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Le nouvel homme fort de la Chine vient d'être désigné, dans l'indifférence générale

Qui est Chen Miner, l’homme qui a été formé pour diriger bientôt la Chine –sans que personne n’y prête attention à l’Ouest?

Chen Miner au 19e Congrès du Parti communiste chinois, le 19 octobre 2017 à Pékin. © Greg Baker / AFP.
Chen Miner au 19e Congrès du Parti communiste chinois, le 19 octobre 2017 à Pékin. © Greg Baker / AFP.

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Jusqu’à très récemment, Sun Zhengcai, secrétaire du parti communiste de la métropole de Chongqing, le «Chicago sur Yangtsé», était considéré par beaucoup comme un possible successeur à Xi Jinping.

Mais au mois de juillet, le Parti communiste chinois a lancé contre lui une enquête pour corruption. Sun a été débarqué de son poste, un renvoi qui signe la fin brutale de sa carrière politique.

Dans toute la presse occidentale, la mise à l’écart de Sun Zhengcai a été perçue comme la preuve manifeste que Xi avait bien l’intention de rester au pouvoir après 2022, lorsque la limite de son mandat et la tradition politique devraient pourtant le contraindre à abandonner le pouvoir.

Les ambitions de Xi Jinping largement incomprises

Voilà un trope commun dans le monde brouillé des Pékinologues depuis 2015 au moins, lorsque Foreign Policy pouvait publier un article intitulé «Xi Jinping forever», et qui expliquait pourquoi et comment le dirigeant chinois allait tenter d’étendre son pouvoir au delà de deux mandats.

Un flot constant d’articles, particulièrement lors des jours qui ont précédé la tenue du 19e Congrès du Parti communiste, a renforcé ce consensus autour de l’idée que Xi Jinping ne disparaîtrait pas de sitôt de l’échiquier politique.

Mais les ambitions de Xi Jinping ont été largement incomprises, et le renvoi de Sun est un cas d’école de ce point de vue. Xi a utilisé ce renvoi non pour augmenter sa propre stature, mais plutôt pour désigner, en parfaite violation des traditions les plus récentes, le successeur qui a sa faveur pour 2022 –quelqu’un que, depuis au moins cinq ans, Xi a formé pour maintenir le cap qu’il a fixé sans trop attirer l’attention sur lui.

Xi Jinping dispose de plus d’une demi-douzaine d’alliés exerçant le pouvoir à travers les provinces de Chine –comme Li Quiang, le Bayangolu de Mongolie, ou Li Xi–, autant de gens qui auraient pu être nommés à la place de Sun à Chongqing. Mais le choix de Xi Jinping a surpris: il a promu son obligé, Chen Miner, né en 1960.

Pourquoi son année de naissance est-elle si importante? Parce qu’au vu de l’âge traditionnel de la retraite, à 68 ans, Chen Miner –à l’inverse des autres principaux alliés de Xi Jinping, qui sont plus âgés– pourra effectuer deux mandats s’il prend le pouvoir en 2022, quand il aura 62 ans. S’il était né un an auparavant, en 1959, cela aurait été impossible, car il aurait été contraint de se retirer en 2027. En choisissant Chen Miner comme nouveau dirigeant de la métropole de Chongqing, Xi vient d’adresser un énorme signe au parti et à l’étranger.

Le parti communiste chinois ne tient pas de conférences de presse pour annoncer les successeurs; il utilise des signaux comme ceux-là, même si rares sont ceux en Occident qui semblent capables de les comprendre.

Des relations privilégiées entre Chen et Xi depuis le début des années 2000

Le traitement privilégié accordé à Chen par Xi Jinping est conforme à leurs relations depuis le début des années 2000, quand ils se sont rencontrés dans la province du Zhejiang, où Xi était chef du parti communiste de la province.

Chen était alors chef du département local de la propagande, chargé de diffuser le message de Xi dans tout le Zhejiang. À ce titre, il a participé activement à l'écriture de la chronique hebdomadaire de Xi dans le journal provincial du parti, pendant près de quatre ans.

Xi a quitté le Zhejiang en mars 2007, lorsqu'il a été transféré à Shanghai, sept mois seulement avant le 17e Congrès du Parti. Shanghai avait besoin d'un nouveau chef de parti, car l'ancien venait d’être démis de ses fonctions après avoir fait l'objet d'une enquête pour corruption.

