Culture

À Slate, on a adoré ces morceaux, albums ou artistes de 2017

Sélection des artistes et mélodies qui ont tourné en boucle dans les oreilles des membres de la rédaction de Slate. Si vous êtes passés à côté, on vous les recommande chaudement.

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Temps de lecture: 8 minutes

Aloïse Sauvage Ailleurs Higher et Aphone

On ne va pas vous dire qu’elle fait partie d’une énième «nouvelle génération qui a le bon goût de mélanger les genres avec talent». Aloïse Sauvage est hors catégorie. Cette année, on l’a vue sur grand écran dans le film de Robin Campillo, 120 battements par minute. L’artiste de 25 ans avait déjà travaillé notamment avec Nicole Garcia (Mal de Pierres) et Vincent Lannoo pour la série d’Arte, Trepalium.

Formée à l’académie Fratellini (école des arts du cirque), elle était aussi en tournée dans le spectacle de Raphaëlle Boitel où elle a fait de l’acro-danse.

Mais elle a surtout sorti cette année deux titres, «Ailleurs Higher» et «Aphone», parfaitement clippés. Elle y chante, elle y rappe, en français, en anglais, elle y danse, elle y joue. C’est brut, c’est doux, c’est fort, c’est souple. Elle a aussi ouvert pour Eddy de Pretto, elle est finaliste du prix Chorus. En 2018, elle ouvrira pour Ibeyi et tentera sa chance aux Inouïs du Printemps de Bourges. Mais elle va surtout sortir son premier EP, prévu au printemps. Pour l’occasion, elle s’est entourée d’Abraham Diallo, compositeur, producteur et membre du fabuleux projet Unno. Hors catégorie on vous dit.

Constance Daulon

 

Aquaserge - Laisse ça être (Almost Musique)

On aurait pu attendre d’Aquaserge qu’ils se posent enfin, après presque dix ans passés à défendre leur pop à géométrie variable, et le début de reconnaissance obtenu avec À l’amitié (2014). On a finalement eu tout l’inverse: collaborations diverses et réinterprétations, albums en solo (les réussis Kiss me you fool! de Julien Gasc et Grand chien de Julien Barbagallo, enregistré entre deux tournées avec Tame Impala), jusqu’à ce Laisse ça être, cinquième album remarquable, dadaïste et dansant, intransigeant et pourtant le plus accessible de la bande. Avec Audrey Ginestet (basse), Manon (clarinettes) et Benjamin Glibert (guitare), les trois Julien (Gasc aux claviers, Barbagallo et Chamla à la batterie) et leurs camarades, la pop française tient probablement ses plus beaux représentants.

François Pottier

 

Dooz Kawa / Contes cruels (Modulor Music)

 

Écouter Dooz Kawa, c'est un peu retrouver la joie mélancolique de «ce bon vieux rap français» qu'on écoutait en usant la gomme de nos baskets sur les bancs de l'école. Il n'a jamais vraiment existé, «ce bon vieux rap français», mais tous ceux qui ont bougé la tête aux rimes et aux beats éclectiques d'ATK, IAM, La Rumeur, Oxmo, Fabe ou Bashung en ont gardé un souvenir qui ne faiblit pas.

Entre violoncelle, duduk, synthé et scratchs, Contes cruels, le dernier album du «King With Attitude», garde les allures manouches des premiers EP et tire une nouvelle palette pour repeindre «la couleur des émotions» façon brigand. On passe du bayou au métro nord à la mesure des opus, et comme si ça n'était pas déjà assez grand, voilà que s'invite sur la piste le copain Lucio Bukowski.

Alors Dooz Kawa, c'est un flow, des mots, une instru, un timbre de voix qui ne s'oublient pas, et il a bien tracé sa route le Strasbourgeois errant... reste au public à faire l'autre bout du chemin.

Léa Polverini

 

 

Gazzelle Superbattito (Maciste Dischi)

En 2017, on aura appris que la pop italienne n’est pas condamnée à servir de bande-son à des diaporamas de mariage assez cheap. Et rien que pour ça, on peut remercier Gazzelle.

Fleuron de la nouvelle scène indie italienne aux côtés de Calcutta, Thegiornalisti ou Canova, le Romain Flavio Pardini, 28 ans, a choisi Gazzelle comme nom de scène un peu en hommage au modèle de sneakers d’Adidas, et un peu «par hasard […], parce qu’[il] aime vraiment le son du mot». Une imagerie années 1990 et une touche d’apparent je-m’en-foutisme, l’explication condense en fait l’esprit de la musique de Gazzelle, qu’il préfère lui qualifier de «sexy pop» –évidement de manière ironique.

Son premier album, Superbattito –sorti en avril–, allie ballades mélancoliques («Non sei tu», «Nmrpm», «Greta») et hymnes dansants boostés aux synthés rétro («Zucchero filato», «Demodé»). Il y est question de «notte con gli amici», de moments fugaces que l'on cherche à retenir, de désillusions amoureuses: sirupeux comme il faut, nostalgique à souhait.

