Santé

Affaire du glyphosate: cessons une bonne fois pour toutes de tourner le dos à la modernité

Si en France de nombreuses voix l'associent à un produit dangereux, les études scientifiques se veulent largement rassurantes quant aux effets que pourrait avoir cet herbicide sur l'homme. Il est tout à fait logique que les États de l'Union européenne aient confirmé son autorisation d'être commercialisé.

EMMANUEL DUNAND / AFP
EMMANUEL DUNAND / AFP

Temps de lecture: 7 minutes

Tout jardinier, tout agriculteur, tout vigneron, cherche à privilégier la plante dont il espère les fleurs ou les fruits. Mais toute terre contient des graines d’autres plantes. Certaines ont été transportées par le vent, d’autres par des animaux et toutes ne demandent qu’à germer, puis à pousser si le sol est travaillé, arrosé et nourri d’engrais. Donc, si rien n’est fait, les mauvaises herbes, les «adventices» vont se développer et concurrencer, voire étouffer, la plante que l’on veut cultiver; il faut donc les éliminer.

On peut le faire de manière physique: à la main en se baissant beaucoup, avec une binette en se baissant un peu moins, en utilisant des herses pour les détruire ou de charrues pour les enfouir. On peut également, aujourd’hui, épandre des produits chimiques: les «herbicides». Ils évitent ces travaux pénibles, consommateurs d’énergie humaine, animale ou mécanique.   

Nécessaire rotation des cultures

 

Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde. Ce défoliant universel s’attaque aux feuilles (pas aux troncs, ni aux racines); il est peu cher, simple, souple et d’utilisation facile et donc, quand c’est possible, remplace avantageusement les façons culturales traditionnelles. Il est aussi utilisé dans les parcs et jardins pour «nettoyer» les allées de leurs mauvaises herbes et, autres applications, heureusement moins fréquentes, comme celle de la police colombienne qui s’en est servi pour détruire les champs illégaux de coca.

Il peut aussi contribuer à la maturation des plantes juste avant la moisson –le blé notamment– et par épandage, favoriser les cultures de conservation des sols en évitant les labours ce qui développe la vie souterraine des lombrics et autres faunes qui vivent dans le sol. 

Toutefois des applications répétées de ce produit sur les mêmes champs peuvent sélectionner des adventices résistantes et le rendre à la longue inefficace. Rien de différent de ce qui se passe en médecine humaine quand on prescrit trop souvent le même antibiotique. D’où, en agronomie, la nécessaire rotation des cultures et l’usage d’autres herbicides.

Le «méchant» Monsanto

 

Ce mécanisme de résistance naturelle des plantes a ouvert des horizons aux sélectionneurs de variétés cultivées. Par exemple, en rendant résistant par transgénèse un maïs à cet herbicide, il devient très facile d’éliminer les adventices –le plus souvent non résistantes– et de ne conserver dans le champ que le maïs résistant: il suffit d’épandre du glyphosate. Ceci simplifie grandement la culture et économise de l’ordre de 200€ par hectare dans les pays ou les OGM sont autorisés.

De telles semences sont produites par Monsanto, entreprise qui connaît bien cette molécule, brevetée par elle en 1974, mais qui, depuis, est tombée dans le domaine publique et est abondamment copiée par les Chinois. On pressent alors que l’analyse va quitter l’agronomie pour pénétrer le champ de la politique, car entrent en jeu des acteurs que la doxa de l’écologie politique place du côté obscure de la Force: Monsanto, OGM, herbicide; un «méchant» et deux de ses armes d’un seul coup, une belle cible!

Mais avant d’y revenir, évoquons non pas les questions posées par d’éventuelles copies de documents entre entreprises et instances de régulation, mais le fond du problème, à savoir: a-t-on vraiment des preuves irréfutables de la dangerosité de ce produit? Si oui, à quelle dose? Et, qui pourrait courir des risques, dans quelles conditions, en l’utilisant?