En promouvant Xi à Shanghai, l'une des plus grandes villes de Chine, la direction du parti indiquait à tous qu'il était destiné à occuper un poste plus élevé. Lors du 17e Congrès du Parti en octobre suivant, Xi a fait son entrée au Comité permanent du Politburo, l’organe au sommet du pouvoir du parti, et en mars 2008, il a été nommé vice-président chinois –signe définitif qu'il était prêt à prendre la relève en 2012.

Chen Miner, quant à lui, restait à Zhejiang, nommé vice-gouverneur puis membre suppléant au Comité central du parti au Congrès de 2007. Il est resté vice-gouverneur jusqu'en 2012, année où Xi est devenu chef du Parti.

En janvier 2012, Chen a été promu au poste de chef adjoint du parti de la province du Guizhou. Lors du Congrès du Parti de 2012, où Xi Jinping est nommé secrétaire général du parti, Chen est devenu l'un des 205 membres permanents du Comité central avant d’être nommé gouverneur du Guizhou.

Désormais à la tête du parti, Xi annonce bientôt le début d'une campagne anti-corruption dont l'intensité surprend tous les observateurs. En 2015, cette campagne vise pour la première fois un chef provincial du parti, alors en poste: Zhou Benshun, le plus haut responsable du Hebei.

Choisi parmi plus de deux douzaines de secrétaires provinciaux pour remplacer Zhou, le secrétaire du parti au Guizhou quitte son poste pour se rendre dans le Hebei. Chen passe alors du poste de gouverneur à celui de secrétaire du parti –un poste de rang supérieur désormais vacant au Guizhou, dont il reste en charge pendant deux ans. C'est là la première, mais pas la dernière fois que Chen bénéficie de la campagne anti-corruption.

Une province pauvre qui fournit de nombreux dirigeants

Le séjour de cinq ans de Chen au Guizhou coïncide avec l’accélération de la lutte, en Chine, contre l'extrême pauvreté. Le Guizhou est l'une des provinces les plus pauvres de Chine, mais la province a pourtant de bons antécédents en matière de production de dirigeants.

Hu Jintao, le prédécesseur de Xi, était ainsi le chef du parti au Guizhou dans les années 1980. C'est aussi là que Chen a été chargé de s'attaquer à l'un des objectifs les plus importants de Xi Jinping: l'éradication de l'extrême pauvreté d'ici à 2020.

Dans ce domaine, Chen a ainsi fait des pas de géant, en convainquant Apple, par exemple, de construire un centre de données au Guizhou. Sous la direction de Chen en 2016, le Guizhou a enregistré la troisième croissance la plus rapide des provinces chinoises, avec un taux de croissance du PIB revendiqué de 10,5%.

En retour, Xi Jinping a proclamé à plusieurs reprises sa confiance en Chen. Cette année, chaque province a choisi ses délégués au 19e Congrès du Parti. Les dirigeants chinois sont eux-mêmes délégués au Congrès du Parti.

Xi Jinping était ainsi délégué de Shanghai en 2007 et 2012. Depuis 10 ans, il vit à Pékin, où il est né. Tout au long de sa carrière, il a également servi dans les provinces du Hebei, de Fujian et du Zhejiang. Pourtant, en avril 2017, la presse chinoise annonçait en grande pompe que Xi Jinping serait délégué du Guizhou. Le seul lien de Xi avec cette province est –naturellement– Chen Miner. Son élection était un message clair adressé aux membres et à la direction du parti de la confiance accordée par Xi à Chen.

Une confiance réaffirmée trois mois plus tard, au mois de juillet, lorsque Sun Zhengcai a été démis de ses fonctions à Chongqoing, à la suite d’une enquête pour corruption. Il s’agissait là d’un énorme évènement, car Sun était considéré comme l'un des deux successeurs possibles de Xi Jinping. Sun est également le premier membre du Politburo à faire l’objet d’une enquête pendant le mandat de Xi.

Une campagne anti-corruption qui frappe fort

Jusqu'alors, la campagne anti-corruption n'avait traqué que les hauts fonctionnaires placardisés ou retraités, et pas des poids lourds politiques réels du Politburo ou du Comité permanent du Politburo.

Bo Xilai, le rival potentiel le plus important de Xi Jinping, est ainsi tombé avant même le début de la campagne, grâce aux événements étranges qui se sont déroulé dans la ville décidément importante de Chongqoing.

Qui a bénéficié de l'enquête visant Sun? Chen Miner, promu chef du parti de Chongqoing trois mois avant le 19e Congrès, tout comme Xi avait été promu chef du parti de Shanghai sept mois avant le 17e Congrès. Nous pourrions appeler cela le plan de Shanghai de 2007, et constater qu’il vient d’être réactivé.