En pleine hype médiatique de l'autre côté de la frontière (le garçon vient de terminer une tournée de dix mois et 90 dates), Gazzelle délaisse aujourd'hui le mystère qui entourait ses débuts –silhouette floutée, lunettes noires– pour assumer ses références, Oasis en tête.

Et si c'était en Italie qu'on parvenait à ressusciter la britpop?

Mathilde Boireau

 

 

Lana Del Rey / Lust for Life (Interscope Records)

Il est loin le temps où Lana Del Rey était le centre de l’attention de la planète pop, après quelques singles au mystérieux pouvoir d’attraction postés sur YouTube. On débattait alors à l’envi de ses lèvres comme de son véritable mérite artistique. Cinq ans et quatre albums plus tard, sa légitimité n’est plus à prouver, mais pourquoi cet accueil poli, qui l’éloigne aujourd’hui des premières positions dans à peu près tous les top musicaux du monde, ne lui laissant qu’une petite nomination au prochain Grammy Awards? Lust for Life fait pourtant figure de brillante synthèse de tout ce que la chanteuse avait tenté jusque-là. Le morceau éponyme composé avec The Weeknd a tout d’un tube grand public. S’ensuivent entre autres les cordes majestueuses de l’intime «13 Beaches», la mélancolie entêtante de «Summer Bummer» et ses rythmiques hip-hop, le charme folk de «When the World was at War We Kept Dancing» ou la tendre ballade «Tomorrow Never Came» en duo avec Sean Lennon.

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Sans compter les deux derniers morceaux: «Change», bouleversant appel à remettre un peu d’ordre et de douceur au milieu du chaos, et «Get Free», manifeste pour une vie meilleure débarrassée des illusions. Déterminée à chasser la noirceur, Lana Del Rey s’est rangée du côté des femmes et de la vie, faisant de Lust For Life le meilleur antidote à l’Amérique de Trump.

Boris Bastide

 

 

Lomepal / Flip (Pineale Prod)

Sur les murs du métro parisien, la couverture de son premier album interpelle. Lomepal –à prononcer l’homme pâle, référence à son teint blafard– n’a visiblement pas peur de briser les codes du rap français ultra-testostéroné. Longues boucles d’oreilles, fard à paupière et vêtements féminins, le rappeur du XIIIe arrondissement de Paris envoie un message fort: sa virilité n’est pas à prouver.

En temps normal, il est pourtant branché gros sweats, casquettes, sneakers, et surtout skate, sa première passion. D’où le titre de son disque, Flip, référence à une figure de la discipline.

Certifié disque d'or en cinq mois avec plus de 50.000 ventes, l’album est un exercice d’équilibrisme entre couplets de rap pointus à la sauce Entourage (collectif dont il est proche) et refrains chantés plus mélodieux. Car oui, Lomepal a d’indéniables capacités vocales, récemment démontrées lors d’une session acoustique durant laquelle il livrait une version crooner de deux de ses titres ainsi qu'une reprise des Strokes. Également remarqué pour son passage chez Planète Rap, emblématique émission live de la radio rap Skyrock, à laquelle il avait convié le déjanté Philippe Katherine, ses trois prochaines dates parisiennes sont complètes. Signe parmi d’autres qu’il s’impose progressivement comme l’étoile montante d’une musique hybride qui dépasse les frontières du rap francophone.

Léa Marie

 

 

Mount Eerie / Real Death (P. W. Elverum & Sun)

Derrière le "groupe" Mount Eerie, il y a un homme solitaire, Phil Elverum, et derrière son dernier album, A Craw Looked at Me, il y a une femme aimée, la sienne, fauchée par un cancer l’année dernière, alors qu’elle venait de donner naissance à leur premier enfant. Après s’être cloîtré dans le chagrin pendant six mois, Elverum a décidé de «re-rentrer dans le monde» en composant un album dépouillé et sublime, concentré sur les textes, des mots bruts qui exposent sa douleur mise à nue sous la lumière la plus crue, mais esquissent, peu à peu, au fil des morceaux, la possibilité, la nécessité, que la vie continue. «Real Death», qui ouvre l’album, est certainement la chanson la triste du monde. Et peut-être la plus belle. Les paroles parlent d’elles-mêmes:

«Death is real
Someone's there and then they're not
And it's not for singing about
It's not for making into art
When real death enters the house, all poetry is dumb
When I walk into the room where you were
And look into the emptiness instead
All fails

My knees fail
My brain fails
Words fail

Crusted with tears, catatonic and raw
I go downstairs and outside and you still get mail
A week after you died a package with your name on it came
And inside was a gift for our daughter you had ordered in secret
And collapsed there on the front steps I wailed
A backpack for when she goes to school a couple years from now
You were thinking ahead to a future you must have known
Deep down would not include you
Though you clawed at the cliff you were sliding down
Being swallowed into a silence that's bottomless and real

