Culture

Ne réduisons pas l'échange Christine Angot-Sandrine Rousseau à un vulgaire clash télé

Le piège était grossier. On a pourtant sauté dedans avec entrain.

Capture France 2
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Samedi soir, dans «On n'est pas couché», a eu lieu une «altercation» entre Sandrine Rousseau, qui accuse l'ex-député Denis Baupin d’agression sexuelle, et l’écrivain et chroniqueuse Christine Angot. Dès la veille, la «séquence», comme on dit désormais, était largement teasée dans la presse avec force ellipses…

Pendant deux jours, nous avons été abreuvés d’articles écrits non sans gourmandise annonçant qu’un «violent clash» –une «violente altercation»– avait eu lieu lors de l'enregistrement de l'émission entre Sandrine Rousseau et Christine Angot. Que cette dernière a quitté le plateau, et que la première a pleuré.

L’Express, avant même la diffusion de l’émission, concluait l’article ainsi:

«Sans jamais que le mot d'“inceste” soit prononcé, la réaction épidermique de Christine Angot, qui est d'ailleurs citée dans le livre de Sandrine Rousseau, tient sans doute à son histoire personnelle. Mais cela autorisait-il la chroniqueuse à prendre à partie une invitée, victime elle-aussi d'une agression?»

«Je pensais presque qu’Angot avait pété les plombs et tapé sur Rousseau»

La production, elle, a bien pris soin de tirer une autre grosse ficelle, en prévenant que le moment où Angot quitte le plateau a été coupé au montage, pour faire «faire preuve d’élégance» à l’égard de sa chroniqueuse –pourquoi, d’ailleurs, avoir pris soin de le dire ici, quand tant d’autres émissions ont été également coupés sans que cela fasse l’objet d’un communiqué de la prod’? L’élégance, cela aurait été de ne pas chauffer le téléspectateur à blanc, de ne pas dire que le départ d’Angot n’apportait «rien sur le fond» et donc vider de son sens la réaction de l’écrivain. L’élégance aurait et de ne pas scénariser en amont un échange qui avait déjà tout de tragique pour le rabaisser au niveau d’un vulgaire clash comme la télé sait les organiser. Avec en plus, cette façon de sous-entendre qu’un désaccord entre deux femmes est au mieux une simple bataille de chiffonière. Les termes «harpies», «hystériques» et «folles» n’auront d’ailleurs pas tardé.

On s‘attendait donc à assister à une scène d’une violence inouïe. À une mise à mort. Un ami me confiait: «Je pensais presque qu’Angot avait pété les plombs et tapé sur Rousseau.» Mais en regardant l’échange –long, ample, fourni, et ne se résumant certainement pas à quelques phrases tirées de leur contexte qui ont permis à plusieurs sites web de continuer à faire leur beurre–, on réalise que ça n’est ni un clash, ni une altercation, et certainement pas un «bad buzz». On a assisté à la rencontre de deux souffrances. Et constaté qu’une douleur + une douleur, ça ne s’annule pas.

Ici, Claude Askolovitch écrit pourquoi «il ne faut pas condamner Angot pour les larmes de Rousseau». Que ce sont bien deux souffrances, mais aussi deux manières de les intellectualiser qui se trouvent confrontées, sans jamais se rejoindre.  

Pas une grande communauté de victimes

 

Pour Rousseau, il faut «parler». Pour Angot, il faut se «débrouiller». Et il y a, je crois, eu un grand malentendu sur l’emploi de ce verbe: «se débrouiller». Angot n’impose pas, elle constate. Que quand on a été victime d’une agression sexuelle, on est seul, on se démerde. C’est terrible oui, mais c’est comme ça. Elle n’intime pas à Rousseau l’ordre de se taire, elle lui dit de lui foutre la paix, et à elle, et à toutes les autres victimes (Angot a été victime d’inceste paternel). De ne pas appeler à former une grande communauté de victimes, car chacun(e) doit se débrouiller. En écrivant des livres, en militant, en ne faisant rien…

