Culture

Rééditer les pamphlets antisémites de Céline? Non merci, on a déjà donné

Quel besoin d'aller offrir au grand public ces écrits qui glorifient sans états d'âme et en une prose hallucinée, grossière, vénéneuse, la haine atavique et immémoriale du Juif ?

Flickr/thierry ehrmann-Louis-Ferdinand Céline, painted portrait IMG_0136
Flickr/thierry ehrmann-Louis-Ferdinand Céline, painted portrait IMG_0136

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On n'en aura jamais fini avec Céline, épouvantail littéraire qui rebute autant qu'il fascine, sorte de démiurge malfaisant des lettres françaises dont on ne sait plus s'il faut le porter aux nues pour la truculence de son style au vitriol ou l'oublier à tout jamais au regard de ses nauséabondes fixations antisémites.

A chacun de voir.

En ce qui me concerne, la messe est dite depuis très longtemps: je ne l'ai jamais lu, je ne le lirai probablement jamais; à mes yeux il n'existe tout simplement pas, il est cet astre noir de la littérature hexagonale dont je ne veux rien savoir, coupable qu'il est à mes yeux d'avoir participé de son plein gré à cet abaissement de la nature humaine, à cette glorification enragée de l’antisémitisme dont le prix à payer fut bien trop lourd pour qu'on puisse d'une manière ou d'une autre passer l'éponge.

Mais une nouvelle fois, je ne cherche à convaincre personne: libre à chacun de louer son génie, de le placer tout en haut de son panthéon personnel, de lui dresser des éloges à n'en plus finir au point de se réclamer de son héritage –littéraire s'entend.

Je n'ai pas l'âme d'un censeur.

Pour autant qu'il me soit permis de m'interroger ici sur l'opportunité de publier ses pamphlets comme cela semble être le souhait des éditions Gallimard.

A dire vrai, je n'en vois pas l’intérêt si ce n'est de rallumer une polémique dont on se serait volontiers passé.

Quel besoin d'aller offrir au grand public ces écrits qui glorifient sans états d'âme et en une prose hallucinée, grossière, vénéneuse, la haine atavique et immémoriale du Juif? Quelle nécessité à ce que tout un chacun puisse se rendre compte par lui-même de la totale abjection de ces pamphlets? Quel intérêt à ce que les devantures de nos librairies s'ornent de ces volumes dont chaque mot soupèse son poids d'un antisémitisme maladif, corrosif, mortifère, vaste matrice à une idéologie qui a débouché sur des folies génocidaires?

Prétendre que ces écrits sont déjà présents sur la toile et par là, en les publiant, mettre un terme à une hypocrisie latente relève de la forfaiture intellectuelle: c'est une chose que de chercher dans les bas-fonds d'internet la trace de ces immondices, c'en est une autre de les présenter sous un format relié, agréable au regard et au toucher, parfaitement disponible dans n'importe quelle librairie ou bibliothèque de France et de Navarre.

Qu'on le veuille ou non, publier pareils ouvrages c'est leur rendre une certaine légitimité, c'est contribuer à leur donner une réelle respectabilité, c'est les sortir de l’ornière où ils gisaient pour mieux les exposer à la lumière, c'est établir qu'aussi odieux ces écrits puissent être, ils demeurent malgré tout des objets littéraires qui méritent d'être lus par le plus grand nombre.

En est-on bien sûr?

Se rend-on bien compte de ce à quoi on s'expose? Ne risque-t-on pas qu'ils servent de munitions à tous ces fins esprits qui continuent tranquillement à répandre leur fiel antisémite sans encourir aucune sanction? N'est-ce pas le plus beau cadeau qu'on puisse leur faire à tous ces aimables nazillons que de ressusciter de la sorte ces pamphlets qui leur apparaîtront comme autant de justifications à leur obsession antisémite? Que pourra-t-on leur opposer à ces braves gens quand il s'agira de les réduire au silence dans la mesure où la société civile elle-même aura laissé des ouvrages ostensiblement antisémites fleurir sur les rayons de nos librairies?

Se pense-t-on vraiment immunisé contre le retour de ces idéologies mortifères pour laisser sciemment vagabonder des ouvrages qui se plaisent à présenter le Juif comme la source de tous les problèmes existants? Combien d'Holocaustes faudra-t-il donc pour considérer que l’antisémitisme, qu'il fut littéraire, sociétal ou culturel, n'a aucune espèce de légitimité?

À l'heure où l'Autriche –l'éternelle Autriche!– renoue brillamment avec son glorieux passé, il serait grand temps de réaliser que l'antisémitisme n'est en rien une lubie collée aux basques du passé mais une réalité de tous les jours qui n'attend qu'une étincelle pour renaître de plus belle.

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