France

Emmanuel Macron peut-il gouverner sans oppositions?

On évoque souvent la solitude du pouvoir en parlant des locataires de l'Élysée. Le nouveau président est plus seul que jamais, même ses opposants semblent l'avoir lâché.

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Gouverner, c'est prévoir. Prévoir, c'est anticiper. Et anticiper, c'est se préparer au pire ! Sous la Ve République, les locataires de l'Élysée et de Matignon n'ont jamais perdu de vue ce triptyque politique. L'exécutif a toujours un oeil sur sa cote de popularité et l'autre sur l'état de sa majorité parlementaire. Comme Emmanuel Macron ne fait rien comme ses prédécesseurs, c'est surtout sur l'état de son opposition qu'il conserve un oeil. Et elle est au tapis.

Le balancier qui oscille entre la gauche et la droite depuis des décennies était «programmé», dans une «élection imperdable», pour revenir à droite après l'intermède du quinquennat de François Hollande. Le titre était même promis à Alain Juppé qui, aux beaux jours de 2016, ne devait faire qu'une bouchée de ses adversaires, Nicolas Sarkozy et François Fillon, dans la primaire de la droite... et du centre, selon l'expression labellisée. Mais tout a commencé à se dérégler. C'était un 20 novembre.

L'incoyable scénario de la présidentielle

Les sondages avaient bien repéré un risque d'élimination de Sarkozy dès le premier round et une étourdissante «remontada» de Fillon dans la dernière ligne droite mais de là à lui donner une victoire écrasante sur Juppé au second tour, il y avait un pas que personne n'avait osé franchir. À partir de ce moment tout s'est enchaîné dans un schéma chamboule-tout. Hollande a renoncé à briguer un second mandat, Valls a été défait par Hamon dans la primaire de gauche. Rien ne se passait comme prévu. Il n'y avait donc pas de raison de s'arrêter en si bon chemin.

Fillon qui commençait à voir son étoile pâlir dans les enquêtes d'opinion à cause de ses propositions trop libérales en matière de santé prit sur la tête, en début d'année, l'affaire des emplois familiaux présumés fictifs révélée par Le Canard enchaîné. Dans la foulée, Hamon parti sur les chapeaux de roues avec le revenu universel allait s'effondrer et Bayrou, renonçant à se présenter pour la quatrième fois, annonçait son ralliement à Macron. D'un coup, celui-ci gagnait plusieurs points. C'est en février que la présidentielle basculait.

Longtemps donné troisième dans les sondages, Macron s'installait à la deuxième place derrière Marine Le Pen qui caracolait en tête depuis des mois et des mois. Derrière, Fillon se faisait petit à petit talonner par Mélenchon qui, sans coup férir, aspirait une bonne partie de l'électorat de Hamon. Personne n'y croyait vraiment mais, dès lors, s'engageait un «mano a mano» entre Le Pen fille qui revendiquait de n'être «ni de droite ni de gauche» et l'ancien ministre de Hollande qui se disait «de droite et de gauche».

Tout le monde connaît l'issue de ce duel qui fut marqué par le naufrage de la candidate d'extrême droite au cours du traditionnel débat d'entre-deux-tours, après l'élimination de Fillon pour la droite néogaulliste et de Hamon pour la gauche socialiste. Arrivé quatrième, Mélenchon mâcha son amertume mais il promit qu'il fallait compter sur son opposition car on allait l'entendre, et fort, à la rentrée d'automne!

La droite aux abonnés absents

En fait d'opposition, huit mois après son entrée à l'Elysée, Macron n'en rencontre que très peu. Voire même pas du tout. Et tout cela s'explique pas l'incroyable scénario qui s'est déroulé au cours des huit mois qui ont précédé le scrutin présidentiel. Comme s'il y avait une sorte de symétrie. L'improbable chaos qui a contribué à faire le lit du succès du plus jeune président de toutes les Républiques françaises –devant Louis-Napoléon Bonaparte!– a trouvé son prolongement après son élection, en dessinant les contours d'un champ politique dépourvu d'oppositions organisées, structurées et efficaces.

