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Mugabe est parti, mais son système est toujours en place

L’armée du Zimbabwe n’a pas renversé le régime. Elle n’a fait que restaurer le pouvoir de la vieille garde corrompue.

Robert Mugabe à une remise de diplômes universitaires à Harare (Zimbabwe), le 17 novembre 2017 | Jekesai Njikizana / AFP.
Robert Mugabe à une remise de diplômes universitaires à Harare (Zimbabwe), le 17 novembre 2017 | Jekesai Njikizana / AFP.

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Jusqu’au bout, le président Robert Mugabe a laissé les Zimbabwéens dans l’incertitude, mais son règne de 37 ans est enfin terminé. La semaine dernière, le plus ancien chef d'État africain en exercice avait été assigné à résidence par son propre chef d’état-major, le général Constantino Chiwenga. Une manifestation de masse s’en était suivie, le samedi 18 novembre, qui avait vu des milliers de personnes descendre dans les rues pour réclamer son départ. Dimanche, le Zanu-PF, parti au pouvoir, avait officiellement écarté le président Mugabe, sa femme Grace et plusieurs de leurs alliés les plus proches. Le soir même, le président prononçait une allocution télévisée à l'échelle nationale dans laquelle il devait déclarer démissionner de ses fonctions. À la stupeur générale, il n’en avait rien fait.

Après avoir tenu tête à ses opposants pendant près de quatre décennies, on pouvait alors imaginer que ce dirigeant célèbre pour son obstination, avait encore conservé une dernière carte dans sa manche. Mais le temps de Mugabe était finalement bien révolu. Il a démissionné mardi, peu de temps après le lancement des procédures de destitution par le Parlement. Mais l’ombre de Mugabe va encore planer longtemps sur la vie politique du Zimbabwe.

Faibles perspectives de réformes

Seul dirigeant de cette nation d’Afrique australe depuis la fin de la Rhodésie contrôlée par la minorité blanche jusqu’en 1980, Mugabe a été largement responsable du mouvement qui a vu le Zimbabwe passer du statut de puissance régionale en devenir à celui d’un État prédateur au service des corrompus et des prévaricateurs. À sa naissance, le pays exportait des denrées alimentaires; aujourd'hui, la moitié de la population rurale vit de l’aide internationale.

Les manifestations massives contre Mugabe de ce week-end marquaient clairement le rejet de cet héritage. Mais le parti Zanu-PF de Mugabe est toujours au pouvoir, et les perspectives de véritables réformes sont faibles, voire inexistantes.

Certains espèrent qu'Emmerson Mnangagwa, l'ancien vice-président dont l’éviction a précipité la prise de pouvoir par les militaires le 6 novembre et qui a depuis été placé à la tête du parti, va former une autorité de transition élargie afin de gérer le pays jusqu'à la tenue d’élections, peut-être dès le mois d'août prochain.

Cela permettrait aux militaires de retourner dans leurs casernes et aux nouvelles autorités d'entamer des négociations d'urgence avec les différents créanciers du pays. Car l'économie zimbabwéenne est au bord du gouffre et connaît une grave pénurie de liquidités, mais elle ne pourra se redresser tant que le gouvernement n'aura pas réglé près de 5 milliards de dollars d'arriérés impayés et obtenu de nouveaux crédits.

Une autorité de transition crédible?

Pour être crédible, l'autorité de transition devrait inclure des personnalités telles que Morgan Tsvangirai, le chef reconnu de l'opposition, Tendai Biti, l’ancien ministre des finances, Joice Mujuru, une ancienne vice-présidente ou Welshman Ncube, un vieux briscard de la politique, entre autres. Mais il ne fait aucun doute que ces personnages de premier plan voudront s’assurer que l'autorité de transition disposera d'un réel pouvoir –et en particulier pour réformer le système électoral– avant d'accepter d’y participer.

