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N'allez pas vous fatiguer à aller courir sur les quais

Faire son jogging le long d’un fleuve en milieu urbain permet de sentir les bouffées de vent sur son visage. Mais est-ce pour cela que l’air est forcément moins pollué? Pas si sûr.


<a href="https://pixabay.com/fr/jeune-fille-femme-coureur-691162/">Jogging sur berge</a> | Free-Photos via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/users/Free-Photos-242387/">License by</a>
Jogging sur berge | Free-Photos via Pixabay CC0 License by

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Le vent qui fouette les joues (et rend parfois la foulée difficile quand on va en sens contraire), ce sentiment de faire du sport dans un cadre plus sain, toutes les citadines et citadins qui décident d’aller faire leur jogging le long d’un canal, d’une rivière ou d’un fleuve connaissent ça.

J’avoue: du temps, lointain, où je m’escrimais à un footing hebdomadaire, je courais sur les bords de Marne ou alors autour du lac de Choisy ou de celui de Vincennes.

Cette sensation de rafales sur votre visage n’est pas seulement due à la vitesse de votre course du dimanche (surtout la mienne). «Si la rivière est encaissée avec des versants ou si tout autour il y a du bâti, cela peut créer un effet de canalisation et aussi de la turbulence», explique Hervé Delbarre, directeur du laboratoire de physico-chimie de l’atmosphère à la Maison de la recherche en environnement industriel de Dunkerque, à l’Université du Littoral-Côte-d’Opale.

Sur le vent, vous aviez tout bon. Sur l’impression d’air pur, un peu moins: «La perception de la pollution ne correspond pas forcément à la réalité.»

Pollution

Pourtant, de prime abord, tout laisse à penser que cet air que l’on respire à pleins poumons au gré de ses foulées y est moins contaminé que le long d’un axe routier, qui plus est si celui-ci est embouteillé.

Par exemple, à Paris, la piétonnisation des voies sur berges a été suivie d’une amélioration de la qualité de l’air le long des quais de la Seine, avec une baisse de 25% du niveau de dioxyde d’azote, comme l’indiquent les données recueillies par Airparif.

Certes, l’Association de surveillance de la qualité de l’air précise que «ces impacts [de la fermeture à la circulation des 3,5 km de la voie Georges-Pompidou sur les niveaux de dioxyde d’azote] ne touchent pas la pollution de fond et restent limités aux abords des axes routiers concernés». Mais ça veut quand même dire qu’en supprimant les émissions locales de polluants, on diminue les concentrations locales. Et donc que, s’il y a un cours d’eau sur une carte au lieu d’une voie à fort trafic routier, alors on peut en déduire que les concentrations de polluants seront moindres qu’à côté.

Brassage

Allez, hop, remballez, c’est plié? Pas si vite. On ne peut pas généraliser, fait remarquer Hervé Delbarre: «Chaque site va avoir un comportement particulier, suivant sa topographie notamment (si le terrain est plat ou s’il y a du relief autour, des arbres, du bâti…). Il n’y a aucune raison de manière générale pour qu’il y ait un air plus propre autour des canaux en situation urbaine.»

Comment ça? Tout simplement parce que le vent vif qui vient rougir vos pommettes ne vient pas disperser les polluants. Au contraire. On va vous expliquer. Calmement.

«En général, les situations bien aérées, comme la situation de tempête du lundi 11 décembre, se traduisent par un balayage des polluants et un niveau de pollution faible.» Ah, quand même. Mais –parce qu’il y a toujours un mais– les tempêtes, malgré le changement climatique, ce n’est pas la situation classique.

Au quotidien, il y a donc un peu de vent, davantage si la configuration topographique autour du cours d’eau le veut. Et «ce vent, dans le cadre urbain, va avoir tendance à brasser les polluants et à homogénéiser l’air», pointe le spécialiste de la pollution de l’air, de même que «le chauffage thermique du sol par le soleil génère aussi un brassage vertical, qui y participe également».

Solubilisation

Ce n’est pas tout. Le vent, en créant des vaguelettes à la surface de l’eau, va agrandir la surface d’échange entre l’eau et l’air, ajoute Christine Piot, enseignante-chercheuse en chimie de l’environnement à l’Université Savoie-Mont-Blanc.

Eh oui, il se passe plein de réactions chimiques à la surface de l’eau, qui commencent à être documentées pour les lacs et seulement à être étudiées pour les cours d’eau (l’eau étant en mouvement constant, vous comprendrez que c’est un peu plus compliqué à mesurer).

Or «l’eau peut capter des polluants dans l’air sous forme gazeuse, qui vont se solubiliser dans l’eau», à l’instar du CO2 mais aussi des oxydes d’azote ou de l’ozone. Plus il y a de vent, plus il y aura de vagues et moins il y aura de polluants dans l’air alors? Raté. Ça dépend des polluants, du delta de température entre l’air et l’eau. Ainsi, les particules fines, elles, ne seront pas piégées par l’eau.

Revolatilisation

Et puis, de toute façon, les échanges vont dans les deux sens. «Une partie des polluants sous forme dissoute dans l’eau peut se revolatiliser», détaille l’experte en chimie des transferts air-eau. Au final, plus ou moins de pollution dans l’air grâce à l’eau? Désolée, «pour l’instant, il n’y a pas de conclusions fermes». Mais que l'on se rassure, les études suivent leur cours. Vous saurez un jour, vous saurez.

Avec tout ça, vous ne savez plus si ça vaut la peine d’aller courir au bord de l’eau puisque le cours d’eau n’a même pas le mérite de purifier vos franches inspirations…

Si vous tenez vraiment à anhéler un air un peu moins pollué, signale Hervé Delbarre, «il est important de ne pas courir à n’importe quel moment: les gens courent le matin ou le soir, lorsque le trafic est à son maximum, les émissions les plus importantes et, par des effets thermiques, les polluants piégés dans une couche d’air assez fine». C’est donc plus une question de moment que de lieu. Mais vous pouvez toujours allez faire du running sur les quais de votre cours d’eau favori pour la vue (à couper le souffle).

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