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Le futur du football tient à un choix: libéralisation ou régulation

L'avenir du ballon rond se joue aujourd'hui: les décisions prises dans les prochains mois par ses acteurs –les clubs, l'UEFA, les autorités européennes– modèleront durablement le football.

Kylian Mbappé marque un but lors de la rencontre Rennes - Paris Saint-Germain, le 7 janvier 2018 à Rennes | Jean-Sébastien Évrard / AFP
Kylian Mbappé marque un but lors de la rencontre Rennes - Paris Saint-Germain, le 7 janvier 2018 à Rennes | Jean-Sébastien Évrard / AFP

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Les choses semblent recommencer dans le football. Le mercato estival a été historique: plus de 5 milliards d’euros ont été dépensés en transferts et en transactions de joueurs, avec notamment les arrivées de la superstar brésilienne Neymar –pour 222 millions d’euros– et de l’espoir français Mbappé –pour 180 millions d’euros– au Paris Saint-Germain.

Dans les mois qui ont suivi, les spécialistes s’attendaient à un tassement des échanges. L’UEFA avait ouvert une enquête à l’encontre du club de la capitale pour «manquement aux règles du fair-play financier». Elle espérait ainsi rétablir sa légitimité et instaurer une certaine stabilité dans les comptes des clubs européens. Plus rien ne devait dépasser. Côté politique, Macron avait rencontré le président de la FIFA, Gianni Infantino, en décembre dernier, afin de réfléchir à une possible régulation du football professionnel.

D’autres personnalités, comme les députés Michel Zumkeller et François Ruffin ou l’élu socialiste Richard Bouigue, avaient appelé à la mise en application d’outils en faveur d’un football plus sain et plus propre. Idem du côté de la société civile, avec des actions des Cahiers du foot et du collectif Tatane, pour un sport juste et solidaire. On sentait le vent du renouveau et l’apparition d’un nouvel idéal.

L'inflation des dépenses

Et puis patatra, le mercato hivernal 2018 arriva. Dès le 27 décembre, le club anglais de Liverpool annonçait la signature du défenseur Virgil van Dijk pour la modique somme de 84 millions d’euros. Quelques jours plus tard, le FC Barcelone claquait 160 millions d’euros pour obtenir le milieu brésilien Coutinho.

Jusqu’ici, cette fenêtre de transfert, qui marque la mi-saison en Europe, était réputée comme calme et relativement peu prodigue –une moyenne de 100 millions d’euros dépensés par championnat. Mais la norme est partie en fumée en moins de cinq jours, et le casse ne s’arrête pas là. 

Des rumeurs insistantes enverraient en Chine l’attaquant de Dortmund, Pierre-Emerick Aubameyang, pour 70 millions d’euros, alors même que les dirigeants de l’empire du Milieu avaient imposé une taxe de 100% sur les transferts étrangers supérieurs à 5,9 millions d’euros. Le prix total pour l’international gabonais s'élèverait alors à 138,1 millions d’euros.

Comment le football va-t-il pouvoir évoluer avec cette libéralisation à marche forcée? Va-t-on continuer à voir les montants des transferts gonfler jusqu’à atteindre le milliard par joueur? Ne peut-on pas s’inquiéter de l’explosion d’une bulle et d’un dérèglement du système –voire d’un désintérêt croissant du public pour ces sportifs surpayés?

On peut s'interroger sur ce que sera le football dans 20, 30 ou 40 ans: soit il aura pris la voie du capitalisme sauvage, ultra dérégulé et créateur d’immenses inégalités, soit la société civile et les pouvoirs publics auront réussi à remettre la main sur le sport numéro 1 et à imposer une régulation et une réorganisation de sa logique économique.

Le scénario du pire

Deux scénarios s’offrent à nous. Le premier suppose que les clubs se retrouvent en position de force face à l’UEFA. Alors que cette dernière avait émis le souhait, en septembre dernier, de réguler le football et rétablir une certaine équité et compétitivité sportive, les grandes puissances sportives, telles que le Real Madrid, le FC Barcelone, Manchester United, Chelsea, le Bayern Munich, la Juventus de Turin ou le Paris Saint-Germain, pourraient refuser les nouvelles contraintes.

«Non au salary-cap, non à la luxury-tax, non au renforcement du fair-play financier, non à la distribution égalitaire des droits télé», crieraient-elles au nez et à la barbe des dirigeants européens. Dans une logique très libérale, ces clubs considéreraient qu'étant ceux qui rapportent le plus d’argent au football et qui contribuent le plus à son développement, il ne serait pas normal de les contraindre et de les imposer plus fortement que les autres.

Le libéralisme refuse l’idée d’équité: chacun devrait être logé à la même enseigne; les différences ne seraient dues qu’aux actions conscientes et consenties des agents. Avec cette doctrine, on estime que lorsqu'une équipe gagne, ce n'est pas à cause de ses dotations de départ ou de son passif sportif, mais grâce à sa volonté de gagner. Suivant ce concept, il ne serait pas «juste» de taxer plus fortement les meilleurs parce qu’ils gagnent plus d’argent: ils gagnent plus d’argent précisément parce qu’ils sont meilleurs, pourquoi vouloir les ralentir?

Les grands clubs européens imposeraient alors un principe de liberté dans leur action –«nous faisons ce que nous voulons et nous dépensons ce que nous voulons, du moment que nous avons les moyens de le faire»– et contraindraient l’UEFA à respecter leur desiderata. On verrait sans doute apparaître une super ligue européenne privée –sur le modèle des sports américains–, fermée, avec droits d’entrée, qui regrouperait les meilleures équipes d’Europe.

Un football à deux vitesses s’installerait. D’un côté le monde des puissants, où règnerait l’argent et le capitalisme sauvage, où le dopage serait légalisé (il faut soutenir le spectacle et les cadences infernales) et les normes supprimées. Les équipes seraient vendues à des marques ou à des multinationales; on verrait apparaître le Microsoft Real Madrid, le Siemens Manchester United ou le Facebook Paris Saint-Germain. Les stades seraient expurgés de toute forme de violence, afin d’éviter les débordements peu télégéniques, et l’ambiance s’apparenterait à un silence de cathédrale. Les supporters deviendraient de simples spectateurs ignorant l’histoire de leur club préféré, et changeraient de maillot au gré des saisons.

De l’autre côté, le football de campagne, avec des petits clubs et un retour au semi-professionnalisme. Sans moyens, sans budget, sans enjeu et sans rêve.

Le scénario optimiste

Le deuxième scénario, vous l’aurez compris, est celui pour lequel je plaide. À force de dépenser autant dans le football, à force de créer autant d’inégalités –les 20% des footballeurs les plus riches s’accaparent plus de 80% des richesses–, autant d’injustices et autant de polémiques, les autorités publiques, nationales comme internationales, se décideraient à agir.

On imposerait une régulation contrôlée et démocratique du football, avec des outils comme la taxe Coubertobin –un prélèvement international sur tous les transferts, un retour à des quotas de formation et à une protection des sélections.

Le lien direct et réel entre les joueurs et les supporters serait renforcé, et on viendrait au stade non plus pour voir un spectacle grandiose de milliardaires, mais pour redécouvrir le beau jeu et les émotions sportives.

Nous sommes actuellement à un croisement. Va-t-on aller vers le scénario n°1, de l’ultra-libéralisation et de l’argent-roi ou peut-on espérer croire au scénario n°2, de la régulation douce et pragmatique? Seul l’avenir a la réponse.

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