Culture

Kim Jong-Hyun, un suicide pas si anecdotique

Grâce à des contrats appelés «slaves contracts» («contrats d'esclaves»), l'industrie musicale coréenne a trouvé un moyen de rentabiliser son plus grand phénomène culturel: la K-pop, à laquelle appartenait Kim Jong-Hyun.

Autel à l'effigie de Kim Jong-Hyun, le 19 décembre 2017 à Séoul (Corée du Sud) | Choi Hyuk / Pool AFP.
Autel à l'effigie de Kim Jong-Hyun, le 19 décembre 2017 à Séoul (Corée du Sud) | Choi Hyuk / Pool AFP.

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En France, il n'y a que les amateurs de K-pop, ou ceux qui se sont intéressés de près à ce gigantesque phénomène, qui connaissaient Kim Jong-Hyun. Pourtant, au lendemain de son suicide, les sites d'info et journaux du monde entier parlent de ce jeune homme de 27 ans, immense star en Corée du Sud.

Peut-être parce que l'émoi sur le web qu'a causé sa mort a fait prendre conscience aux rédactions et aux parents de ce qu'est la K-pop, du fait que cette musique se soit, depuis le milieu des années 2000, répandue comme une traînée de poudre dans les chambres d'ado et de bambins du monde entier.

«Je suis cassé de l'intérieur»

Kim Jong-Hyun était l'une des plus grandes stars de K-pop actuelle. Depuis 2008, peu pouvaient prétendre rivaliser avec les chiffres de ventes de son groupe SHINee. Étant parvenus à incarner une nouvelle génération d'artistes, un léger virage musical un poil moins sirupeux et surtout une nouvelle étape franchie dans le rayonnement de leur musique, Kim Jong-Hyun et les quatre autres membres du groupe sont des archétypes.

Incroyablement beaux, taillés pour plaire aux jeunes filles –voire aux très jeunes filles–, des corps fins, ils se rapprochent davantage, physiquement, des One Direction des années 2010 plutôt que des Backstreet Boys des années 1990.

Dans la musique, les standards de beauté sournoisement portés par l'industrie du disque ont changé. Au fil des ans, mais aussi en fonction des pays.

Depuis l'explosion des boys bands aux États-Unis dans les années 1990, on sait que ces jeunes hommes transformés en produit musical ont en apparence tout pour être heureux: les filles à leurs pieds, des assistants en pagaille, leurs photos partout, la drogue si besoin, l'argent... Mais que derrière ces vies de dingues se cache bien souvent un mal-être très réel.

Kim Jong-Hyun vivait mal son extrême célébrité. Peu après que son corps a été retrouvé inanimé dans un hôtel de Séoul, Nain9, une des ses amies également star de la K-pop, publiait un message sur Instagram, que le chanteur lui avait demandé de faire paraître dans l'éventualité de sa mort: «Je suis cassé de l'intérieur. La dépression qui me ronge doucement m'a finalement englouti tout entier

«Slave contracts» et exploitation

Depuis que le phénomène s'est mis à grandir à vue d’œil, le Big Three coréen, à savoir les trois majors du pays (SM Entertainment, JYP Entertainment et YG Entertainment), dégage des bénéfices pharamineux grâce à la K-pop.

Derrière de tels enjeux, il y a des pratiques assez immondes. C'est simple: le problème de la musique coréenne, c'est la langue, une barrière difficilement franchissable pour atteindre un public international.

La parade, c'est d'abord d'insérer de l'anglais (les noms des groupes et artistes sont souvent un mélange de ces deux langues) dans les textes, mais aussi de caster de jeunes chanteurs étrangers, chinois, canadiens, américains... Renforcer le processus d'identification du jeune public n'a pas de prix, quitte à user de méthodes régulièrement dénoncés par les médias coréens (et relayés par quelques sites étrangers).

Les contrats liant les idoles à leurs maisons de disques sont surnommés des «slave contracts» (des «contrats d'esclaves»). Généralement, les aspirants chanteurs signent d'abord un contrat de «stagiaire», vers 12 ou 13 ans, durant lequel ils et elles sont entraînées, souvent hébergées dans des dortoirs, avec contrôle des régimes, des relations amoureuses et des fréquentations.

Et si vous pensiez que les stars de K-pop roulent ensuite sur l'or, détrompez-vous: les frais quotidiens et ceux pour leurs cours de danse et de chant ne leur sont qu'avancés. Ils doivent les rembourser dans un délai très bref, avec bien sûr des majorations sorties de nulle part.

Des contrats presque impossible à rompre

Résultat, la Korea Fair Trade Comission a enquêté début 2017 sur les contrats liant les artistes de K-pop aux principales maisons de disques les employant. Leur conclusion: certaines clauses sont scandaleuses.

Une annulation de contrat par le chanteur lui coûte parfois le double ou le triple de la somme investie par le label. De même, si l'artiste refuse de prolonger son contrat arrivé à expiration (généralement au bout de trois ans), il doit payer environ le double de cette même somme investie. Par contre, si l'une des maisons de disques décide de rompre le contrat, pas besoin de préavis (clause pratiquée chez Loen Entertainment, YG Entertainment, Cube Entertainment, JYP Entertainment, et DSP Media). Bref, un paquet de clauses totalement illégales en Corée du Sud. Dans ces conditions, comment un chanteur peut-il s'extirper d'un contrat qui ne lui convient plus?

En 2014, Tao, membre du groupe EXO, s'est engagé dans un bras de fer juridique avec SM Entertainment. Voulant quitter la formation, il a dû montrer des preuves de son mauvais état de santé, de blessures accumulées aux jambes et aux chevilles, mal soignées durant son contrat «stagiaire», de salaires impayés... Étant chinois (on vous l'a dit, les recrues étrangères sont légion), il avait alors signé un nouveau contrat avec une maison de disques de son pays d'origine. Problème, SM Entertainment avait presque automatiquement renouvelé celui qui les liait, ce qui le mettait hors-la-loi. Procès perdu.

Harcèlement sexuel et suicides

Autre sale histoire, celle de la chanteuse Clara, qui accusait en 2015 le directeur de Polaris Entertainment de harcèlement sexuel. Puisqu'il est de notoriété publique qu'il est extrêmement difficile de s'extirper de ces contrats, le directeur a accusé Clara de faire chanter la major dans le but de se libérer des ses obligations.

Après un scandale de plusieurs mois durant laquelle la chanteuse est passée du cyber-harcèlement à la disgrâce malgré le soutien indéfectible d'une partie de ses fans, elle n'a finalement pas été reconnue coupable de chantage et a trouvé un accord avec Polaris pour rompre son contrat. Depuis l'enquête de la Korea Fair Trade Comission, les contrôles quant à ces clauses se sont renforcés, mais on est encore loin d'un résultat satisfaisant.

Ces entorses à la loi sont révélatrices de l'emprise des maisons de disques sur leurs poulains, mais aussi une sorte de grand arbre qui cache la forêt, en l'occurrence le quotidien parfois très difficile des artistes. À côté, l'agenda d'une Miss France ressemble à un an de vacances à Honolulu. Malaises sur scène, pendant des shooting, des showcases ou des séances de dédicaces géantes... Les suicides ne sont d'ailleurs pas rares: Jang Ja-yeon en 2009, Park Yong-ha en 2010, Ahn So Jin en 2015... Et Kim Jong-Hyun en 2017.

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