Tout cela est trop compliqué et trop peu commode: ça va beaucoup plus vite de décréter qu’il y a de bonnes et de mauvaises victimes. De décider que certaines sont audibles et légitimes, et d’autres trop dures

Elle essaie aussi de nous dire quelque chose, et on est passés à côté. «Parler» n’est pas nécessairement moins violent que «se débrouiller». Il y a, sur ces questions des violences faites aux femmes, une injonction à dire. Il suffit de voir ce que les femmes victimes de viols et d’agressions entendent systématiquement: «Porte plainte! il ne faut pas se taire! Sinon, cela arrivera à d’autres et cela sera de ta faute.» Voilà comme on passe de victime à coresponsable, simplement parce qu’on a préféré se taire, pour les raisons que ne devraient appartenir qu’à nous.

Rousseau, elle, croit au collectif. Elle est optimiste, ou en tout cas, y met toutes ces forces. Elle veut que la parole se libère. Et dit comme ça, on ne peut qu’être d’accord. D’ailleurs, je suis d’accord avec les deux. Je comprends Angot et je comprends Rousseau. Même s’il est vrai, qu’après avoir vu l’échange, j’ai ressenti une peine immense pour Sandrine Rousseau, davantage que pour Angot, que je sens et sait plus costaude.

Choisir son camp, pourquoi?

 

La question est de savoir qui nous a demandé nos avis. Pourquoi devrait-on choisir? Pourquoi devrait-on élire notre victime préférée et disqualifier l’autre? Peu importe que Sandrine Rousseau elle-même ait pris soin de préciser que ce n’est pas Angot qui l’a fait pleurer. Tout cela est trop compliqué et trop peu commode: ça va beaucoup plus vite de décréter qu’il y a de bonnes et de mauvaises victimes. De décider que certaines sont audibles et légitimes, et d’autres trop dures. Que leurs traits, leur rage, ne collent pas avec l’idée qu’on se fait d’une femme abusée. Nécessairement démolie mais vaillante.

On a le sentiment aussi que l’imaginaire collectif veut décréter la sororité obligatoire. Que la solidarité féminine doit aller de soi. Et qu’une femme qui s’en prend à une autre femme est une traitresse. Un homme admonestant une femme sera bien souvent moins accablé. Une femme qui crie sur une femme, et c’est une faute morale, un canif dans le contrat qui ferait des femmes des sœurs unies dans la douleur. Contrat qu’on a jamais signé. Il est sidérant aussi de constater que les auteurs –supposés ou non– des violences dont Angot et Rousseau parlent, ont été eux, extraordinairement épargnés par les commentateurs.

L’ironie de la chose, c’est que ceux qui se sont découverts une fibre féministe (coucou Rémi Gaillard) se sont pourtant acharnés sur Angot avec fiel et sexisme.

Torrents de haine

 

Il existe sur Facebook un événement «Cours de self contrôle avec Christine Angot». Je m’y suis abonnée pour voir. Et c’est bien ce que je redoutais: blagues misogynes, remarques odieuses sur le physique, posts débiles sur Angot «qui a ses règles», des «Christine sera notre punching-ball». Pour de nouveaux hérauts de la lutte contre les violences faites aux femmes, c’est assez cocasse.

Pour finir, ce moment n’a rien a voir avec «TPMP» ou «Salut les Terriens», monuments de dégueulasserie cathodique. Ce moment est un crève-cœur, parce qu’on est impuissant face à tant de souffrances. Il est aussi symptomatique de notre besoin de choisir un camp, de façon forcément binaire: il faut être #TeamQuelquechose. C’est finalement la façon dont les femmes doivent réagir à la violence qui a été commentée; pas les auteurs de violences. Ce qui donne tristement raison à Angot: «C’est tellement compliqué de parler.» 

 

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