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Le pari perdu de l’accord nucléaire iranien

Donald Trump n'a pas certifié au Congrès américain que l’Iran respecte l’accord conclu en 2015 sur son programme nucléaire militaire. Cet accord est un pari, fait par Barack Obama et la diplomatie européenne, que le régime paranoïaque de la République islamique peut changer.

Des centrifugeuses à gaz pour enrichir l’uranium. US Department of Energy/Wikimedia Commons.
Des centrifugeuses à gaz pour enrichir l’uranium. US Department of Energy/Wikimedia Commons.

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Pour Donald Trump, l’accord de Vienne du 14 juillet 2015 qui gèle le programme nucléaire militaire iranien est le pire que l’Amérique ait jamais signé. Il n’a cessé de le marteler l’an dernier pendant toute la campagne présidentielle. Il l'a répété cette semaine et encore vendredi 13 octobre. Mais comme la plupart du temps avec Donald Trump, sans jamais vraiment expliquer pourquoi et comment le remplacer.

Maintenant, c’est fait. Il a annoncé vendredi 13 octobre à la Maison Blanche sa décision de ne pas certifier au Congrès que cet accord est respecté mais sans demander immédiatement son abandon et le rétablissement des sanctions. Il veut que son administration «travaille étroitement avec le Congrès et nos alliés afin de corriger les nombreuses faiblesses de l’accord…». Si le Congrès et les alliés des Etats-Unis ne parviennent pas à s’entendre dans un délai de 60 jours, ce qui semble très peu probable, l’accord «sera terminé». Il a ajouté qu’il peut en tant que Président décider de le quitter «à tout moment».

Téhéran continue à tricher

Donald Trump a agi contre l’avis d’une bonne partie de son administration, notamment le Département d’Etat et le Pentagone, et contre l’ensemble des grandes puissances et de ses alliés. Ces derniers craignent qu’un retrait unilatéral américain conduise l’Iran à relancer rapidement son programme nucléaire. Car en dépit de l'accord, les intallations nucléaires de Téhéran sont intactes et quasi opérationnelles.

Mais personne dans la communauté internationale ne peut reconnaître que l’Iran ne respecte pas totalement un accord signé par les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France et l'a utilisé pour accélérer son expansion régionale par la violence en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen. Ce serait perdre la face. Pour protéger des intérêts stratégiques, ceux de la Russie et de la Chine, et économiques, ceux de l’Europe, pour donner l’illusion de lutter contre la prolifération nucléaire et de contenir les ambitions de la République Islamique, mieux vaut un mauvais accord que rien du tout.

Car l’Iran continue, comme il le fait depuis plus de 20 ans, à dissimuler, même si l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) écrit le contraire. La République islamique en a fait un art. Elle a construit les réacteurs nucléaires d’Arak et de Natanz sans que personne ne s’en rende compte (c’est l’opposition iranienne qui a révélé l’existence de ces installations secrètes). Elle a construit une seconde génération de centrifugeuses sans que personne ne s’en rende compte. Elle a produit de l’uranium fortement enrichi à Fordo sans que personne ne s’en rende compte et elle a construit des missiles capables de porter une tête nucléaire sur le site militaire de Parchin sans que personne ne s’en rende compte. Quelques exemples plus récents…

 

Téhéran a menti le 12 janvier 2016 quand il a assuré à l’AIEA que le cœur du réacteur d’Arak qui produit du plutonium a été démantelé et son emplacement recouvert de ciment comme prévu dans les accords. En fait, le cœur est resté en place, seuls les différentes canalisations ont été cimentées. Les remplacer prendrait moins d’une semaine.

Les inspecteurs de l’AIEA qui se sont rendus dans les sites d’enrichissements de Fordo et Natanz ont constaté que le nombre de centrifugeuses en état de fonctionnement est conforme aux accords. Mais ils n’ont pas accès aux usines secrètes qui fabriquent les nouvelles générations de centrifugeuses IR6 et IR8. A la place des vieilles machines, elles pourraient produire rapidement de grandes quantités d’uranium enrichi.

