Santé / Égalités

Fuites urinaires: laissez les couches au placard!

Les troubles urinaires ne sont pas l’apanage des 4e et 3e âges: ils concernent 3 à 3,5 millions de femmes en France, dont 10% sont âgées de 20 à 30 ans.

<a href="https://pixabay.com/fr/robinet-fontaine-distributeur-d-eau-1684902/">Moins d’un tiers des femmes souffrant d'incontinence ose en parler à leur médecin ou leur gynécologue.</a> | 3345408 via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/users/3345408-3345408/"></a>
Moins d’un tiers des femmes souffrant d'incontinence ose en parler à leur médecin ou leur gynécologue. | 3345408 via Pixabay CC0

Temps de lecture: 8 minutes

«Je ris, j’éternue, j’ai des fuites urinaires», nous dit cette femme active, souriante et apprêtée dans une publicité bien connue dédiée aux fuites urinaires.

Cette réclame agace profondément Nadine. Tout comme celle-ci, mettant en scène une bande de femmes étonnamment joyeuses, heureuses de danser toutes ensemble sans raison apparente. À moins que ce soit le port d’une couche-culotte qui les mette dans cet état de transe collective.

«Dans ces publicités, je déplore le fait qu’on prenne les fuites urinaires à la légère. C’est un problème sérieux. Les personnages rigolent et vivent leur vie normalement. Ce n’est pas si simple que ça de mettre une couche culotte! C’est difficile à accepter», regrette Nadine.

Âgée de 62 ans, elle a déjà été opérée une fois pour ses problèmes urinaires. Traitée depuis pour un cancer, elle devra bientôt repasser sur la table d’opération, pour en finir, définitivement l’espère-t-elle, avec l’incontinence. Porter des protections, elle connaît, et pour elle, ce n’est pas le remède idéal! «Il faut parcourir tout un chemin, psychologiquement, avant de se rendre au rayon couches. Et on va plutôt en grande surface qu’en pharmacie, c’est plus discret. Je préfère être dans mon rayon et regarder le nombre de gouttes sur le paquet, car encore aujourd’hui, je ne me sens pas capable de m’adresser à mon pharmacien», ajoute-t-elle.

Les protections: utiles, mais…

Pour les professionnels de santé, les publicités pour les protections posent également problème, mais pour une autre raison. «On a été ému par certaines publicités faisant état des couches comme si c’était la panacée. Les couches, oui, c’est une aide utile, soit de manière transitoire, soit après avoir envisagé toutes les autres possibilités en vain. Les protections ne sont qu’un dernier recours», insiste Christian Castagnola, urologue, vice-président délégué à la communication de l’Association française d’urologie, qui organise chaque année la semaine de la continence et propose des campagnes d’information pour le grand public.

Même analyse pour Odile Cotelle, médecin à l’hôpital des Diaconesses à Paris, spécialiste des troubles mictionnels et présidente de l’Association d’aide aux personnes incontinentes: «Ces publicités sont une incitation à ne pas aller voir un médecin, elles gomment complètement le fait qu’il existe des médicaments, de la rééducation, des changements de comportement et des chirurgies contre les fuites urinaires et l’incontinence.» Cette praticienne reconnaît toutefois une qualité à ces spots, et non des moindres: «Elles contribuent à faire prendre conscience aux gens qu’il n’y a pas qu’eux qui ont ce problème!»

L’incontinence, ce gros mot qui fait rougir

On estime qu’en France, 3 à 3,5 millions de femmes souffrent d’incontinence et de fuites urinaires. Souvent liés aux accouchements, les troubles mictionnels concernent en grande majorité les femmes. Le nombre d’hommes touchés par ce problème, le plus souvent lié à la chirurgie d’une pathologie prostatique, s’élèverait à 1 million voire 1,5 million.

Sur ces trois millions de femmes, près de la moitié souffre d’incontinence d’effort –avoir des fuites en éternuant ou en toussant, par exemple–  et 10% à 20% d’incontinence d’impériosité –ne pas pouvoir se retenir dès qu’on ressent l’envie d’uriner. Le reste d’entre elles présente une incontinence mixte, d'effort et d'impériosité à la fois.

Ces troubles ne sont pas réservés aux personnes âgées: des femmes jeunes et très jeunes peuvent en souffrir. Selon l’étude norvégienne Epincont, près de 12% des femmes âgées de 20 à 30 ans sont concernées. Un chiffre qui augmente avec l’âge, pour grimper jusqu’à 30% à l’âge de 50 ans. Des statistiques dignes de ceux des enjeux de santé publique, comme le diabète par exemple.

Pourtant entre les femmes qui souffrent d’incontinence et celles qui consultent, le fossé est large. Selon cette même étude, moins d’un tiers des femmes ose en parler à leur médecin ou leur gynécologue. L’incontinence est un tabou, un gros mot qui renvoie dans l’imaginaire collectif à la grande gériatrie ou à la grande pédiatrie, quand il est question de «faire pipi dans sa culotte».