Le glyphosate est-il dangereux?

 

Avant de répondre à ces questions, revenons sur l’usage du qualificatif de «dangereux» en santé publique. Un produit est dangereux quand il peut avoir des effets pathogènes. Or, nous vivons entourés de produits familiers dangereux: l’eau de javel, par exemple, mais aussi l’alcool et le tabac.

En outre, certains produits réellement dangereux n’éveillent pas de crainte particulière ce qui n’enlève rien à leur dangerosité à certaines doses: le sel favorise le développement de maladies cardiaques; le sucre, le diabète... En outre, beaucoup de produits naturels, quasiment tous d’ailleurs, ont des traces de substances dangereuses car soit neurotoxiques (pomme de terre), soit cancérigènes chez le rat (les benzènes dans le café, les furanes, le céleri, le pain…).

Quant aux perturbateurs endocriniens, si vous les redoutez, surtout ne mangez pas de soja, il contient des isoflavones. Et enfin, pour ce qui est de véritables poisons, ne buvez pas de kirsch, cette merveilleuse eau-de-vie contient des traces d’acide cyanurique! Le danger est partout. Toutefois, ce n’est pas parce qu’une molécule est dangereuse qu’elle fait courir un risque: le risque va dépendre de l’exposition à ce produit. Donc, même à supposer que le glyphosate soit dangereux à certaines doses, il ne fait pas nécessairement subir un risque aux agriculteurs ou aux consommateurs, tout va dépendre de la dose.

«Probablement cancérigène pour l’homme»?

Pour ce qui d’un éventuel effet cancérigène, l’institution mondiale qui analyse le danger (pas le risque donc) de tous produits, ondes, ou rayonnements est le Circ, le Centre international de recherche sur le cancer. Rattaché à l’Organisation mondiale de la santé, il a classé le glyphosate dans la catégorie 2A: «Probablement cancérigène pour l’homme». Ce classement s’applique aux produits pour lesquels existent des «indications limitées de cancérogénicité chez l’homme et suffisantes chez l’animal».

Pourtant, déjà, avant l’étude récente publiée en novembre 2017 par le Journal of The National Cancer Institute, les quatre études citées par le Circ pour justifier de son classement étaient très critiquées car elles ne contrôlaient pas l’exposition des agriculteurs aux autres pesticides. Depuis quelques jours, ces études rétrospectives méthodologiquement fragiles ont été balayées par la longue étude prospective publiée dans ce journal: elle ne trouve pas chez l’homme d’association entre l’exposition au glyphosate, les cancers solides ou liquides et, notamment, le rare lymphome non hodgkinien dont la survenue était jusque-là évoquée comme étant éventuellement favorisé par le glyphosate.

Quant à l’effet potentiellement cancérigène chez l’animal, le Circ a, là encore, retenu des expérimentations qui ne sont pas conformes aux normes des essais en toxicologie. Les expériences ont utilisé des doses très au-dessus «des doses maximales tolérables» et les ont imposées à des rats qui, par ailleurs, développent spontanément des tumeurs (la souche «Sprague-Dawley»). On ne peut donc rien dire de l’effet spécifique du glyphosate.

Si bien que toutes les agences sanitaires européennes, à l’exception du Circ, affirment que le glyphosate n’est pas cancérigène. Il en est ainsi, en France, de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (l'Anses), et en Europe, de l’European Food Safety Authority (EFSA), l’European Chemicals Agency (ECHA) et l’agence allemande Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR) qui, après réexamen du dossier, a également confirmé son avis favorable. Le dossier a charge du Circ sur le glyphosate est quasiment vide.

Le Circ, ou l'abus de la précaution

 

S’il n’est pas dangereux chez les agriculteurs qui le manipule, il l’est encore moins chez les consommateurs, même si l’on trouve parfois des traces de ce produit, comme de tous les autres, dans certains aliments et dans l’eau. La chimie analytique est devenue si précise qu’elle mesure des millionièmes de millionièmes de gramme, soit un gramme dans un million de tonnes! Rappelons que les agriculteurs sont en meilleure santé que le reste de la population, qu’ils développent moins de cancers et de maladies dégénératives.

