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Pourquoi les propos d'Aurane Reihanian, des jeunes avec Wauquiez, sur les enfants nés par PMA ou GPA n'ont pas de sens

La seule alternative pour les enfants nés par PMA ou GPA était la non-existence. La vie ne vaudrait donc pas d'être vécue?

LIONEL BONAVENTURE / AFP
LIONEL BONAVENTURE / AFP

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«En toute logique, ces enfants-là ne devraient même pas exister.» Ces enfants dont parle Aurane Reihanian, le chef des «jeunes avec Wauquiez», ce sont ceux nés par PMA ou GPA. Le sujet a été abordé alors qu’une journaliste de Libération l’interviewait pour réaliser son portrait, publié le 12 décembre dans le quotidien. Évidemment, la réponse du jeune militant a choqué. Pourtant, ce genre de propos est régulièrement proféré par les opposants aux technologies de reproduction sans que cela provoque autant de bruit.

Les nouvelles technologies d’assistance médicale à la procréation ont repoussé les limites de la nature: des couples autrefois infertiles peuvent maintenant avoir des enfants qui leur sont génétiquement liés. Cette révolution ne plaît pas à tous et un grand nombre de personnes s’indignent qu’un enfant puisse naître différemment.

La législation a suivi ce contre-mouvement de peur face au progrès technique, et les lois de bioéthique en France sur la reproduction sont extrêmement strictes. Si la procréation médicalement assistée (PMA) avec don de gamète est tolérée en France pour les couples hétérosexuels, c’est qu’elle imite de manière très proche la procréation naturelle. Comme l’explique Marcela Iacub, la PMA pour couples hétérosexuels est un «crime parfait» qui préserve les apparences d’une procréation sans artifice et sans transgression trop visible des «règles de la nature».

La PMA pour couples lesbiens et la gestation pour autrui (GPA), elles, violent trop ostensiblement ce modèle de procréation naturelle que la loi a sacré. Toutes sortes d’arguments sont alors avancés pour tenter de justifier des lois restrictives. Parmi ceux-là, les arguments dénonçant la souffrance supposée des enfants qui naissent de ces techniques tiennent une bonne place. Quel meilleur moyen de promouvoir une cause que d’utiliser des êtres sans défense à qui des parents inconscients et égoïstes nuiraient?

PMA, GPA, et principe de non-identité

 

Comment peut-on souhaiter que des gens n’existent pas? Même pour leur «bien»? Faisons un détour par le principe de non-identité. Celui-ci fut exposé pour la première fois dans le livre Reasons and Persons publié en 1984 où le philosophe britannique Derek Parfit l’illustra avec le scénario hypothétique d’une jeune fille de 14 ans:

«Cette fille choisit d’avoir un enfant. Parce qu’elle est si jeune, elle donne à son enfant un mauvais départ dans la vie. Bien que cela aura des conséquences négatives à travers la vie de cet enfant, on peut prédire que sa vie vaudra la peine d’être vécue. Si cette fille avait attendu quelques années, elle aurait eu un enfant différent, à qui elle aurait donné un meilleur départ dans la vie.»

Cette jeune fille a-t-elle pris une mauvaise décision? Face à ce scénario, la plupart répondra instinctivement que oui. La réalité n’est pas aussi simple: à qui a-t-on causé un tort? On ne peut affirmer que la jeune fille ait causé du tort à l’enfant qui naît: bien que sa vie n’ait pas commencé sous les meilleurs auspices, sa seule alternative était la non-existence.

Le spermatozoïde et l’ovule qui se rencontrent ne sont pas les mêmes selon le choix de la jeune fille. Au moment T, elle fera naître un enfant A, appelons-le Marc. Si elle avait attendu quelques années, au moment T’, un ovule et un spermatozoïde différents se seraient rencontrés et cela aurait mené à la naissance d’un enfant B, qu’on appellera Émilie.

Marc, né auprès d’une mère qui aura des difficultés pour l’élever, ne peut se plaindre de la décision de la jeune fille de procréer sans attendre. Cette naissance, aussi peu idéale soit-elle, est indissociable de son existence. Retenir les souffrances de Marc pour montrer que la jeune fille a commis une faute, c’est dire que ces souffrances sont si grandes qu’il aurait mieux valu qu’il ne naisse jamais. C’est absurde, et le principe de non-identité nous montre donc que l’acte de la jeune fille du scénario n’est pas immoral.

PMA, GPA: où est le tort envers les enfants?

 

L’application du principe de non-identité éclaire les arguments sur la souffrance supposée des enfants naissants de l’assistance médicale à la procréation. Pour ces enfants, quelle autre alternative que de naître par ces techniques?