Ne pas attendre que la situation dégénère pour consulter

Nadine a attendu 4 ou 5 ans avant d’oser en parler à son médecin. «Mais à 40 ans, même avec des protections, ça ne devenait plus gérable. C’était le jour, la nuit. En voiture, il fallait toujours s’arrêter pour moi», se souvient-elle. Elle n’en avait parlé à personne, pas même à ses enfants. Et quant elle a été opérée, elle a évoqué un problème gynécologique, plus avouable que l’incontinence.

Pour Mathilde, aujourd’hui âgée de 52 ans, les troubles ont débuté entre 35 et 40 ans. Pourtant, elle n’a consulté un médecin pour son incontinence qu’à 49 ans! «Les femmes mettent en moyenne neuf ans avant de venir consulter, c’est énorme», confirme de son côté Odile Cotelle.

Nombre d’entre elles attendent, comme Mathilde, que la situation dégénère et devienne insupportable: «J’étais trop mal à l’aise pour en parler. Mais j’étais vraiment handicapée, depuis plusieurs années.» Ce sont alors différents stratagèmes qu’elle a élaborés pour que personne ne soit au courant: «Quand je sortais, je portais des manteaux longs. Dès que je voyais des toilettes, j’y allais, au cas où. Je ne buvais plus jamais de thé chez mes amis, prétextant que je venais d’en boire un…» Et puis, les derniers mois, la situation s'est tellement dégradée que Mathilde s’est enfin décidée à consulter.  

«On a toutes des moments oups, c’est la vie!», nous explique cette autre publicité.

Des moments oups? Des fuites urinaires! Non, les fuites urinaires, ce n’est pas la vie. Vous avez des moments oups? Consultez un médecin, voyez un spécialiste. C’est en réalité la première chose à faire pour quiconque est embarrassé par des troubles urinaires.

«Si cette gêne affecte la qualité de vie, la première chose à faire est de consulter, faire un état des lieux, mener une enquête étiologique afin de déterminer la raison de cette incontinence et ce qu’on peut  proposer comme traitements et prise en charge», pose le Dr Castagnola. «Si on consulte immédiatement, de nombreux conseils, notamment comportementaux, pourront être donnés. Le professionnel pourra prescrire des séances de rééducation afin de protéger la région du petit bassin et éviter que la situation ne s’aggrave», ajoute Odile Cotelle. 

Une prise en charge parfois décourageante

«À un symptôme unique, il n’y a pas de traitement unique derrière. C’est pour ça qu’il est important que le professionnel de santé connaisse bien cette pathologie de A à Z et qu’il puisse orienter la patiente une fois qu’il a posé un diagnostic et a identifié l’origine des fuites», renchérit l’urologue.

S’adresser à la bonne personne, à un professionnel de santé compétent, voilà qui peut poser un nouveau problème à la femme qui aurait enfin osé en parler. Quand Mathilde est allée trouver son médecin généraliste, elle s’est entendue répondre: «C’est normal après six enfants». «J’ai alors quitté le cabinet en disant “amen”, persuadée qu’il n’y avait rien à faire», se souvient-elle. Mais elle a insisté, le quotidien étant devenu trop difficile à vivre.

Depuis, Mathilde a été opérée. Aujourd’hui, elle «regrette tellement d’avoir attendu si longtemps». Idem pour Nadine: «Il faut que les femmes franchissent le cap parce que le bien-être après est tel qu’on se dit: “mais pourquoi je ne l’ai pas fait avant?”», encourage-t-elle.

Édith Cordier est secrétaire générale de l’association d’aide aux personnes incontinentes. Elle assure aussi la permanence téléphonique et reçoit près d’une cinquantaine d’appels par mois. Parmi les personnes qui lui téléphonent, «54% estiment ne pas bénéficier d’une écoute suffisamment attentive de la part de leur médecin», assure-t-elle.

«Certains médecins généralistes, certains gynécologues n’en parlent jamais. Pour eux, c’est un symptôme qui n’existe pas, analyse Odile Cotelle. Le problème des fuites urinaires, c’est qu’elles prennent beaucoup de temps. Les consultations sont rallongées si on prend la peine de s’y intéresser de près, pourtant le tarif reste le même.  Alors, certains médecins ou spécialistes préfèrent tout simplement ne pas en parler et ne jamais poser de questions aux femmes à ce sujet», reconnaît-elle, avant d’ajouter: «La prise en charge par un gynécologue de base ou un généraliste de base est rarissime ou mal adaptée. Certains médecins prescrivent un médicament qui apportera une amélioration de 5% à 10% neuf fois sur dix, mais qui n’ira pas au fond du problème.»

Difficile dans ce cas pour les femmes de s’accrocher; il faut avoir l’énergie et les ressources nécessaires pour parvenir à ses fins: obtenir une prise en charge adaptée à leur situation, par un professionnel compétent. Du côté des gynécologues, vers qui les femmes se tournent fréquemment, la prise en charge varie, selon le Dr. Cotelle, en fonction de l’âge du praticien: «La génération de gynécologues “seniors”, sauf ceux qui ont suivi une formation complémentaire, n’a pas le traitement des fuites urinaires dans son patrimoine génétique.»