La confiscation pure et simple du pouvoir par Mnangagwa est une issue plus inquiétante –mais beaucoup plus probable. Le Zanu-PF a bâti une machine bien huilée permettant de contrôler le pays et le résultat des élections. Mnangagwa est l'un des créateurs de ce système de répression et de contrôle, qui a permis à la petite clique au pouvoir de s’enrichir grâce à un vaste système de corruption très organisé.

Mnangagwa peut bien inviter un ou deux chefs de l'opposition à jouer un rôle de pure façade, mais il est peu probable qu'il leur octroie une réelle influence. C'est d’ailleurs, pour l’essentiel, ce scénario qui s’est déjà déroulé à l’époque du dernier gouvernement d'unité nationale, de 2009 à 2013, qui a vu l'opposition obtenir un siège nominal à la table du pouvoir à l’issue d’une campagne de meurtres, de tortures, de viols, lancée par Mugabe pour rafler la mise lors des élections de 2008.

Tsvangirai et d'autres sont bien conscients de ce piège, mais ils peuvent également être tentés de répondre à la main tendue, en espérant obtenir quelques concessions suite au départ de Mugabe. Mais c’est un pari dangereux compte tenu de leur interlocuteur, Mnangagwa, surnommé le «crocodile» pour son caractère impitoyable, et qui avant de devenir vice-président fut le chef de la sécurité de l'État sous Mugabe.

Mnangagwa a joué un rôle central dans les violences électorales de 2008 et dans la campagne brutale de «pacification» des années 1980, qui ont vu les troupes zimbabwéennes –formées par la Corée du Nord– assassiner plus de 20.000 civils dans la région du Matabeleland.

Un rôle crucial de la communauté internationale

Ce scénario plus inquiétant –qui verrait la junte se parer des atours de la démocratie tout en poursuivant ses basses besognes– ne peut fonctionner à long terme que si la communauté internationale l'accepte, au moins tacitement. Or, l'Afrique du Sud comme l'ancienne puissance coloniale britannique auraient déjà fait savoir qu'elles préfèrent de loin la stabilité à court terme à des réformes de long terme.

Afrique du Sud et Grande-Bretagne pourraient donc accorder à Mnangagwa cinq années de répit pour lui permettre de faire ses preuves à la présidence. Il va sans dire que par leur attitude, ces deux puissances ont perdu toute crédibilité auprès des groupes d'opposition, qui ne les tiennent plus comme des partenaires fiables. D’ailleurs, l'un des thèmes principaux des manifestations du week-end était celui du refus d’une ingérence sud-africaine.

Les États-Unis voient le Zimbabwe différemment. Le «Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act», adopté à une immense majorité par le Congrès en 2001, établit des conditions strictes du réengagement des États-Unis, de la levée des sanctions et de l'allégement de la dette. Mnangagwa et Chiwenga, le chef militaire, figurent toujours sur la liste des quelque 200 personnes et entités visées par le département du Trésor américain. Pour que leurs avoirs soient débloqués et que leur interdiction de faire des affaires avec les Américains soit levée, ils vont devoir convaincre les responsables américains qu'ils ne portent plus atteinte à la démocratie et aux droits élémentaires –et ça n’est pas gagné.

Les États-Unis exercent également une grande influence sur les modalités des possibles restructurations de la dette du Zimbabwe ou sur l’octroi de possibles nouveaux prêts. Au cours des deux dernières années, Washington s’est opposé aux tentatives britanniques de sauvetage financier du président Mugabe. Avant d'accepter un quelconque programme d'allégement de la dette, les États-Unis exigeront la tenue d’élections crédibles, libres et équitables.

La survie à long terme de tout nouveau gouvernement zimbabwéen dépendra essentiellement de la résolution de la crise financière du pays et de la relance de l'économie. Mais le Zanu-PF s’est depuis toujours montré fermement opposé à toute réforme, même dans les circonstances les plus difficiles. Et tout comme Mugabe s’est pitoyablement accroché jusqu’au bout, la véritable machinerie de pillage organisé qu’il a mis en place et laisse derrière lui pourrait fort bien continuer de fonctionner, quel qu’en soit le coût pour le pays. 

 

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