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Corée du Nord: Apocalypse Now pendant les JO?

C’est possible... Mais voici comment Washington, Séoul et Pyongyang pourraient faire en sorte que les Jeux d’Hiver de 2018 soient aussi pacifiques que possible.

Flamme olympique FRANCK FIFE / AFP
Flamme olympique FRANCK FIFE / AFP

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Il y a trente ans le mois dernier, le vol 858 de la Korean Air Flight explosait au-dessus de la mer d’Andaman, provoquant la mort de plus d’une centaine de passagers. Cette affaire demeure encore nimbée de mystère, mais selon des rapports des renseignements américains, l’attentat à la bombe, organisé par la Corée du Nord, avait pour but de d'effrayer la communauté internationale et de gâcher les Jeux. Mais cela n’a pas marché. Les JO ont été un grand succès... et la Corée du Nord a fini sur la liste noire américaine des soutiens au terrorisme.

Tension maximale

Deuxième acte. Au mois de février prochain, les Jeux olympiques d'hiver se tiendront à nouveau en Corée du Sud, à P’yŏngch’ang –qui se situe  à seulement 75 km de la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées... Et les tensions avec Pyongyang ont atteint un pic inégalé depuis des décennies. Les États-Unis et la Corée du Nord font assaut d’insultes et de menaces d’emploi de l’arme nucléaire. En 2017, la Corée du Nord a lancé vingt missiles, dont trois missiles balistiques intercontinentaux et a effectué son sixième essai nucléaire, le plus puissant de son histoire.

Est-ce que les choses pourraient être pire?

Oh que oui. Fin novembre, après le dernier essai de missile balistique nord-coréen, le président sud-coréen Moon Jae-in a convoqué une réunion du conseil national de Sécurité afin de déterminer si ce tir pouvait avoir des conséquences sur les Jeux. Les membres du gouvernement et du comité d’organisation des jeux de P’yŏngch’ang ont tenté d’évacuer les craintes provoquées à la fois par la Corée du Nord et les États-Unis.

«On va s'en occuper.»

Donald Trump

En réponse à ce tir, le président américain avait répondu de manière cryptique «On va s’en occuper!». Le président Moon a averti:

«Nous devons mettre un terme à cette situation où la Corée du Nord nous menace de ses armes nucléaires et où les États-Unis envisagent des frappes préventives.»

Et même si la guerre n'éclate pas, on peut envisager toutes les manières –et elles sont nombreuses– dont la Corée du Nord pourrait perturber les Jeux olympiques d'hiver: un nouvel attentat à la bombe dans un avion ou pendant les Jeux, des intoxications alimentaires... –autant de menaces qu’il serait difficile d’attribuer avec certitude à la Corée du Nord. On en vient même à se demander comment les Jeux ont pu être attribués à la Corée du Sud! En 2011, lorsque le pays a été élu pour organiser les Jeux en 2018, les tensions étaient déjà vives: un navire sud-coréen venait d’être coulé par un navire nord-coréen –le naufrage avait provoqué la mort de quarante-six marins sud-coréens.

La Corée du Nord invitée

Mais ce désastre potentiel est aussi une occasion de progresser vers la paix si Séoul, Washington et Pyongyang jouent le jeu intelligemment. Pour toutes les parties en présence, les Jeux olympiques à venir constituent une occasion rêvée de se rasseoir à la table des négociations.

La Corée du Sud, qui s'efforce de rassurer le monde entier sur la sécurité des Jeux, a déjà pris un bon départ en invitant les Coréens du Nord à y envoyer des athlètes (un couple nord-coréen de patinage artistique s’est qualifié pour les Jeux olympiques en septembre). Quel meilleur moyen d’amadouer Pyongyang? Selon Moon, la participation de la Corée du Nord constituerait «une grande occasion d'envoyer au monde un message de réconciliation et de paix.»

Malheureusement, les prochains exercices militaires interarmées entre les États-Unis et la Corée du Sud, Key Resolve et Foal Eagle, coïncident avec les Jeux olympiques et paralympiques d'hiver, qui se tiendront en mars. La Corée du Nord n’a cessé de protester contre la tenue de ces exercices, qui simulent notamment des raids dits de «décapitation» contre ses dirigeants et la manœuvre de plus de 300.000 soldats américains et sud-coréens. Il est peu probable que le Nord envoie des athlètes à P’yŏngch’ang si ces exercices conjoints se déroulent comme prévu.

Pour résoudre ce problème, Séoul et Washington pourraient reprogrammer les exercices, afin naturellement de réduire les chances que la Corée du Nord perturbe les Jeux olympiques, mais aussi à des fins d’ouverture diplomatique à destination de Pyongyang.

