile pour les joueurs de son tempérament.

Le Français Benoît Paire, autre tennisman iconoclaste, peine aussi à adapter son disque dur à la rigueur de son époque. L’Italien Fabio Fognini est un autre «cas» souvent pointé du doigt.

Au fond, l’Open d’Australie a été le tournoi du Grand Chelem qui a fermé la porte à ce type de caractère, il y a vingt-huit ans. Le 21 janvier 1990, sur le central de Melbourne Park, John McEnroe était devenu le premier joueur à être disqualifié lors d’un tournoi du Grand Chelem (ère open). À l’occasion d’un huitième de finale de l’Open d’Australie contre le Suédois Mikael Pernfors, un «fuck off» de trop l’avait envoyé en enfer.

Ce fut un tournant dans la petite histoire du jeu, avec une reprise en main de ce qu’on appelle sur le circuit professionnel les «superviseurs», les officiels chargés d’appliquer les règles et de sanctionner.

En soutien à John McEnroe, Boris Becker avait alors déclaré:

«McEnroe a sans doute dit des choses qui n’étaient pas bien, mais quand vous êtes dans la chaleur pendant trois heures, c’est difficile de rester “cool”. Je pense qu’il faut rester prudent avec toutes ces règles qui s’ajoutent. Le tennis ne doit pas être joué par des ordinateurs. C’est très bien que nous ayons un John McEnroe, et j’espère que nous en aurons d’autres

Hélas, ou tant mieux diront d’autres, la source s’est tarie au fil du temps et des rappels à l’ordre et à la bienséance. Sous le cagnard australien, elle pourrait laisser passer un mince filet d’espoir pour ceux qui rêveraient de voir Nick Kyrgios consacré en porte-étendard des rebelles. Remporter sept matches sous la pression de tout un pays ne paraît toutefois pas encore dans ses cordes. «You cannot be serious», aurait même juré McEnroe.

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