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Comment expliquer l'échec du féminisme en Italie?

La pluie de réactions misogynes envers Asia Argento, qui a affirmé avoir été violée par Harvey Weinstein, prouve que les Italiens semblent relativement imperméables à la vague féministe déclenchée par le scandale.

Asia Argento durant la 67ème édition du Festival de Cannes, en 2014. © AFP Photo / Valéry Hache.
Asia Argento durant la 67ème édition du Festival de Cannes, en 2014. © AFP Photo / Valéry Hache.

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur The New York Times

«Les Américains et les Italiens sont des créatures tellement similaires: nous ne nous intéressons qu'aux choses qui nous concernent», déplore non sans humour Guia Soncini.

Dans une tribune parue dans le New York Times, cette journaliste et écrivaine italienne s'insurge contre le machisme persistant de son pays natal, qui est selon elle resté imperméable à l'élan féministe suscité par l'affaire Weinstein. 

En Italie, explique-t-elle, «il n'y a pas de scandale Harvey Weinstein. Ici, il y a le scandale Argento».

Asia Argento accusée de mensonge

Pour rappel, l'actrice italienne Asia Argento avait été l'une des premières à affirmer haut et fort avoir été violée, à plusieurs reprises, par le producteur américain. Dans un élan de slutshaming et victimshaming généralisé, de nombreux médias transalpins avaient remis en cause les affirmations de la jeune femme.

Certains lui ont reproché de ne pas avoir parlé plus tôt, d'autres l'ont soupçonnée de s'être servie du sexe comme d'un tremplin pour sa carrière ou d'avoir, en réalité, été consentante.

«D'abord, elles se donnent. Ensuite, elles viennent chouiner et feintent les regrets», a lâché le journaliste Renato Farina.

Le politicien Vittorio Sgarbi l'a quant à lui accusée de mensonge —relayant au passage une rumeur abjecte sur la prétendue sexualité de «dominatrice» d'Asia Argento (âgée de 22 ans au moment des faits)— en ajoutant : «J'ai même le sentiment que c'est elle qui lui a sauté dessus.»  

Entraînant un vif débat national, ces réactions témoignent de la «profonde misogynie» des Italiens, comme le résume le réalisateur mexicain Guillermo Del Toro, qui a apporté son soutien à l'actrice.

Écoeurée par le manque d'empathie d'une partie de ses concitoyens, et se disant ainsi «doublement crucifiée» par le scandale Weinstein, Asia Argento envisage désormais de quitter l'Italie. Jusqu'à ce que les mentalités évoluent. 

Des mœurs patriarcales profondément ancrées

Et c'est pas gagné, selon Guia Soncini, qui explique que les mœurs patriarcales sont profondément ancrées dans la tradition de cette terre méditerranéenne: 

«Jusqu'en 1981, l'adultère était considéré comme une circonstance atténuante pour le meurtre d'une femme. Quant au viol, cela fait seulement vingt-et-un ans qu'il est considéré comme un crime envers une personne, et non pas juste comme un outrage public à la pudeur.» 

Le sexisme fait partie intégrante de la société italienne, d'après cette éditorialiste de l'hebdomadaire italien Gioia. «Ce que les gens trouvent normal serait serait qualifié de harcèlement ailleurs en Europe ou aux États-Unis».

Il y a toutefois nuance-t-elle, une prise de conscience progressive. Le succès du hashtag #QuellavoltacheCette fois où») —l'équivalent de notre #Balancetonporc national— prouve que l'Italie n'a pas été totalement insensible à l'élan de révolte féministe déclenche par les révélations sur Harvey Weinstein.

Dans un article paru dans l'un des plus grands journaux italiens, Corriere Della Sera, plusieurs éminents journalistes masculins ont pris la défense d'Asia Argento en dénonçant «l'absence des hommes» dans le débat Weinstein. Et ce, souligne Guia Soncini, dans un pays où aucun journal n'est dirigé par une femme. 

Un conditionnement sexiste aussi présent chez les Italiennes

Sur les réseaux sociaux, les réactions féminines, elles aussi, témoignent du conditionnement sexiste en Italie. Un nombre non négligeable de femmes ont émis des doutes sur la véracité du témoignage d'Asia Argento.

Cette dernière est, paraît-il, peu appréciée par ses compatriotes, notamment en raison de son attitude (ou de l'attitude de son personnage?) dans le «Danse avec les Stars» local.

L'actrice est également victime de sa réputation sulfureuse, alimentée par un clip sexy dans lequel elle embrasse un chien... Autrement dit, l'aversion qu'ont certaines Italiennes pour l'artiste explique en grande partie leur réticence à la soutenir.

Ce qui démontre, pour Guia Soncini, la fragilité du féminisme italien: 

«En Italie, les soit-disant féministes [...] traitent la cause comme une sorte d'embrouille de lycéennes: je défendrai tes droits si tu es ma pote. Mais si une victime d'agression sexuelle leur est antipathique, elles soutiendront quelqu'un d'autre. En gros, notre sympathie ne s'applique pas à celles qui ont soufffert mais à celles qui nous ont invité à leurs fêtes d'anniversaires».   

Des relents de l'esprit mafia? 

Comment interpréter ce que l'auteure de la tribune perçoit comme un féminisme à double vitesse?

«Peut-être que ça découle, bien que ce soit un cliché italien, de notre historique avec la mafia. Notre attitude face à la vie rappelle celle de la famille Corleone: nos familles, nos amis, nos gangs passeront toujours avant tout concept abstrait de bien ou de mal.» 

Au pays de la Botte, le patriarcat familial l'emporte encore sur l'idéologie féministe.

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