Politique / France

Que restera-t-il du «seguinisme»? Rien, sauf Sarko.

C'est Philippe Seguin qui a écourté la traversée du désert de Nicolas Sarkozy.

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Au lendemain de l'hommage de la République aux Invalides, c'est une grave et bonne question qu'on est en droit de se poser: que restera-t-il du «seguinisme»? Déjà, quelques observateurs, parmi les plus pointus, ont répondu, en choeur: «Rien». Ils n'ont pas tort. De plus, c'est amusant. Mais c'est un peu court.

De fait, il n'y a pas, il n'y a jamais eu de «seguinisme». Il n'y eut jamais qu'une certaine idée de la France, une certaine idée de la République et de la Nation, une certaine conception de la politique, toutes entre elles attachées à un homme aujourd'hui disparu. Même à l'apogée de Philippe Séguin, en 1997, les députés étiquetés «seguinistes» étaient très largement minoritaires au sein du groupe RPR ressorti essoré par la dissolution manquée, par Jacques Chirac, de l'Assemblée nationale: une vingtaine tout au plus, selon les pointages de l'époque, sur quelque 140 heureux élus. Au point que Seguin lui-même s'en amusait. «Seguiniste? Mais qu'est-ce que ça veut dire? Je ne suis pas sûr de l'être moi-même!», disait-il à l'époque, dans un énorme rire.

De Seguin, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il reste en revanche un homme, aujourd'hui, et non des moindres: l'actuel président de la République.

Arriver au bout de la résistance du dernier carré des juppéistes

Just facts. En juin 1997, alors qu'Alain Juppé se heurte à un veto de Jacques Chirac lorsqu'il propose, dans la débâcle, de nommer Nicolas Sarkozy secrétaire général du RPR, c'est en effet Philippe Seguin qui sort le maire de Neuilly de sa «traversée du désert» (1995-97) — sa «traversée du bac à sable », comme disaient certains, parmi les plus moqueurs, des rubriquards attachés au mouvement dit gaulliste.

C'est tout d'abord «l'appel de Suresnes», organisé par Charles Pasqua, à la manière d'un coup d'Etat, tout près du Mont-Valérien, pour ajouter au symbole. Dans une déclaration solennelle, Seguin offre tout à trac ses services pour «rassembler», sous sa houlette, ce qui peut alors rester du vieil héritage du Général. Tout le mois de juin est occupé par des tractations entre Seguin, son plus proche lieutenant François Fillon, et les amis d'Edouard Balladur, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy, pour enfin venir à bout de la résistance opérée par le dernier carré des juppéistes.

Lors des assises du mouvement, le 6 juillet, au Parc floral de Vincennes, quelques chiraquiens trop zélés ont préparé leurs pancartes: «Sarko, petit salaud!» Il n'empêche. Le nouveau président du RPR fait fi des rancoeurs héritées de l'élection présidentielle de 1995. Dès le 10 juillet, il nomme une équipe de transition, habilement présentée par ordre alphabétique, de sorte qu'après Pasqua et Eric Raoult et juste avant Seguin apparaît le nom de Sarkozy. Sans être encore formellement le numéro 2, celui-ci est promu rien moins que coordonnateur et porte-parole du mouvement.

L'été passe. Mais, sans attendre, Nicolas Sarkozy profite de sa nouvelle situation. Il entame, de sa propre initiative, la tournée de l'ensemble des fédérations du RPR, ce qui représente un trop gros effort pour Philippe Seguin. Le 13 novembre, cependant, les deux hommes se retrouvent en Haute-Marne, à Colombey-les-Deux-Eglises, à La Boisserie précisément, dernière demeure de De Gaulle. «Un devoir de mémoire, un devoir d'avenir, une piqûre de rappel», grommelle le président du RPR.  «La politique, c'est l'art de savoir gérer le temps», précise son n°2.

En guise de commentaire sur l'improbable duo qu'il forme, alors, avec Seguin, Sarkozy jubile: «On va au foot ensemble, je le fais rire et, en plus, j'en connais deux qui n'ont pas été écoutés ces dernières années: Seguin et moi».

Nul  doute, bien sûr, que, sans cette opportunité, sans cette caution, l'actuel Président aurait trouvé d'autres chemins pour parvenir à ses fins. Mais c'est bien de cette époque-ci que datent sa décision d'«y aller coûte que coûte» et le début de sa pré-campagne présidentielle. Deux ans plus tard, en avril 1999, en démissionnant avec fracas de la direction du RPR et de la conduite de la campagne pour les élections européennes, Seguin lui laissera, certes, un champ miné, mais aussi, par surcroît, le champ libre.

En mai 2007, lors de son installation à l'Elysée, le nouveau président de la République remercie celui qui est devenu entre temps, par la grâce de Chirac, le premier président de la Cour des comptes d'une tape appuyée, amicale, mais très peu protocolaire, sur la joue droite.

Jean-Louis Saux est ancien journaliste au Monde.

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Image de Une: Nicolas Sarkozy aux obsèques de Philippe Séguin, REUTERS/Charles Platiau

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