Si un produit si utilisé, depuis si longtemps, pour lequel on fait un tel battage médiatique était dangereux, nul doute que cela se verrait. Rappelons que le Circ a la cancérogénèse facile: dans les 800 produits, ondes, rayonnements, molécules que ce centre a étudié, un seul –le caprolactame– a été déclaré «probablement pas cancérigène»! Si bien qu’avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, des sénateurs américains se demandaient s’il fallait continuer à financer un si précautionneux Circ.

On est, enfin, conduit à s’étonner de la couverture et du temps médiatique consacrés à ce sujet dont on peut dire qu’il n’est pas le plus prioritaire, ni le plus scandaleux, des sujets de santé publique. Il n'y a qu'à voir le déluge d'articles et de commentaires quand son autorisation de commercialisation a été prolongée de cinq ans par les États de l'Union européenneQuant à la volonté de la France d'interdire le glyphosate dans trois ans, on n’en a pas encore mesuré les ravages dans le monde agricole. Les agriculteurs se demandent pourtant déjà comment ils vont travailler quand cet herbicide sera interdit et à quel coût sortira alors, en France, le quintal de blé ou de maïs.

Quant au consommateur, à supposer, ce qui n’est pas le cas, que des traces infimes de glyphosate soient dangereuses, il ne serait pas protégé car la France ne pourra pas interdire l’importation de végétaux européens et remettre en cause les accords avec les pays tiers. Ainsi, qui connait les herbicides et les pesticides utilisés au Kenya pour faire pousser des haricots-verts? Soulignons enfin que les cultures dites «bio» ont un rendement de 20% à 25% inférieur à celui obtenu par l’agriculture raisonné, il faudra donc davantage de surface supplémentaire pour la même production agricole. Est-ce une si bonne idée quand on souhaite préserver des espaces «naturels» de la planète? 

Un dangereux projet idéologique

 

Ce qui il y a derrière ces campagnes n’a rien à voir avec la santé des agriculteurs ou des Françaises et des Français mais beaucoup avec le projet des écologistes politiques, politiquement faibles mais idéologiquement victorieux. Apôtres de la décroissance, ennemis du progrès quand les bienfaits viennent de grande entreprise, ils ont déjà réussi à sortir de France une partie de ce qui sera les grandes industries du XXIe siècle, notamment le génie génétique en agronomie.

Remarquons d’ailleurs que l’oligopole mondial entre Bayer et Monsanto doit beaucoup à José Bové qui a tué l’avance que la France avait en matière d’OGM. Nous avons là tout perdu: la recherche, le développement et nous importons des OGM, notamment ceux de soja. Le nouveau monde se construit sans la France.

Tout ceci n’est pas un blanc sein pour Monsanto qui peut abuser de sa position oligopolistique et sait, comme les autres, utiliser les mécanismes d’influence qui servent ses intérêts. Mais n’est-ce pas une curieuse façon que de limiter le débat sur ces difficiles questions en se contentant de l’analyse d’éventuels ou de réels conflits d’intérêts, sans jamais traiter le sujet au fond sauf en sélectionnant les études qui sont à charge?

Quant à la décision française d’une prolongation limitée à trois ans, on se demande pourquoi le gouvernement a eu besoin de se placer dans une situation délicate? Il ne pourra le faire en effet qu’en reniant un de ses ministres, ou en provoquant la colère du monde agricole qui ne cherche qu’à être dans la même situation que ses concurrents européens. D’ici trois ans, à ma connaissance, il n’y aura pas de substitut aussi peu dangereux, aussi bon marché, aussi utile que le glyphosate et je ne crois guère au retour à la binette!

 
En savoir plus
cover
-
/
cover

Liste de lecture