Culture

Comment le New York Times a fait tomber Harvey Weinstein

La journaliste Jodi Kantor raconte comment elle et ses collègues ont transformé un secret de Polichinelle à Hollywood en article dévastateur publié dans le New York Times.

Harvey Weinstein à Cannes, le 24 mai 2013 | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Harvey Weinstein à Cannes, le 24 mai 2013 | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Temps de lecture: 14 minutes

Cet article est traduit à partir de la retranscription d'un entretien entre le journaliste de Slate.com Isaac Chotiner et la journaliste du New York Times Jodi Kantor dans le podcast «I Have to Ask».

Dans l’épisode de mon podcast cette semaine, j’ai parlé à Jodi Kantor, journaliste d’investigation pour le New York Times et contributrice de CBS News, qui a dévoilé l’affaire Harvey Weinstein au grand jour la semaine dernière.

Kantor et sa collègue Megan Twohey ont d’abord publié un gigantesque récit relatant le long passif d’agressions et de harcèlement sexuels commis par Weinstein. Elle et Rachel Abrams ont poursuivi cette semaine en révélant de nouveaux cas de harcèlement par Weinstein de Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie et d’autres femmes. Pendant ce temps, le New Yorker publiait un article de Ronan Farrow, qui a fait beaucoup de bruit, et où l’on peut lire des témoignages de plusieurs femmes affirmant avoir été violées par Weinstein, qui a quitté sa société et va probablement devoir affronter des conséquences judiciaires.

Nous abordons les évolutions de l’enquête de Kantor sur l’affaire Weinstein, les raisons pour lesquelles le comportement de Weinstein n’avait pas fait l’objet de rapports détaillés dans la presse jusqu’à aujourd’hui, celles qui ont poussé tant de femme à enfin prendre la parole et l’éventualité que Hollywood puisse vraiment changer.

Isaac Chotiner: Racontez-moi un peu comment vous en êtes venue à raconter cette histoire. Quand avez-vous commencé, et qu’est-ce qui vous y a poussée?

Jodi Kantor: Le New York Times s’est vraiment attaché à dénoncer les affaires de harcèlement sexuel cette année. Mes collègues Emily Steel et Michael Schmidt ont écrit l’article sur Bill O’Reilly et Katie Benner a fait des reportages vraiment saisissants sur les femmes dans la Silicon Valley. Donc, en gros, nous nous sommes dit qu’en tant que journalistes d’investigation, on pourrait jeter un œil à cette thématique dans sa globalité et ne pas se concentrer uniquement sur l’expérience individuelle d’une seule femme. On s’est demandé si ça s’inscrivait dans un motif plus large, sur une longue période.

Les rédacteurs en chef sont venus nous voir et nous ont demandé: à votre avis, quelles sont les plus grosses affaires dont personne n’a parlé? J’ai fait quelques recherches, quelques comptes rendus et, vous savez, l’affaire Weinstein, c’était impressionnant. Il était clair que beaucoup de gens avaient essayé de le faire au fil des années. C’était vraiment nimbé d’un brouillard de rumeurs. C’était très curieux parce que, d’un côté, c’était un genre de secret de polichinelle, mais, de l’autre, il n’existait quasiment aucune trace là-dessus.

Vous dites que c’était un secret de polichinelle—on comprend que «tout le monde savait», ou que tout le monde dans les médias savait, ou que tout le monde à Hollywood savait—mais quand vous avez commencé à travailler sur cet article, est-ce que c’en était seulement au stade de la rumeur?

Je vais vous dire quelque chose qui paraît vraiment bizarre aujourd’hui. Dans l’industrie du cinéma, il n’y a rien de plus important que les Oscar, pas vrai? Alors regardez la cérémonie des Oscar de 2013, on voit l’humoriste Seth MacFarlane qui annonce les noms des nominées…et qui dit: «Félicitations mesdames, vous n’avez plus besoin de faire semblant de trouver Harvey Weinstein séduisant.» J’ai écouté l'enregistrement et on entend beaucoup de gens rire. En quelque sorte tout le monde à Hollywood riait de ce qui était de notoriété générale.

Mais ensuite, à mesure que nous avancions dans notre enquête, nous avons découvert qu’il y avait vraiment des accusations graves qui ne dataient que de 2015. Alors c’était un peu comme si les gens riaient de ça ouvertement alors que les agressions supposées étaient toujours en train de se produire en coulisses.

Combien de temps avez-vous passé sur cette histoire, au total?

À peu près quatre mois.