Quand la psychothérapeute Anne Schaub explique qu’elle veut «dénoncer les écorchures imposées à l’enfant dans la gestation pour autrui» qui conduirait à «générer chez ce petit de la souffrance et de la pathologie relationnelle», suggèrerait-elle qu’il serait préférable pour ces enfants qu’ils naissent naturellement? Elle oublie que pour ces derniers la GPA est indissociable de leur existence-même. Il n’existe pas d’univers alternatif où ces enfants naîtraient dans le cadre naturel et classique que Anne Schaub appelle de ses vœux.

À tous les opposants aux techniques modernes de reproduction qui tentent de se justifier avec le bien-être des enfants, il faut donc poser la question: cette souffrance supposée est-elle si gigantesque et insoutenable qu’il vaut mieux ne jamais naître? Naître de deux mères par PMA serait-il une condamnation à une vie si affreusement douloureuse que la non-existence serait préférable? Absurde et en contradiction avec l’expérience de milliers de familles en France et à travers le monde.

Des troubles psychologiques non démontrés par la recherche scientifique

Au-delà des problèmes de logique de ces arguments, qu’en est-il de la recherche scientifique existante? Ces «écorchures» que dénoncent les conservateurs sont-elles réelles? La recherche est encore mince et mérite d’être approfondie, mais les résultats existants peinent à démontrer un tort associé à ces naissances non conventionnelles. Concernant la GPA, les quelques études disent les choses suivantes:

«La gestation pour autrui n’apparaît pas impacter négativement l’éducation des enfants ou leur développement au sein de familles avec des enfants de 2 ans.» — Golombok, S., MacCallum, F., Murray, C., Lycett, E., & Jadva, V. (2006). Surrogacy families: parental functioning, parent–child relationships and children's psychological development at age 2. Journal of child psychology and psychiatry, 47(2), 213-222.

«Les familles ayant procédé à une GPA ont maintenu une bonne relation dans le temps avec la gestatrice. Les enfants considéraient positivement leur mère porteuse et leur naissance par gestation pour autrui.» — Jadva, V., Blake, L., Casey, P., & Golombok, S. (2012). Surrogacy families 10 years on: relationship with the surrogate, decisions over disclosure and children's understanding of their surrogacy origins. Human reproduction, 27(10), 3008-3014.

«Bien que plusieurs études montrent que les parents de familles qui ont fait appel à des nouvelles technologies de reproduction sont plus engagées émotionnellement dans leur éducation que le sont les parents de familles conçues naturellement, aucune donnée empirique n’a été trouvée qui montrerait que le développement psychologique des enfants issus des nouvelles technologies de reproduction diffère de leurs homologues dans des familles conçues naturellement» — Bos, H., & van Balen, F. (2010). Children of the new reproductive technologies: social and genetic parenthood. Patient education and counseling, 81(3), 429-435.

Il en va de même pour les enfants nés par PMA chez des couples lesbiens:

«Les résultats ont montré que les enfants se développent de manière normale, et que leur ajustement n’était pas lié aux variables de structure comme l’orientation sexuelle parentale ou le nombre de parents dans le foyer.» - Chan, R. W., Raboy, B., & Patterson, C. J. (1998). Psychosocial adjustment among children conceived via donor insemination by lesbian and heterosexual mothers. Child development, 69(2), 443-457.

«Cette étude a comparé 15 couples lesbiens et les enfants de 3 à 9 ans nés d’elles par insémination avec donneur avec 15 familles correspondantes avec parents hétérosexuels. (…) Les résultats n’ont montré aucune différence significative entre les 2 groupes d’enfants, qui ont aussi obtenu de bons résultats par rapport aux échantillons de standardisation pour les instruments utilisés.» Flaks, D. K., Ficher, I., Masterpasqua, F., & Joseph, G. (1995). Lesbians choosing motherhood: A comparative study of lesbian and heterosexual parents and their children. Developmental psychology, 31(1), 105.

«Les adolescents qui ont été élevés dans des familles avec des mères lesbiennes depuis la naissance démontrent un ajustement psychologique sain.» Gartrell, N., & Bos, H. (2010). US National Longitudinal Lesbian Family Study: psychological adjustment of 17-year-old adolescents. Pediatrics, 126(1), 28-36.

La recherche scientifique existante semble donc pencher vers l’hypothèse selon laquelle que les enfants nés de GPA ou PMA ne souffrent d’aucun trouble psychologique.

Que les opposants à l’assistance médicale à la procréation cessent donc d’utiliser les enfants pour tenter de se justifier. Cet argument n’a strictement aucun poids dans un débat rationnel, et clamer qu’il serait préférable qu’ils n’existent pas est un affront envers les centaines d’enfants nés par GPA ou PMA à l’étranger et résidant aujourd’hui en France. Que ceux qui jugent préférable la procréation naturelle continuent d’utiliser cette méthode tout en laissant vivre en paix les couples et individus infertiles qui font usage de la médecine moderne pour fonder des familles.

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