Enfin, l’Iran refuse l’accès à ses sites militaires où étaient testés les détonateurs d’une bombe atomique. L’AIEA en est réduit à la mascarade qui consiste à demander à Téhéran des échantillons de sols des bases en question sans pouvoir vérifier précisément d’où viennent les échantillons…

Si l’AIEA n’a pas fait état de violations par l’Iran de l’accord, c’est que l’organisation internationale ne veut surtout pas provoquer une crise internationale et donner des arguments à Donald Trump.

Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa dans l’orbite iranienne

Pendant ce temps, à l’abri d’un accord qui lui a donné accès à près de 150 milliards de dollars d’avoirs bloqués, lui permet d’exporter plus de pétrole et de sortir son économie d’une crise majeure, la République islamique a accéléré la reconstitution d’un empire perse. Ce qui pourrait conduire tôt ou tard à un conflit majeur avec les pays arabes ou Israël. Il y a trois ans, un officiel iranien proche du suprême leader, l’Ayatollah Khamenei, avait dévoilé publiquement cette ambition: «trois capitales arabes [Beyrouth, Damas et Bagdad] sont déjà tombées dans les mains de l’Iran et appartiennent à la révolution islamique...». Une quatrième pourrait bientôt suivre, celle du Yémen, Sanaa. Et bientôt, l’Iran pourra même importer toutes les armes qu’il veut. L’embargo de l’ONU sur les exportations d’armes vers l’Iran sera levé 5 ans après la signature de l’accord.

Depuis les premiers jours de sa révolution de 1979, la République islamique emploie la même stratégie: développer à l’étranger des forces militaires affidées comme le Hezbollah au Liban, les milices chiites irakiennes et les milices Houthi au Yémen. En presque 40 ans d’histoire, c’est sans doute le principal succès de la République islamique, après celui de s’être maintenue au pouvoir. Car c'est un régime impopulaire, brutal, corrompu, obscurantiste qui mène une répression impitoyable des opposants.

Quant au Hezbollah, créé par l’Iran pour contrôler le Liban, il s’agit tout simplement aujourd’hui de l’organisation terroriste sponsorisée par un Etat la plus puissante au monde. C’est le même Hezbollah, alors naissant, qui en 1983 a tué à Beyrouth 43 soldats français et 241 marines américains. Depuis, il a fait son chemin. Il a tenu tête en 2006 à l’armée israélienne, possède un arsenal de dizaines de milliers de missiles et de roquettes et avec l’aide des gardiens de la révolution iraniens et plus tard de la Russie a sauvé la sanglante dictature de Bachar el-Assad. Au passage, le Hezbollah comme l’Iran portent une lourde part de responsabilité dans l’assassinat par le régime Assad de centaines de milliers de syriens avec des bombes barils, des armes chimiques et via les exécutions sommaires et la torture.

Téhéran, enfin, peut être considéré comme à l’origine de la création de l’Etat islamique. Daech n’existerait sans doute pas sans l’expansionnisme chiite. L’Etat islamique est une réponse sunnite à l’impunité et aux atrocités de Bachar el-Assad, tenu à bout de bras par Téhéran et son affidé le Hezbollah, et au nettoyage ethnique en Syrie et en Irak mené par les milices chiites.

Marché de dupes

L’accord conclu il y a deux ans a-t-il au moins affaibli le programme militaire nucléaire iranien? Il a permis de gagner du temps tout en renforçant le régime des mollah, en donnant encore plus de corps à ses ambitions régionales et en consolidant son alliance avec la Russie de Poutine. Il n’est pas sûr que les occidentaux y aient gagné quelque chose. Il n’a pas amoindri la capacité de la République Islamique à pouvoir se doter rapidement d’une arme nucléaire. Ce qu’elle n’avait d’ailleurs pas osé faire avant la conclusion d’un accord. Elle a en revanche continué à développer des missiles balistiques qui permettent de lancer une telle arme à des milliers de kilomètres.

En fait, cet accord, sauf à être aveugle, ne portait pas sur le programme militaire nucléaire iranien. Ce que Donald Trump a compris. C’était un pari, notamment de Barack Obama et de la diplomatie européenne, sur le retour de Téhéran dans la communauté internationale. C’était le pari qu’un régime théocratique, paranoïaque, brutal et expansionniste pouvait changer de nature si on lui ouvrait la porte. Ce pari est déjà perdu.

 

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