Les Jeux diplomatiques

Les personnes bien informées savant parfaitement que la diplomatie –malgré ses résultats mitigés– demeure la meilleure arme de réduction des tensions et la seule permettant de mettre un terme au programme nucléaire de la Corée du Nord. Les sanctions n'ont en effet pas fonctionné. Et en dépit de ce que les partisans de la ligne dure à Washington peuvent bien avancer, il n’existe aucune option militaire «limitée» qui ne risquerait pas de se solder par une catastrophe. Comme l’ont récemment écrit cinquante-huit chefs militaires à la retraite dans une lettre adressée au président Trump«une action militaire des États-Unis et de leurs alliés déclencherait des tirs de représailles immédiats sur Séoul, qui feraient des centaines de milliers de victimes.» Discuter avec le Nord est impératif.... Parce qu’il n’y a tout simplement pas d'autres bonnes options.

Mais comment faire avancer les pourparlers? Qui doit faire le premier pas? Et quel est le plan? Les Jeux olympiques qui s’annoncent sont l'occasion idéale pour les États-Unis et la Corée du Nord de s'asseoir à une table et de commencer à parler.

Washington pourrait proposer un report des exercices militaires en échange d'une suspension des essais nucléaires et des tirs de missiles de Pyongyang. Le Nord enverrait ses athlètes et ne tenteraient rien pendant les Jeux. Trump, Moon et le leader nord-coréen Kim Jong-un pourraient en profiter pour se donner à moindres frais une stature d’hommes d'État, capables de prendre de la hauteur pour  se montrer digne de la grande et belle histoire des Jeux.

Un tel accord serait conforme à la récente résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies qui a appelé à une «trêve olympique» pendant les Jeux d'hiver. Le Comité International Olympique a affirmé que cette résolution visait à mettre fin aux hostilités afin de garantir le séjour, en toute sécurité, des athlètes et de leurs familles durant les Jeux. Cet accord hivernal pourrait être le premier pas vers un dégel des relations entre les deux pays. L'accord initial pourrait durer jusqu'en avril, période pendant laquelle les deux parties devraient entamer des pourparlers sur la réduction des tensions et la formalisation de ce que l’on appelle désormais l’accord du «double gel» (gel des essais nucléaires au Nord, gel des exercices militaires au Sud) pour une durée plus longue.

La Corée du Sud a déjà fait un premier pas pour faire en sorte que les Jeux olympiques restent pacifiques en demandant aux États-Unis de retarder les exercices militaires. Mais Washington n’a pas encore fait connaître sa réponse. Mardi dernier, interrogé au sujet de cette demande sud-coréenne, Rex Tillerson a déclaré qu'il n'était au courant d'aucun plan de modification des dates des exercices militaires, et un porte-parole du Pentagone a fait savoir «qu'il n’était pas approprié de discuter des plans concernant les exercices futurs pour le moment».

L'esprit d'équipe

En diplomatie, le timing est primordial et les Jeux olympiques arrivent au bon moment. Après son dernier essai de missile, Kim a annoncé que son pays «avait enfin pris conscience de la grande cause historique que constituait l'achèvement de la construction de la force de frappe nucléaire nationale.» Cela signifie-t-il que le Nord est désormais ouvert à des pourparlers sérieux visant à limiter la taille de son programme en échange de concessions de Washington? Nous allons bientôt le savoir.

Certains diront que les États-Unis ne devraient pas déplacer ou annuler les exercices conjoints, mais ils l'ont déjà fait par le passé, sans sacrifier ni la dissuasion ni la préparation de leurs forces. En 1992, les États-Unis ont ainsi suspendu Team Spirit, un exercice annuel auquel participent des centaines de milliers de soldats. En 1994, une nouvelle suspension a permis de geler le programme d'armement nucléaire de la Corée du Nord pendant près d'une décennie.

Voilà donc une nouvelle occasion pour les États-Unis de désamorcer la crise –en utilisant cette fois le levier du sport. 

Jeter des ponts entre des adversaires

C’est la diplomatie du Ping-pong qui a permis de dégeler les relations entre les États-Unis et la République populaire de Chine après la célèbre visite de Nixon à Pékin. La diplomatie de la Lutte a permis aux États-Unis et à l’Iran de renouer le dialogue après des décennies de fâcheries. Et la diplomatie du basket-ball a donné à une équipe américaine un accès sans précédent à la Corée du Nord aboutissant à une rencontre avec Kim Jong-Un –un exploit qu’aucun diplomate américain n’était parvenu à accomplir.

Devant le manque d’options diplomatiques disponibles, les États-Unis pourraient se saisir de ce moment olympique pour poser les bases d’un nouveau dialogue. Le feront-ils?

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