Est-ce que vous avez consacré ce temps à vérifier toutes ces histoires dont vous aviez entendu parler, ou est-ce qu’il s’agissait de convaincre les gens de parler publiquement et non plus de manière officieuse et confidentielle? En gros, qu’est-ce qui a été le plus difficile pour transformer votre enquête en article susceptible d’être publié par le Times?

Je crois que tout du long, nous avons cherché des preuves claires. Et cela peut prendre plein de formes différentes. Si vous regardez les deux grands articles qu’on a faits jusqu’à présent, c’est-à-dire l’enquête d’origine que nous avons publiée jeudi dernier et ensuite l’article que nous avons publié (mardi) sur la divulgation de la promotion canapé avec ces actrices célèbres, ils contiennent diverses formes de preuves. Ils comportent des récits officiels de femmes, et ça c’est vraiment important, mais aussi des informations sur des accords à l’amiable. Il y a la trace financière de l’argent qui a été versé au fil des ans. Et puis il y a aussi des documents internes de l’entreprise, ce qui a été un élément vraiment important du premier article, parce que nous avons réussi à montrer que c’était des sujets brûlants au sein de la Weinstein Company. Il y a une femme appelée Lauren O’Connor, c’était une jeune cadre. En 2015, elle a un écrit un mémo extrêmement long sur les accusations de harcèlement sexuel dans son entreprise. Il s’agissait d’incidents vraiment dérangeants. Une de ses collègues avait été forcée, raconte-t-elle, à faire un massage à Harvey Weinstein dans sa chambre d’hôtel alors qu’il était nu. Il y a une phrase inoubliable dans ce mémo: «L’équilibre des pouvoirs c’est moi: 0, Harvey Weinstein: 10.»

Nous avons donc pu nous procurer ce document et nous rendre compte que ses plaintes n’avaient pas franchement été suivies d’effet. C’était une preuve très solide, et j’étais ravie que nous puissions mettre la main sur ces traces écrites parce que cela me donnait l’impression, dans un sens, que nous permettions à ces femmes de se faire connaître en subissant moins de pression. Et en tant que journaliste, je dis ça tout en étant très partagée. Parce que d’un côté, évidemment je crois qu’il faut que ces femmes parlent. Par de nombreux aspects, c’est tout l’objectif de ce projet. Mais d’un autre côté, il y a quelque chose de vraiment très injuste dans la dénonciation du harcèlement sexuel. Pendant l’enquête, certaines victimes supposées me disaient: «Comment ça se fait que ce soit à moi de faire ça? Moi je suis la victime. Je n’ai pas forcément envie que ça se sache. Je n’ai rien fait de mal. Pourquoi est-ce que je suis obligée de faire ça?»

Maintenant évidemment, en tant que journaliste, j’estime qu’il est important que les gens parlent. C’est mon métier de m’assurer qu’ils puissent dire la vérité en toute sécurité, mais leurs arguments sur le genre de pressions que subissent les victimes m’ont réellement touchée. C’est pour ça qu’on voulait un maximum de documents, de traces d’accords à l’amiable… et nous voulions que cela soit irréfutable, parce que très souvent ça se passe dans l’intimité d’une chambre d’hôtel, et nous ne voulions pas d’une histoire facilement démontable par Weinstein qui aurait juste pu dire: «Hey, j’étais le seul témoin, et moi je vous dis qu’il ne s’est rien passé, et ça s’arrête là.» Nous voulions d’autres formes de preuves de ce qui s’était produit, ou, devrais-je dire, de ce qui se serait produit.

Avez-vous le sentiment que vous avez pu aller plus loin dans cette affaire que les autres journalistes, vous et vos collègues et Ronan Farrow, à la suite d'un changement culturel, ou que, comme l’a suggéré un ami, les femmes ont peut-être accepté de parler parce que les histoires sur le président Trump ont créé le sentiment qu’il était particulièrement important, aujourd’hui, de prendre la parole?

Je peux vous dire ce que nos sources nous ont dit en général.

J’aurais dû simplement vous demander ça. Que vous ont dit vos sources?