Pour les généralistes, savoir orienter les femmes vers les professionnels compétents

Hors de question toutefois pour Odile Cotelle ou Christian Castagnola de jeter la pierre aux généralistes. «Il est extrêmement difficile d’obtenir une formation, alors on va plutôt se former dans des domaines utiles aux fonctionnement du cabinet, comme l’informatique ou des choses plus “nobles” comme les violences ou les addictions. Les fuites urinaires ne mettent pas la vie en jeu, il est difficile d’aller consacrer du temps à ce sujet», reconnaît la première.

«Les généralistes sont déjà suffisamment débordés», plaide de son côté Christian Castagnola. Alors que ferait un généraliste, pas forcément formé sur la question, pour accompagner au mieux sa patiente? Il l’écoute et «l’oriente vers un professionnel spécialisé qu’il connaît», tranche la médecin des Diaconesses.

Pour ces deux-là, c’est aussi aux femmes de se prendre par la main. «Nous, notre travail, c’est d’informer, d’expliquer que l’incontinence n’est pas un sujet tabou et que des solutions existent. Mais la démarche doit venir des femmes», affirme l’urologue. 

Quant aux conséquences de la grossesse et de l’accouchement, souvent à l’origine des troubles urinaires chez la femme? «Pour ne pas être au courant, il faut vraiment s’en désintéresser, pour des raisons diverses! L’information est partout aujourd’hui», assure Odile Cotelle.

Pourtant les femmes qui ont accepté de nous parler sont unanimes, l’information n’est pas suffisamment accessible. «Quand les femmes sont enceintes, on devrait davantage les mettre en garde et leur expliquer ce qui peut leur arriver, parce qu’à 40 ans, il est trop tard, lâche Nadine. On nous donne des séances de rééducation, mais l’ordonnance reste dans le tiroir. On nous dit qu’elles feront du bien au périnée, mais jamais qu’on risque l’incontinence si on ne les fait pas!»

Se préparer à l’«aventure extrême» de l’accouchement

Aujourd’hui, la rééducation est de plus en plus systématique. Mais là encore, Julie, 34 ans, maman d’une petite fille de deux ans, dénonce un manque d’information. Sa vessie est descendue lors de son accouchement, le diagnostic a été posé par un kiné près d’un an après la naissance de son bébé.

Les prolapsus concernent 20% des femmes qui accouchent, la vessie remonte pour la moitié d’entre elles. Pour les autres, c’est plus compliqué. Julie comptabilise près de 150 séances de rééducation, d’abord du périnée –des séances qui n’ont pas servi à grand-chose–, puis des abdominaux, ce qui l’a sauvée. «Bon, je me ferai malgré tout opérer quand j’aurai eu tous mes enfants, sinon, à 50 ans, je serai incontinente», prédit-elle.

L’accouchement, une expérience pas si fréquente dans une vie, n’est pas à prendre à la légère. «L’accouchement est une aventure extrême qu’il ne faut pas banaliser. Ça se prépare comme un marathon!», remet Odile Cotelle.

Encore faut-il savoir à quoi se préparer! «Je n’avais jamais entendu parlé de possibles fuites urinaires avant d’accoucher. Seule ma sophrologue m’a parlé de mon périnée et m’a proposé des exercices. Clairement, les femmes ne sont pas assez prévenues des conséquences possibles et c’est dommage. Quand tu sais à quoi t’attendre, tu es moins surprise et surtout, il existe des moyens de prévention et des moyens de se préparer», assure celle qui a pourtant suivi assidûment des cours de préparation à l’accouchement.

Pour que le regard de la société évolue

Julie a remué ciel et terre pour en finir avec son incontinence. Son gynécologue était décontenancé par la situation –«Peut-être que dans le VIIIè arrondissement de Paris, on ne parle pas de ces choses-là»– , son premier kiné lui a dit après de nombreuses séances d’une rééducation du périnée inefficace qu’il ne pouvait plus rien faire pour elle, l’urologue lui a assuré qu’il ne pouvait pas l’aider tant qu’elle n’avait pas eu tous ses enfant. Un ostéopathe, qu’elle voit toujours, l’a adressée à la bonne personne, un kinésithérapeute qui a axé le travail sur les abdominaux. Un parcours du combattant qui en aurait découragé plus d’une. 

Les solutions existent. Toutefois, pour certaines femmes, il n’y a rien à faire sauf apprendre à vivre avec les fuites urinaires. Dans ce cas, bien sûr, les protections sont salvatrices, mais ruineuses. «Avec ce que j’ai dépensé en couches, j’aurai pu obtenir la moitié des parts de la société», ironise Julie.

C’est pourquoi l’association d’aide aux personnes incontinentes se bat pour faire baisser la TVA de ces produits –qui ne sont pas considérés comme des produits médicaux–, à 5,5% au lieu de 19,6%. Et peut-être même obtenir le remboursement par la Sécurité sociale de ces protections. Pour Edith Cordier, qui recueille la parole des femmes et des hommes qui souffrent d’incontinence, «c’est un véritable handicap. Il est urgent que le regard de la société et des pouvoirs publics sur l’incontinence évolue».

En savoir plus
cover
-
/
cover

Liste de lecture