Culture

Azzedine Alaïa, dernier mohican des années 80?

Retour sur la carrière du plus libre des couturiers et stylistes, "it créateur" d'une des décennies les plus folles.

Azzedine Alaïa, le 10 juillet 2015 à Rome. Gabriel Bouys / AFP
Azzedine Alaïa, le 10 juillet 2015 à Rome. Gabriel Bouys / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Trublion de la mode, couturier hors du temps au timing toujours improbable, Azzedine Alaïa a marqué la mode de son empreinte depuis les années 70. Un style particulier, une signature de robes qui subliment le corps avec un travail de coupe hors du commun. Azzedine Alaïa était un véritable couturier. Sa disparition sonne le glas de la flamboyance des années 80 où la mode «française» était au top.  

Né en Tunisie, Azzedine Alaïa pose très vite un regard intéressé sur les photos de mode où il découvre Dior et Balenciaga en se demandant «comment tenaient ces robes». Inscrit à l’école des Beaux Arts de Tunis, il travaille à surfiler des robes pour gagner un peu d’argent. Remarqué, il est aidé par Leïla Menchari qui l’aide à partir vers Paris et à entrer très brièvement chez Dior. Les hasards de la vie lui firent rencontrer des femmes qui jouèrent un rôle dans son existence et sa carrière ainsi Arletty et Louise de Vilmorin. 

De brèves collaborations avec Guy Laroche, Mugler et surtout le choix de créer sa propre marque, en liberté. Il débute de façon artisanale un atelier avec la complicité de sa soeur, rue de Bellechasse. L’adresse est vite connue et la notoriété du créateur se répand grâce à un efficace bouche-à-oreille. 

Maniaque de la coupe, son travail est d’une précision quasi chirurgicale et au service d’une féminité souvent sublimée. 

De 1964 à 1984 la rue de Bellechasse est le théâtre des créations d’Azzedine Alaïa qui devient déjà la coqueluche des magazines de mode (dans une période où les choix étaient moins inféodés à la pub). Son vocabulaire se dessine avec des formes, des sélections de matières. Le cuir est moulé, les boutons pression ferment les modèles, la maille stretch est travaillée comme un tissu à couper, des robe zippées, à claire voie... Maniaque de la coupe, son travail est d’une précision quasi chirurgicale et au service d’une féminité souvent sublimée. 

Quand il débute véritablement sa maison, il reçoit le soutien de  tous les top models des années 80, Naomi Campbell, Linda Evangelista... et de personnalités iconiques comme Grace Jones.

Il s’installe rue de la Verrerie avec son atelier et une boutique. Dans un magnifique espace attenant, une verrière où il organise ses défilés avec des dates qu’il choisit toujours en décalage avec le calendrier officiel du prêt-à-porter ou celui de la couture dont il est devenu membre: «J’ai été un des seuls à oser rompre avec ce calendrier astreignant qui méprise la création au profit du rendement.» Passionné par la mode, il collectionnait la couture et les pièces les plus fortes des créateurs contemporains pour sa fondation qui possédait aussi de magnifiques pièces de design.  

Discret, mais déterminé, il a toujours su imposer sa loi. En 2013 il disait: «J’ai l’âge des pharaons! Je crois pouvoir dire que mes vêtements sont indatables, ils sont faits pour durer». Azzedine Alaïa a composé une garde-robe de classiques, indémodables, incontournables avec ses robes près du corps et sa réinvention plus récente de modèles qui se définissent comme des avatars d’une robe de patineuse.

Si d’un côté, la mode d’Azzedine Alaïa est atemporelle, son histoire conserve son ancrage dans les années 80, fabuleuses pour la mode française. Il est finalement un des rares à avoir su tirer son épingle d’un jeu où beaucoup se sont brûlé les ailes. De nombreux noms n’existent plus, certains ont arrêté la mode, d’autres voient leur marque continuer sans eux. Azzedine Alaïa a toujours su trouver des partenaires qui l’ont laissé mené sa barque avec ses propres règles, en liberté. Le dernier d’une époque?

Et ce jour, où l'on apprend sa disparition, je me souviens:

- de visites rue de Bellechasse où la soeur d’Azzedine Alaïa organisait des soldes avec les premières collections et où les invitées auraient pu s’écharper pour acquérir des modèles;

- avoir vu à la télévision en 1989 Jessye Norman habillée en robe drapeau français conçue par Azzedine Alaïa;

- de la collection avec Tati en 1991 où Alaïa utilisait pour ses modèles l’imprimé Tati et où l’enseigne à bas prix proposait des modèles siglés Alaïa;

- de magnifiques expositions organisées dans son espace de la Verrerie autour du travail de Kuramata, d’Ettore Sottsass ou encore un hommage en photos à son amie mannequin Bettina;

- de déjeuners très informels dans la cuisine où Azzedine Alaïa l’oeil pétillant racontait mille histoires et pratiquait son humour parfois corrosif avec jubilation;

- de la présence d’Alaïa aux défilés des créateurs pour qui il avait de l’estime, ainsi les Japonais;  

–Du lancement de son premier parfum sous la verrerie avec de multiples surprises sensorielles choisies par lui;

- du 7 novembre, quand il était présent à l’inauguration de l’exposition «À tire d’aile» autour d’une sélection de vitrines pour Hermès imaginées pas Leïla Menchari, son amie de toujours et Tunisienne, comme lui.

 

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