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Nadine Morano ne regrette pas la fermeture du Lab, le journalisme politique si

Six ans et deux présidentielles après son lancement, Le Lab s'apprête à fermer ses portes. Le site d'Europe 1 a dépoussiéré les codes du journalisme politique français, en alliant rigueur sur le fond et impertinence sur la forme.

Home du Lab, le 18 décembre 2017 | Capture via Le Lab.
Home du Lab, le 18 décembre 2017 | Capture via Le Lab.

Temps de lecture: 5 minutes

Le Lab, c’est fini. L’annonce survenue mercredi 13 décembre a pris tout le monde de court, des rédactions politiques pour qui le site d’Europe 1 était devenu un outil indispensable aux internautes habitués à rire (ou pleurer) devant les disgressions diverses des élus de la République que Le Lab épinglait quotidiennement. 

Raison officielle de cette mort subite? «Une réorientation de l’effort d’innovation d’Europe 1» afin de «développer et renforcer l'identité du groupe» selon Olivier Lendresse, directeur numérique de la station détenue par Arnaud Lagardère. Une explication assez vague qui se comprend mieux à la vue des audiences de rentrée décevantes d’Europe 1, après un mercato estival répondant déjà à ce besoin de «réorientation». Le Lab, de son côté, ne rapporte quasiment rien. Voilà pour l’équation.

Codes web et valeur journalistique

Le Lab était pourtant bien plus qu’un petit site satellite, il était presque devenu une institution, un passage obligé pour quiconque s’intéresse un minimum au fait politique.

Tout commence à la rentrée 2011 lorsqu’Arnaud Lagardère et Dennis Olivennes demandent à Laurent Guimier, alors directeur numérique d’Europe 1 et désormais numéro deux de Radio France, de «réfléchir à un projet numérique innovant pour la présidentielle de 2012». Laurent Guimier explique qu’après avoir «planché  à fond pendant tout l’automne» accompagné d’une équipe «minuscule», le choix sera fait de «se tourner vers la pure curation web et les réseaux sociaux». 

Un choix gagnant: Le Lab couvrira la présidentielle avec succès et y fera ses premiers coups. Guy Birenbaum –qui suivra ensuite Laurent Guimier sur France Info lorsque celui-ci en prendra la direction en 2014– retient tout particulièrement la fois où, alors qu’il recevait Louis Aliot du Front national dans l’émission Des Clics et des Claques, il lui présente des caricatures racistes trouvées sur le blog d’un candidat FN aux législatives tout en les publiant en même temps sur Le Lab: «Je vous garantis que Louis Aliot s'en souvient encore!»

Fort de son succès, Le Lab survivra donc à la victoire de François Hollande pour surveiller les faits et gestes des hommes et femmes politiques au-delà des échéances électorales.

Pour Benoît Raphaël, qui a participé à la réflexion et à la création du site, le Lab se démarque par «sa capacité à casser les codes tout en s’appropriant ceux du web, mais en y apportant une valeur journalistique».

Une judicieuse utilisation d’un humour très Twitter est en effet une des marques de fabrique du site. Une distanciation qui a très souvent servi d’angle d’attaque pour les politiques mécontents de s’être faits rattrapés par la rédaction du Lab. 

Nadine Morano et les petites phrases

Nadine Morano en tête, dont les nombreuses approximations et exagérations avaient fait d’elle un personnage récurrent du site. Contactée par nos soins, elle affirme ne pas «regretter» la fermeture du Lab, avant de dégainer la sulfateuse: pour elle, cette fin «pose le problème de l’information à notre époque. C’est une calamité […], une recherche du buzz permanente par les organes de presse […] en utilisant la caricature plus que le réel objectif d’informer». S’ensuit un dernier scud contre «de jeunes pigistes qui écrivent n’importe quoi et se prennent pour de grands éditorialistes» travaillant pour «des officines dites d’actu», pour qui les politiques «sont devenus de la chair à canon», dont Nadine Morano serait «un morceau de choix», une «victime».

La violence des propos de la députée européenne en dit long sur l’impact du Lab sur la vie politique française de ces cinq dernières années. Un discours un brin hypocrite, tenu par une classe politique qui ne s’est toujours pas habituée à être ainsi disséquée.

Là où Nadine Morano reproche au Lab de «couper des phrases d’un raisonnement», Antoine Bayet, rédacteur en chef du site de 2012 à 2014, répond que «les petites phrases», comme on les appelle, «sont des éléments de langage qui sont travaillés, validés, et jamais délivrés de manière gratuite; elles font partie de la politique et doivent évidemment être relevées, contextualisées, sous-titrées». 