It's dumb
And I don't want to learn anything from this
I LOVE YOU
»

Alexandre Comte

 

Napkey / 42  (Kaa Production)

Les chiffres ne mentent pas, Spotify non plus. Napkey est le groupe que j’ai le plus écouté en 2017. Merci le data mining. Napkey, ce sont deux jeunes Français. Lui, Benjamin Cholet, aime le son des années 1980 et Dire Straits. Elle, Justine Rousseau, est plutôt rock et jazz. Ensemble, ils produisent tout autre chose. Une électro un brin rétro, évoquant les sons de l’autoradio de la Ferrari de Out Run, jeu cher aux possesseurs de NES («Parade Nuptiale», «Vacuum»); parfois plus pop («Last Thoughts»); carrément puissante («Pegasus», son refrain entêtant et son clip de toute beauté, tourné à l’arrache mais avec talent entre les voies rapides de la Défense et les routes départementales de la forêt de Rambouillet); ou «french indietronica», rappelant les Pirouettes («Le Chat»).

42, leur premier album, pourrait bien être la B.O. mélancolique mais optimiste d’un futur que nous ne verrons probablement pas.

Christophe Carron

 

 

Reef 

Il est marseillais. Il fait du rap. Plusieurs noms célèbres doivent vous venir à l’esprit... Or, celui dont on parle aujourd’hui ici ne devrait pas vous être forcément familier. Il s’agit de Reef. Un artiste fraîchement signé chez Orfèvre, le label et/ou incubateur artistique monté par le rappeur Espiiem. Comme à peu près tous les autres rappeurs francophones trustant les tops et classements de fin d’année, Reef s’est fait remarquer –bien qu’encore timidement– sur YouTube.

Pour vous convaincre d’aller écouter son travail, vous allez devoir me faire confiance. Car Reef ne compte pour le moment que quatre clips. Et c’est tout. Son parcours, son profil et ses aspirations dans le milieu de la musique sont encore très mystérieux –c’est à la mode, il paraît. Parmi ces quatres morceaux, ne manquez pas le freestyle «Merci», et «Stop», dans lequel Reef s’attaque aux violences et aux bavures policières.

Reef se fait attendre, quitte à jouer sur les nerfs et la patience de ceux qui l’adoubent déjà. Chacun de ses clips n’enregistre encore que quelques dizaines de milliers de vues. C’est peu, mais ce n’est que provisoire. Cliquez, et laissez-vous, vous aussi, porter par la fièvre de l’impatience.

Robin Panfili

 

 

The/Das / Exit Strategies (Life and Death)

Le duo berlinois qualifie son style musical d'«électro tendresse» et c'est vrai qu'il est doux de se plonger dans ce deuxième album cotonneux et planant. Mais pas somnolent («Ischia»). Mais pas hors sol («Nano Spinacio»), ou alors sur une planète à l'air lourd, aux plantes grasses et exotiques, aux animaux excités («Divine Voices»). Et résolument enivrant («Fool you», ma préférée). The/Das épaissit le minimaliste.

Hélène Decommer

 

 

Various artists / Twin Peaks - Music From The Limited Event Series (Rhino Entertainment)

À l’oreille, c’est une BO comme il en sort mille, une compilation de titres plus ou moins récents assemblés par David Lynch pour la troisième saison de son Twin Peaks. Mais pour pleinement apprécier ce Twin Peaks (Music From The Limited Event Series), il faut se refaire le film (pardon, la série –ou bien si, le film?) dans la tête.

Se souvenir de la façon dont le cinéaste a invité, dans quasiment chaque épisode, des groupes ou artistes contemporains à se produire sur la scène du Roadhouse, un des bars de la ville. Se rappeler l’émotion quand, à la fin du deuxième épisode, James, l’ancien amoureux transi de Laura Palmer et Donna Hayward, entre dans les lieux et aperçoit au loin Shelly Johnson, une des autres héroïnes de la première série: deux fantômes avec un quart de siècle de plus, dont les regards se croisent pendant que les Chromatics jouent la mélancolique et vaporeuse «Shadow».

Ont suivi au fil des épisodes, entre gimmick télévisuel et festival cyclique, Au Revoir Simone, Sharon Van Etten, Nine Inch Nails, Eddie Vedder ou encore Julee Cruise, qui réinterprète «The World Spins», qu’elle jouait déjà dans l’épisode le plus traumatisant du Twin Peaks originel. Sommes-nous en 2017 ou en 1989? On ne sait plus trop, perdus à l’écoute de ce disque. Pardon, de cette série. Ou de ce film.

Jean-Marie Pottier

 


Bonne écoute!

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