Je vais vous dire ce qu’elles ont dit parce que je pense que leurs raisons sont plus importantes que les miennes. Certaines d’entre elles ont été vraiment encouragées par le fait que le Times avait récemment publié un bon nombre d’articles sur le harcèlement sexuel—par le fait que l’article sur O’Reilly avait fonctionné, que l’article sur la Silicon Valley avait fonctionné, et dans tous ces cas on avait cru ces femmes, il y avait eu un gros impact et des prises de responsabilité. Et ça leur a donné l’impression, j’espère, que nous savions ce que nous faisions et que nous avions l’expérience nécessaire pour gérer correctement ces histoires. Une autre raison qu’elles ont donnée, c’est qu’elles sentaient en effet que la culture avait changé d’une certaine façon, et que l’époque où l'on salissait les femmes lorsqu’elles portaient ce genre d’accusations était révolue, enfin au moins elles l’espéraient.

Pour être honnête, je pense que c’est en partie dû au fait que Weinstein était bien moins puissant à Hollywood que quelques années auparavant. Beaucoup, beaucoup de gens avaient peur de lui, et je ne veux pas minimiser ça. Mais on sentait davantage qu’il était en fin de carrière.

Et puis il faut que je vous dise autre chose, pour être honnête: quelques sources nous ont parlé parce que nous étions des journalistes femmes et que nous avions un long passif de reportages sur des femmes. Certaines sources qui n’avaient jamais parlé à des journalistes nous ont des dit des choses comme «Tous les autres journalistes qui m’ont approchée étaient des hommes, et moi je veux parler de ça à une femme.»

Avez-vous parlé à des personnes qui avaient tenté de raconter leur histoire à d’autres publications ou à d’autres journalistes et qui avaient eu l’impression que leur récit avait été mal géré ou ignoré?

[silence.] Je ... ne crois pas avoir grand-chose d’intéressant à vous raconter à ce sujet.

Vous êtes sûre?

Eh bien pour commencer, je n’entre pas dans les conversations confidentielles des sources. Je veux bien décrire de façon générale l’attitude des sources. Donc ça plus le fait de ne pas être sûre de leur—de ne pas être sûre de l’expérience des gens, ce n’est juste pas—

Laissez-moi reformuler la question. Avez-vous l’impression que le sentiment général chez les gens à qui vous avez parlé pour faire cet article, qu’ils soient des victimes ou non, c’est que la presse a raté l’occasion de demander des comptes à Harvey Weinstein au cours des dernières décennies?

Il faudrait que vous leur demandiez mais honnêtement je pense que beaucoup d’entre elles étaient plus rongées par les sentiments qui les habitaient. Nous avons parlé à de nombreux anciens cadres de Miramax et de la Weinstein Company qui étaient assez torturés par ces problèmes, et il y a un bon paquet de gens qui je pense ont fini par nous aider parce qu’ils n’avaient jamais réussi à prendre une décision quant à certaines choses qu’ils avaient vues et dont ils avaient été des témoins là-bas.

Aviez-vous des inquiétudes à l’idée de susciter des réactions négatives, ou à propos de certaines d’entre elles que vous avez subies? Je crois que la première dont j’ai entendu parler est l'article du Hollywood Reporter qui dit que Weinstein pourrait attaquer le Times et le New Yorker en justice. Est-ce que c’était un grand sujet d’inquiétude, quels ont été les retours de bâton et quand ont-ils commencé?

Je réfléchis juste à votre question. [Long silence.] je suis juste en train de m’imprégner de la semaine qui vient de s’écouler avant de parler. [Silence.] Je savais que nous allions avoir des retours de bâton. Je vais vous dire ce que je ressentais. Harvey Weinstein a rassemblé une très grande équipe de juristes pour s’occuper de nous. Donc les derniers jours de préparation de l’article, nous étions en communication avec Lanny Davis et en communication avec Lisa Bloom et avec Harvey et il a engagé ce très puissant avocat, Charles Harder. Et une partie de notre manière de conclure cette histoire a un grand rapport avec le fait que leurs réponses (étaient) très diverses et (qu’elles ne cessaient) de changer. Imaginez un piano, où à gauche du clavier il y a les excuses, et à droite du clavier le déni, eh bien ils jouaient des deux côtés à la fois et dans tout l’intervalle entre les deux, et ça n’arrêtait pas de changer. Donc je pense en qu’en ce qui concerne les retours négatifs, ce sur quoi je me concentrais en tant que journaliste c’était ce genre de question fondamentale comme «Est-ce qu’ils sont en train de nier ça? Ou est-ce qu’il est en train de s’excuser? Est-ce qu’il conteste les faits, là?» Parce que quelle que soit sa réaction, nous voulons la capturer correctement, mais nous entendons plein de réactions différentes de sa part.