C’était tout l’intérêt du Lab de dénicher ces phrases lourdes de sens, qu’elles se trouvent «dans les amendements du débat parlementaire ou sur Twitter». Un travail journalistique qui semble aujourd’hui évident mais qui ne l’était pas tant que ça aux débuts du Lab. «On était encore à une époque où le bâtonnage de dépêches régnait en maître sur le web, explique Antoine Bayet, où les rédaction n'écoutaient pas l'intégralité d'une interview politique mais se contentait de lire “ce que l'AFP en retenait”». D’où son ambition de faire du Lab un site «100% sans AFP» capable de «rendre compte, sur le fond, d'un débat en commission parlementaire avec des gifs». 

C’est que, comme le dit l’actuelle rédactrice en chef Aurélie Marcireau, ce «traitement différent, décalé, mais toujours rigoureux» s’adresse également «à un public jeune», qui ne serait pas forcément fasciné par la chose politique sans cette tonalité et ce vocabulaire qui est le leur.

Quant à l’humour typique du Lab, à le regarder de près, il n’a rien de gratuit et semble plutôt traduire une résignation générale face aux infinies contradictions des discours politiques. Comme le dit le chanteur burlesque Didier Super, parfois, «vaut mieux en rire que de s'en foutre».

Choc collectif

Quoi que. Le Lab arrêtera bel et bien d’émettre à la fin du mois de janvier prochain. «Très surprise», Aurélie Marcireau a été «abasourdie» par la nouvelle. Un sentiment partagé par l’ensemble de la rédaction.

Amandine Réaux dit avoir ressenti «de l’incompréhension, de la colère, puis de la tristesse». Étienne Baldit parle lui d’un «vrai choc collectif», d’autant plus marquant qu’avait été enclenchée «une démarche de réflexion profonde pour renouveler les formats et la ligne éditoriale», une démarche «appuyée» par la hiérarchie qui, la semaine précédente, répétait «à toute la rédaction numérique qu'il n'y aurait “pas de grand bouleversement” organisationnel à venir».

Si la direction assure que la totalité des journalistes concernés se verront proposer d’autres responsabilités au sein d’Europe 1, on ne peut donc que rester circonspect devant cette décision. Certain s’interrogent. «Certes, Le Lab ne gagne pas d’argent, mais cela n’a jamais été le cas», disent les uns, quand d’autres soulignent que «si le coût était un vrai argument, 90% des sites existants aujourd’hui fermeraient». Le choix pourrait donc être tout autant éditorial que financier. Quoi qu’il en soit, personne ne croit en une quelconque pression politique. 

D’ailleurs, à contre-sens des propos de Nadine Morano, quelques personnalités comme Cécile Duflot ont exprimé leur soutien.

Julien Bayou, porte-parole d’EELV, nous confie de son côté que s’il «n’a pas vraiment à se prononcer sur des choix éditoriaux, au-delà des buzz et mini-polémiques, il y avait de temps à autres un vrai décryptage qui manque dans le bâtonnage classique». 

Voué à devenir autre chose qu'un lab

Un manque qui se fera très certainement ressentir, et ce malgré les clones et autres inspirations provoquées par Le Lab. On pense bien évidemment au Scan du Figaro, mais pas seulement. «Le Lab a irrigué tout le traitement de la politique sur le web» selon Aurélie Marcireau. De Brut à Konbini, qui vient d’embaucher Hugo Clément de «Quotidien», émission où l’on retrouve d’ailleurs Paul Larrouturou, passé par Le Lab. 

«Il n'empêche que Le Lab avait conservé son originalité, sa veille ultra-précise et son ton unique» selon Sébastien Tronche, membre de la rédaction depuis la rentrée 2012. Le site qu’il décrit comme «un ovni un peu (trop?) impertinent» restera donc comme cette expérimentation aussi unique qu’utile, qui a «toujours su prendre un temps d’avance» dixit Laurent Guimier.

Benoît Raphaël, lui, se rappelle que l’idée d’origine «était de construire autour de ce modèle une galaxie de médias dans laquelle il aurait fallu investir au bon moment». Et de conclure sobrement: «Le Lab était voué à devenir autre chose qu’un lab.» 

Quoi qu’il en soit, et comme le dit Delphine Legouté, ancienne rédactrice du site devenue cheffe du numérique à Marianne, le contenu publié par ce laboratoire «est encyclopédique», si ce n’est indispensable «à un moment où la com’ politique prend une place démesurée et où les hommes et femmes politiques savent très bien utiliser les médias, voire créent leurs propres médias».

Pour reprendre Nadine Morano, espérons donc qu’en cette drôle de période, les politiques ne se sentent pas encore un peu plus libres de s’enfoncer dans leur propre «caricature», reniant au passage «le réel objectif d’informer».

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