Aux yeux d'une majorité de Français, il n'existe, aujourd'hui, aucune offre politique crédible alternative. Ni en homme ou en femme, ni en parti ou en mouvement, ni en projet ou en programme. Après un passage à vide pendant l'été qui a vu s'effondrer sa popularité mesurée par tous les instituts de sondage, Macron a, contre toute attente des observateurs, retourné la situation. Il faut dire que le phénomène ne s'était pas produit sous les trois quinquennats précédents, hors «union nationale» provoquée par le drame des attentats du terrorisme islamiste. Cette inversion de courbe est-elle solide et durable? En l'état, peu d'éléments sont en mesure de la contrarier. À droite, Les Républicains (LR) ont vu un des leurs devenir chef du gouvernement et quelques uns de ses dirigeants se voir attribuer une charge ministérielle. Puis les élections législatives ont donné naissance à une composante dissidente, Les Constructifs, qui se veut «Macron compatible». Considérés comme des «traîtres» à la cause de l'opposition, les éléments LR –il y a aussi des centristes– ont été exclus de leur mouvement. Et pour couronner le tout, l'élection de Laurent Wauquiez à la présidence du parti, en décembre, entraîne une chapellisation du principal mouvement de droite à l'Assemblée nationale. Chacun crée sa tendance propre par peur de voir Wauquiez concrétiser un flirt avec le Front national. L'opposition de droite est aux abonnés absents.

Le PS sous les radars

À gauche, le PS est passé sous les radars depuis que Hamon a sombré dans les urnes. Figure de proue des frondeurs sous la quinquennat Hollande, l'ancien ministre socialiste de l'Éducation nationale n'a pas été en mesure d'ouvrir une voie alternative pour les électeurs sociaux-démocrates. Il faut dire qu'une partie d'entre eux l'avait déjà fui avant le premier tour présidentiel pour rejoindre Macron. Un gros morceau lui ayant préféré Mélenchon, le PS a été mangé par les deux bouts. À bout de souffle, le parti de Jaurès est devenu invisible et inaudible. Réduit à la portion congrue au palais Bourbon, c'est un parti sans tête. Il n'en retrouvera une que lors de son prochain congrès, fin février ou début mars 2018. Près d'un an après la présidentielle!

À l'extrême droite, le FN reste à un haut niveau d'intentions de vote dans les sondages mais sa présidente, qui a longtemps constitué un «produit d'appel» pour l'électorat militant, est doublement handicapée par son échec présidentiel –le fameux débat raté revient comme un leitmotiv dans les rangs du parti, faisant douter de ses capacités à gouverner– et par sa rupture d'avec Florian Philippot –tous deux se plaisaient à dire qu'il y avait eu un "coup de foudre politique" entre eux– qui matérialise l'abandon de la sortie de l'euro, donc de la matrice qui sous-tend le programme du Front national. Autant dire que pour la première fois de son histoire, le parti lepéniste est dans le brouillard programmatique.

L'alchimie macroniste a une contrepartie dangereuse

À la gauche de la gauche où La France insoumis (FI) a absorbé une frange de l'extrême gauche, Mélenchon n'est pas encore parvenu à concrétiser la position de «principal opposant» que lui octroie l'opinion publique. Quelques députés FI en vue –François Ruffin, Danièle Obono, Alexis Corbière, Eric Coquerel, Clémentine Autain ou Adrien Quatennens– tentent de donner corps à l'opposition parlementaire. Mais leur chef de file avait surtout placé la contestation de l'exécutif sur le terrain social... dans la rue. Force est de constater qu'il n'a pas atteint son objectif: mobiliser en masse contre les ordonnances réformant le code du travail. Ne promettait-il pas «un million» de manifestants sur les Champs-Élysées? Après avoir fâché les syndicats, Mélenchon a reconnu que Macron avait «marqué le point».

Alors même que les problématiques du réchauffement climatique et de la transition énergétique sont plus que jamais au centre des questions écologiques, la composante politique censée être leur meilleure représentante a totalement disparu de l'hémicycle du Parlement. Émiettés et décrédibilisés par leurs oscillations entre la gauche et l'extrême gauche, la voix des Verts ne porte plus. D'autant que la figure emblématique de cette mouvance –Nicolas Hulot– a accepté, pour la première fois, ce qu'il avait refusé à Sarkozy et à Hollande: entrer au gouvernement. Qui plus est avec un titre de ministre d'État! Avec cette touche supplémentaire, Macron a parachevé la désorganisation de ses oppositions.

De droite, de gauche et du centre... Le nouveau chef de l'État a réussi, en moins d'une année, une synthèse que d'aucun prédisait impossible. Issu lui-même de la gauche et défendant des thèses libérales chères à la droite, Macron cohabite avec lui-même, en sublimant ce clivage. Et il l'assume ouvertement. Il a créé cet «axe central», sorte de pierre philosophale, que tous les présidents de la République rêvent de constituer autour d'eux. Hors le général de Gaulle de 1958, aucun d'entre eux n'était parvenu à ses fins. Cette alchimie, cependant, a une contrepartie dangereuse car la médaille brille de mille feux mais elle a un revers: les oppositions deviennent fantomatiques. Mis à part que ce «trou noir» ouvre une brèche aux minorités violentes, il nuit gravement au débat démocratique. Il est temps que les oppositions se ressaisissent.

 

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