C’est intéressant, parce que je pensais justement que c’était le problème de leur stratégie de relations publiques. On arrivait pas à voir clairement s’ils disaient: «Nous allons vous attaquer parce que tout ça ce ne sont que des conneries» ou s’ils disaient: «Nous sommes plutôt contrits mais pas complètement contrits non plus». C’était une stratégie publique assez déroutante, et comme stratégie privée aussi.

[Rire.] C’est vous qui l’avez dit.

Avez-vous eu le sentiment que les comportements du style de celui de Weinstein étaient un plus gros problème à Hollywood que vous ne l’aviez imaginé? Est-ce que les gens en ont parlé comme de quelque chose de plus ou moins courant que ce que nous pourrions penser, et est-ce que cela a changé votre façon de voir le secteur?

Oui. J’ai eu de nombreuses conversations avec des actrices sur le sujet, et voici comment je pourrais résumer ce que j’ai découvert. En me basant sur tout ce que j’ai appris, je pense que la mentalité de la promotion canapé n’est absolument pas morte à Hollywood. Elle persiste encore. Mais une grande partie est relativement banalisée. Beaucoup d’actrices vous diront: «Oui, il est arrivé quelques fois dans ma carrière d’avoir une main de producteur malvenue sur ma cuisse» ou «On m’a fait un commentaire déplacé et graveleux pendant une audition». Mais le harcèlement pratiqué par Weinstein semble avoir été d’une autre sorte. Et une partie du processus d’enquête pendant l’été a consisté à détecter et à comprendre qu’il y avait apparemment un système et une méthodologie.

Megan Twohey et moi, nous avons vécu un de ces moments de journalisme où vous avez une révélation, après avoir passé un certain temps à assembler les pièces du puzzle, et où vous commencez à vous rendre compte que vous êtes en train de découvrir un mécanisme à grande échelle. Ce dont nous avons été convaincues, et que nous avons tenu à documenter de façon sérieuse, c’est qu’il ne s’agissait pas d’une histoire de producteur qui drague des femmes au bar, n’est-ce pas? C’était bien plus organisé que ça. Ce que je pense que nous avons réussi à prouver maintenant, à la fois par des interviews avec des actrices mais aussi avec les assistantes et les responsables, c’est que les choses lui étaient beaucoup facilitées. Le mode opératoire de Weinstein, tel que nous comprenons les accusations portées contre lui, consistait à attirer les femmes dans des lieux privés, en général des chambres d’hôtel, en leur faisant miroiter une promesse de contrat. Il disait : «Je veux discuter d’un scénario avec vous» ou «Je veux parler de votre campagne pour les Oscar pour ce film» ce qui pour une actrice est comme—qui va refuser d’aller dans une chambre d’hôtel pour avoir ce type de conversation? Ces rendez-vous étaient organisés comme des réunions de travail. Si vous écoutez l’histoire de Gwyneth Paltrow, elle dit «bien sûr que je suis allée dans cette suite d’hôtel, le rendez-vous était organisé par fax de la CAA. C’est mon agent qui m’a dit de me rendre dans cette suite, donc ça avait vraiment l’air un truc de travail normal.»

Et une fois qu’il se retrouvait seul avec les femmes, c’est là qu’elles disent que la situation changeait et qu’elles se rendaient compte que le travail n’était qu’un prétexte, qu’elles avaient été leurrées et manipulées, et qu’en réalité elles n’étaient là que pour qu’il puisse leur faire des avances. Et tout cela nécessitait de l’aide et qu’on lui facilite la tâche. Il y avait toute une logistique avec les hôtels, les assistants qui mettaient tout en place, il y avait des agents de voyages, il y avait des gens qui organisaient les réunions. Certains racontent même que des responsables de la Weinstein Company devaient attendre en bas dans le lobby, et quand les femmes redescendaient, ils les aidaient à trouver des castings et des agents, etc.

Avez-vous une idée de l’effet que cela aura ou pas à Hollywood? Je veux dire, c’est un lieu où, comme vous le dites, ça continue, et cela reste un endroit où Roman Polanski n’a aucun problème pour trouver des grands noms, des acteurs et des actrices célèbres pour ses films.

