Politique / France

Que défend exactement le Parti des Indigènes de la République?

Si les déclarations du PIR font régulièrement polémique, son background idéologique, lui, est rarement débattu par ses détracteurs. Loin d’être irréprochable, la galaxie qui entoure le mouvement questionne quelques commodes évidences de notre société...

Hourria Bouteldja, porte-parole du PIR, le 8 mai 2015 I THOMAS SAMSON / AFP
Hourria Bouteldja, porte-parole du PIR, le 8 mai 2015 I THOMAS SAMSON / AFP

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«Les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe.»

Cette déclaration de mars 2015 signée Houria Bouteldja, la porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), auteure du livre Les Blancs, les Juifs et nous: vers une politique de l'amour révolutionnaire, fait partie d'une salve de propos récemment exhumés dans la presse. Ceux-ci ont donné à l’idéologie du PIR une audience plus large, tout en en rappelant le caractère polémique ainsi que les très contestables présupposés.

Il y a eu beaucoup de débats sur ces propos de Bouteldja, (en particulier pour son «Les Blancs, les Juifs et Nous», brulôt aux relents antisémites), beaucoup de réfutations et de condamnations. Il faut aller au-delà pour comprendre la mécanique idéologique du PIR. Chacun ayant pu se faire une assez nette opinion quant à ces affirmations, il nous revient d’aller rechercher les sources véritables d’inspiration des Indigènes de la République pour mieux en comprendre les contours et les enjeux. Tâche d'autant plus essentielle qu’une députée France insoumise –Danièle Obono– est victime de campagnes relatives à ses supposées relations avec le PIR, obligeant au passage Jean-Luc Mélenchon à expliciter son opposition au mouvement.

L’adversaire désigné du PIR: le «pouvoir blanc»

 

Qui sont les adversaires du PIR? La réponse est vite trouvée. Le PIR parle de «pouvoir blanc»: celui-ci utiliserait tout un arsenal idéologique –la «laïcité», la «cohésion nationale», «l’identité nationale»– contre les «indigènes», descendants de colonisés, habitants des quartiers populaires qui sont «l’épicentre de la lutte des races sociales».

Nés en 2005, les Indigènes de la République se proclament défenseurs d’un projet politique «antiraciste et décolonial». Avec 3.500 «j’aime» sur Facebook, on est loin d’être en face d’un mouvement de masse. Pourtant, le PIR, lancé un 8 mai, soit le jour de l’anniversaire des massacres de Sétif, Guelma, Kherrata –10.000 à 40.000 morts tués par les colons français d’Algérie–, est habile à exploiter non-dits, contraditions, petites et grandes lâchetés de notre République. Les actes racistes commis en France seraient le résultat de l’inavouable racisme de la République. Le passé colonial de la France excuse-t-il pour autant les infractions à l’humanisme et à la vérité? Certainement pas.

Un long passé colonial

 

Paris fut, dans les années 1940 ou 1950, la capitale d’un empire colonial qui attira les élites de pays bientôt indépendants et l’un des foyers d’imagination de la décolonisation. On vit se (re)créer l’Association des étudiants khmers –dirigée par Saloth Sar, alias Pol Pot– ou l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) et d’autres associations estudiantines «coloniales»: les élites colonisées connaissaient Montaigne et la Révolution, elles imaginèrent la fin de la décolonisation. Elles en cherchaient un usage conforme à la culture assez «française» qui était la leur et conforme aussi au dessein d’émancipation qui en découlait.

Au contact du PCF comme d'intellectuels progressistes, ils contribuèrent à former les premiers cadres de la décolonisation et à mettre en évidence l’importance du colonialisme dans les sédimentations successives de l’imaginaire républicain. Une même culture classique française animait alors parfois les négociateurs des mouvements de libération et les responsables de Paris contraints et forcés de céder devant l’évidence des faits.

Khiari, l’idéologue en chef

 

Le Parti des Indigènes de la République s’inscrit dans un très vaste mouvement intellectuel et politique qui considère que les constructions de la réalité sociale s’imprègnent des sédimentations successives et que la colonisation, ses règles, ses codes, ses représentations parquent encore l’idéologie en cours dans notre société. Il suffit de lire Sadri Khiari, un des fondateurs du PIR, pour constater que le mouvement comme une partie des Français immigrés sont las d’être considérés comme «l’Autre».

Khiari, militant tunisien de la IVe Internationale (trostkiste), est emblématique d’une génération qui, faute d’avoir pu prendre le relais de l’idéal communiste en 1989, se saisit du potentiel social né du vaste reflux colonial enclenché dans les années 1950 et 1960.

Quand on lit Khiari, on ne lit pas un auteur avide de rupture avec la société française mais, au contraire de participation égalitaire à la marche civique du pays. La rancœur qu’il catalyse fait figure de «goodies» d’une juste rétribution des injustices de l’histoire. Cependant, il y aura toujours une aporie dans le discours du PIR: l’idée de devenir acteurs politiques de la marche de la société «et en même temps» de raviver en permanence les scories des injustices majeures de l’histoire.