Le dernier Congrès du Parti provoque de nombreuses interrogations en Occident: Wang Qishan va-t-il rester au Comité permanent du Politburo alors qu’il devrait prendre sa retraite, étant âgé de plus de 68 ans? Xi va-t-il rétablir le poste de président du parti? Xi verra-t-il son nom consigné dans la constitution du parti, comme ceux de Mao Zedong et Deng Xiaoping [La réponse est oui, NDLR]? Xi pourra-t-il éviter de désigner un successeur?

Pourtant, très peu d'observateurs parlent de Chen et des brillantes perspectives qui s’annoncent pour lui. Certaines exagérations sur le pouvoir supposé de Xi ont dérobé à notre vue la question la plus importante que nous devrions pourtant nous poser: Xi parviendra-t-il s’assurer que Chen sera bien son successeur?

Au cours des trois dernières décennies, depuis que Deng Xiaoping a pris sa retraite, aucun dirigeant chinois n’a été en position de nommer son propre successeur. Jiang Zemin a dû accepter Hu Jintao et s'est battu pour conserver son influence dans les années 2000. Hu Jintao ne pouvait pas installer Li Keqiang comme successeur et a été contraint d’accepter Xi Jinping.

Signe de son regain de puissance, comparée à celle de ses prédécesseurs, Xi est parvenu à écarter un héritier annoncé et à le remplacer par l’héritier de son choix. Il ne reste désormais que deux successeurs possibles: Chen Miner ou Hu Chunhua, l'allié de Hu Jintao. Dans des circonstances normales, Xi aurait été contraint d'accepter Hu Chunhua, chef du parti provincial du Guangdong. Mais il semble bien décidé à faire de Chen le prochain président de la Chine – en montrant aux yeux de tous à quel point ce dernier lui est redevable, afin que Xi Jinping puisse conserver son influence.

Xi Jinping à la manœuvre?

Au cours des trois années écoulées, au lieu d'analyser l'ascension de Chen et les perspectives qui s’offraient à lui, toute l'attention s'est concentrée sur l'idée que Xi entendait conserver le pouvoir après 2022, sur la base de sources anonymes.

Deux explications à ces rumeurs: soit il s’agit de simples spéculations et inquiétudes de certains des membres du parti qui s’en seraient ouverts à des journalistes occidentaux, soit ces rumeurs ont été délibérément lancées.

Si la dernière solution est la bonne, ces rumeurs ont pu être lancées par les ennemis de Xi, afin de le dénigrer et de le faire passer pour un apprenti dictateur. Mais ces rumeurs ont tout aussi bien pu être propagées par ses alliés, pour renforcer Xi Jinping dans les négociations internes du parti.

Si ce sont les ennemis de Xi qui ont lancé cette campagne, force est de constater son échec, car Xi obtiendra probablement gain de cause. Mais si c’est le camp de Xi Jinping qui a lancé les rumeurs, c'était un plan brillant: tout le monde était tellement obnubilé par une éventuelle captation du pouvoir par Xi après 2022 que le dirigeant chinois a pu tranquillement préparer l’avènement de Chen Miner.

Contrairement à Hu Chunhua ou Sun Zhengcai, Chen ne faisait en effet pas partie des vingt-cinq membres du Politburo et ses chances de devenir le prochain leader chinois étaient plus minces. Mais aujourd’hui, si Xi Jinping propose aux chefs du Parti la candidature de Chen à sa succession, ses interlocuteurs peuvent être plus facilement tentés de dire oui, pour éviter un hypothétique troisième mandat de Xi, qui est dans toutes les têtes.

Xi pourrait alors faire quelque chose qu'aucun dirigeant chinois n’a pu faire depuis Deng Xiaoping: désigner son propre successeur afin de conserver son influence en coulisse une fois qu'il aura pris sa retraite.

Lorsque les prochains membres permanents du Politburo monteront sur scène dans une semaine, la vraie question est de savoir qui apparaîtra en premier, Chen Miner ou Hu Chunhua.

Si c'est Hu, il s’agira du signe le plus clair que le pouvoir de Xi a été exagéré. Mais, si c'est Chen, comme tous les signes l'indiquent, le plan développé par Xi ces cinq dernières années aura bien fonctionné. Et personne ne devrait être surpris quand Chen Miner succèdera à Xi –et encore moins de le voir poursuivre le programme de Xi et protéger son héritage.

 

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