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Sur YouTube, des enfants exploités par leurs parents cupides et/ou timbrés

La plateforme commence à réagir... lentement.

YouTube, vidéo non disponible | Capture d'écran / YouTube
YouTube, vidéo non disponible | Capture d'écran / YouTube

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur BuzzFeed News, LCI

YouTube est depuis quelques temps déjà le théâtre d'une nouvelle «tendance» pour le moins troublante, si ce n'est parfois odieuse. Elle consiste à filmer ses propres enfants dans des situations glauques ou effrayantes —provoquées par les parents— et à diffuser le résultat sur la plateforme, récoltant au passage des millions de vues et des millers d'euros. Tournées dans le cadre du foyer, ces vidéos jouent sur le registre périlleux de la grosse farce potache «en famille», qui peut très vite basculer vers le harcèlement ou la maltraitance sur enfant.

Une enquête menée par BuzzFeed News relève qu'un grand nombre de ces vidéos semble provenir d'Europe de l'Est. Elles ne s'y limitent pas. En mai dernier, le couple américain tenant la chaîne «Daddy O Five» –désormais largement épurée mais toujours active– s'était vu retirer la garde de ses enfants à la suite d'une série de canulars humiliants. Il y a quelques jours, c'est la chaîne «Toy Freaks» qui était supprimée de YouTube. Ces chaînes comptent parfois plusieurs millions d'abonnés, sur des comptes vérifiés, qui publient des centaines de vidéos montrant des enfants affolés, en pleurs, ou contraints de se prêter à des «jeux» plus ou moins malsains.

Buzzfeed News note ainsi un certain nombre de situations récurrentes où des enfants apparaissent attachés avec des cordes, faussement kidnappés, devant «jouer au docteur» avec un adulte, dans des vidéos qui impliquent souvent des mixtures douteuses à ingérer, des déjections ou des insectes.

YouTube prend quelques mesures

Interpellé sur ces infractions à la charte, YouTube a suspendu une cinquantaine de chaînes et supprimé une centaine de vidéos de ce genre au cours de la semaine dernière. Le site a affirmé dans un communiqué que ces mesures intervenaient dans un plan pour combattre ce type de contenus abusifs relatifs aux familles et aux enfants.

Il est également prévu que les dessins animés à destination d'un public adulte, montrant «des personnages faisant des choses que nous ne voudrions pas nécessairement être vues par des enfants», soient soumis à des limites d'âges. Le flou quant aux caractéristiques de ces critères moraux ne va cependant pas sans poser question: on se souvient d'un certain filtre pour «contenus matures» qui avait masqué en «mode restreint» les vidéos de youtubeurs LGBT en mars dernier.

Selon YouTube, trois millions de vidéos aurait ainsi été privées de publicité sur la plateforme depuis juin, et l'entreprise travaillerait à surveiller les sections commentaires de vidéos où figurent des mineurs, clôturant complètement la section dans le cas où des «commentaires  de prédateurs» seraient postés. YouTube affirme vouloir s'engager dans un accompagnement des youtubeurs concernant ces questions de l'enfance, fournissant un guide et engageant des experts de la sécurité de l'enfant.

À la fin de son enquête, Buzzfeed News publie pourtant toute une série de captures d'écran de vidéos, toujours en ligne sur la plateforme quoique signalées pour leurs contenus abusifs. Matan Uziel, le curateur de Real Women Real Stories, une plateforme permettant aux femmes de raconter les violences qu'elles ont subies, avait déjà alerté YouTube à plusieurs reprises sur ces «dizaines de milliers de vidéos disponibles, que nous savons être élaborées comme des friandises pour les yeux de pervers, d'adultes louches, de prédateurs en ligne, pour satisfaire leurs fantasmes sur les enfants». Sans succès.

La promotion de produits, une exploitation au goût de bonbon

Au-delà des violences faites aux enfants sur YouTube se pose encore la question de leur exploitation, dans des vidéos qui peuvent apparaître plus anodines, mais dont la rentabilité les met sur un autre plan.

La grande mode des vidéos de «unboxing», qui consistent à déballer face caméra un produit que l'on vient d'acheter ou de recevoir, n'épargne pas certaines chaînes mettant en scène des enfants. On y voit des chérubins tout heureux de dépaqueter des cadeaux dont ils font bientôt la promotion, devant des millions de personnes. L'ennui, c'est justement l'ampleur du phénomène. Ces vidéos ne sont pas anecdotiques ou ponctuelles, mais permettent à certains parents de récolter jusqu'à 5.000 euros par mois, ce qui est le cas de la chaîne «Démo Jouets», qui touche 80 centimes pour 1.000 vues.

Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, sollicité par LCI, soulignait la «zone grise» du code du travail sur les métiers d'internet, ajoutant:

«Pour moi, s’ils font des vidéos de manière récurrente et qu’ils tirent des revenus de leurs enfants de manière non déclarée, c’est illégal. Il s’agit d’une véritable industrie qui génère beaucoup d’argent.»

Alors que l'éthique de YouTube se déploie toujours dans un brouillard bien épais, le cadre juridique n'est guère plus explicite. Pendant ce temps, une génération d'enfants grandit sans toujours bénéficier de la protection adéquate.

 

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