Que dit Khiari? Qu’il existe un «déni» répandu, dominant, hégémonique peut-être dans notre société: «Le lien social, dans la société contemporaine, est aussi racial.» Peut-on lui donner totalement tort? La hiérarchisation sociale, la transformation d’une France vivant dans le mythe de la «méritocratie» issu de la IIIe République, se heurte à une réalité profonde: la «race» demeure un facteur discriminant, majeur, massif. Pas seulement à l’entrée des boîtes de nuit, mais de manière systématique.

Les Indigènes de la République ne naissent pas de la réhabilitation de la question raciale: ils naissent du fait que la société française ne s’est jamais défaite de cette question précise, encombrante et structurant de la race. Dès lors, ce que devient intéressant dans «Indigènes de la République», c’est justement cet impensé, urgent à solder.

La «race sociale»: une «race» non biologique

 

Khiari le dit: «La question biologique ne nous intéresse pas.» Néanmoins, les Indigènes utilisent volontiers le concepts de «races sociales» et s’intéressent tout particulièrement «aux rapports de domination que la planète blanche exerce sur les autres peuples». Ce qui intéresse les Indigènes de la République, c’est d’inscrire les «races» dans un combat touchant aux «relations sociales et politiques». Khiari parle à ce propos de «lutte des races sociales» qui se fonde sur l’existence imposée de «groupes statutaires».

Si contestables soient les analyses de Sadri Khiari, il est curieux de les résumer à une quelconque dimension «raciste». Khiari déclare: «Comme le capital produit les classes, comme le patriarcat produit les genres, le colonialisme européen-mondial produit les races». Il est ainsi vu, sous la plume de Khiari «comme un mécanisme de différenciation et de hiérarchisation de l’humanité», dont on comprend qu’il n’a rien de biologique mais tout d’une construction sociale. «Être indigène, dit Khiari, c’est exister socialement comme condition de possibilité et de réalisation du privilège blanc», ce qui peut également se traduire ainsi: «Le noir n’est pas une couleur, il est un rapport social.»

Khiari et les Indigènes de la République questionnent toutes les évidences les plus progressistes, dont le féminisme… C’est un choc frontal avec la plupart des évidences qui font l’univers des mouvements de gauche et de gauche radicale.

Féminismes et mouvements émancipateurs en question

Sadri Khiari n’est pas le seul auteur phare du PIR. Les Féministes blanches et l’empire de Félix Boggio Ewanjé-Epee et Stella Magliani-Belkacem est un des ouvrages contribuant à la remise en question du féminisme. Pour les auteurs, «le féminisme français est en crise» car «marqué par des contradictions, des ambivalences, des points aveugles, notamment quant à la question décoloniale et raciale». Ils se réfèrent, par exemple, aux TumulTueuses, groupe se revendiquant «des féministes anti-colonialistes, pro-sexe, trans et lesbien».

Il y a eu une République coloniale. C’est un fait. Les Indigènes de la République en font la matrice d’explication de nos politiques. Ainsi, Boggio Ewanjé-Epee et Magliani-Belkacem font un parallèle entre une «cérémonie de dévoilement», présidée par Mesdames Salan –femme du Général Raoul Salan– et Massu –femme du Général Jacques Massu– et la loi contre le voile. Il y aurait une continuité entre ces pratiques datant de la guerre d’Algérie et la France des années 2000-2010.

«L’attaque actuelle contre les assistantes maternelles voilées permet également de repenser, à partir d’une position spécifique, les tâches des mouvements d’émancipation. Elle fait écho à la racialisation des services domestiques et repose à nouveaux frais les questions féministes classiques autour de la division du travail», écrivent-ils.

Edward Saïd, Joseph Massad, lointains inspirateurs (ou pas)?

Le PIR affirme avoir Joseph Massad pour référence. Celui-ci a prolongé les thèses et travaux d’Edward Saïd sur «l’orientalisme», notamment dans un livre, non traduit en français, intitulé Desiring Arabs, paru en 2007. Dans une magistrale analyse des sociétés arabes du XIXe et XXe siècle, Massad distingue la présence évidente de pratiques homo-érotiques et l’absence de catégorisation de celles-ci.

Il établit ensuite une critique de l’imposition d’une binarité «homosexuel-hétérosexuel» et du rôle du mouvement «gay» international qui calque sur ces pratiques des catégories dans lesquelles les acteurs ne se reconnaissent pas forcément. En aucun cas, Massad ne dit que l’homosexualité n’existe pas dans le monde arabe ou qu’elle a été importée depuis l’Occident. Il dit que les catégories nouvelles –gays ou lesbiennes– modifient la vision des pratiques homo-érotiques dans ces sociétés.

L’erreur fondamentale du PIR apparait dans cette volonté d’établir un lien systématique entre le système colonial et la société actuelle. Khiari pense que De Gaulle prolongeait le «pouvoir blanc». Les questions liées à la laïcité seraient la prolongation de la Bataille d’Alger. La défense des LGBT serait une répercussion de l’impérialisme nord-américain. La République a été coloniale. La société française est encore marquée par les sédimentations des représentations liées à cette période.

L’erreur du PIR, c’est de systématiser le lien entre la République coloniale et la période actuelle. Comme si le pouvoir était animé par des enjeux très exactement identiques. Cependant, le Parti des Indigènes de la République ne peut être l’alibi à l’absence de questionnement d'un racisme encore bien présent dans notre société.

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