Cela ne fait que quelques jours que nous l’avons publié donc je pense qu’il est un peu tôt pour débattre de son impact. Nous savons qu’il est énorme en termes de polémique, mais je crois que l’impact sera constructif et voici pourquoi: vers la fin de notre enquête, quelqu’un m’a dit: «Étant donné que Harvey a réussi à s’en tirer pendant tellement longtemps, cela envoie le message à tous les autres qu’eux aussi, ils peuvent s’en tirer sans être inquiétés.» Et fondamentalement, les accusations de harcèlement sexuel grave n’entraînent aucune prise de responsabilité à Hollywood. Ce que j’espère c’est que maintenant que toutes ces femmes ont parlé—et c’est un éventail de femmes incroyable, qui va des actrices qui sont à peine des actrices, même à peine intégrées au secteur, à des femmes absolument au sommet comme Angelina Jolie et Gwyneth Paltrow, et elles ont toutes dit: «C’est un gros problème.» Et maintenant Hollywood doit se colleter à la question morale de savoir, vraiment, comment peut-on accumuler 30 ans d’accusations sans que personne ne fasse rien? Qui protégeait les femmes? Et qui protégeait Harvey Weinstein?

Et puis il y a la remise en question de toute l’histoire de cette culture. Toutes ces années de cérémonies des Oscar et de Sundance et de Cannes et des cérémonies de remise de prix et des films que vous et moi avons regardés sur le petit et le grand écran. Il y a toutes ces questions sur ces années et ce qui s’est vraiment passé alors, et le genre d’abus qui ont pu se produire en coulisses. Maintenant que tout ça est mis sur la table, je pense que ça oblige Hollywood à vraiment en discuter sérieusement.

Vous saviez sûrement que Ronan Farrow travaillait sur quelque chose. À quel point aviez-vous envie de sortir l’affaire en premier, et quand son article a été publié –et je lui demanderais la même chose s’il était dans mon podcast– de combien d’histoires aviez-vous entendu parler que vous n’avez pas réussi à éclaircir?

Nous étions vaguement au courant qu’il était sur quelque chose et puis parfois, ça se précisait un peu. C’était un peu déroutant pour nous parce qu’au début je crois qu’il travaillait pour NBC, et ensuite il a enquêté dessus pour le New Yorker. Tout est clair maintenant, mais à l’époque nous ne comprenions pas bien son projet ni dans quelle direction il allait. Nous étions au courant qu’il existait, et puis j’ai lu son article –et d’ailleurs je le félicite pour son enquête. C’est un lieu commun, mais je pense que cela montre que la compétition journalistique peut être vraiment saine. Quand j’ai lu l’article de Ronan, je n’ai pu m’empêcher de penser: «On dirait qu’il y a largement assez d’accusations pour tout le monde.»

Qu’est-ce que ça dit, le fait qu’on puisse faire toute cette longue enquête dans le New York Times qui fait des milliers et des milliers de mots, et puis quelques jours plus tard on peut avoir cette énorme enquête du New Yorker qui fait des milliers et des milliers de mots et les deux récits sont remplis d’accusations dévastatrices et pourtant il y a remarquablement peu de points de chevauchement entre les deux articles? Je crois que cela démontre parfaitement qu’il nous faut nous demander maintenant: «Quelle est l’ampleur et la portée de ce truc, et qu’est-ce qu’il reste encore, que nous n’avons pas encore découvert?»

Savez-vous pourquoi son article n’est pas paru sur NBC News sous une forme ou une autre?

Oh, je ne peux pas spéculer sur son projet.

Sharon Waxman a publié un article où elle dit qu’en 2004 le New York Times a «étouffé» un papier qu’elle voulait écrire sur Weinstein à cause de la pression exercée sur les rédacteurs en chef du Times. Étiez-vous au courant de sa version de l’affaire, en avez-vous parlé à quelqu’un sur place?

Pas vraiment.

Est-ce que vous pouvez dire, quand vous écriviez votre article, est-ce qu’il y a eu des pressions sur le New York Times qui ont été répercutées sur vous par des gens du Times?

Oui, alors je vais vous dire quelle pression le Times a exercée sur moi. La pression c’était: «Sors le papier». La pression c’était Dean Baquet [rédacteur en chef du NYT] qui me disait: «Balance les infos. Va les chercher.» La pression c’était de voir le directeur de la publication, Arthur Sulzberger, à la cafétéria et de savoir qu’il nous protégeait, et de savoir que l’institution était de notre côté. Donc Megan Twohey et moi avons ressenti une pression énorme pour livrer l’article le meilleur et le plus solide possible. Et c’était tellement important quand nous parlions aux victimes présumées de pouvoir dire: «Cette histoire tient vraiment à cœur au New York Times. Cette institution est prête à perdre des publicités et à tenir tête à ce type qui peut être un personnage très impressionnant.» Bon, je devrais m’arrêter là, mais il y avait vraiment une pression gigantesque, mais qui visait à nous faire écrire cet article, pas à le laisser tomber.

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