France

Après la «laïcité positive» de Sarkozy, la «laïcité soumise» de Macron?

Pour Denis Quinqueton, Emmanuel Macron a nié plus d'un siècle de tradition politique laïque en déclarant qu'il ne croyait pas à la prééminence du politique pour trancher un débat sociétal.

Emmanuel Macron au 500e anniversaire de la Réforme protestante organisé à l'Hôtel de Ville de Paris, le 22 septembre 2017. © Gonzalo Fuentes / AFP.
Emmanuel Macron au 500e anniversaire de la Réforme protestante organisé à l'Hôtel de Ville de Paris, le 22 septembre 2017. © Gonzalo Fuentes / AFP.

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Vendredi 22 septembre, le jour même où il a promulgué les «urgentes» ordonnances travail, le président de la République a précisé sa pensée politique devant une assemblée de responsables religieux réunis pour célébrer l’anniversaire du protestantisme.

Voulant évoquer son empressement on ne peut plus mesuré à engager l’ouverture de l’accès à la PMA et l’aménagement de la fin de la vie, il a dit:

«La manière que j’aurai d’aborder ces débats ne sera en rien de dire que le politique a une prééminence sur vous et qu’une loi pourrait trancher ou fermer un débat qui n’est pas mûr». 

Ces mots sidérants et dangereux s’assoient sur plus d’un siècle de tradition politique laïque. «La laïcité, a-t-il également déclaré, n'est pas la négation des religions». En effet.

«C’est la capacité de les faire coexister dans un dialogue permanent». Non plus !

Sans «prééminence du politique», point de conquête sociale

La laïcité, c’est la garantie de la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit reconnu à chacune et à chacun –et mis en œuvre!– de croire ou de ne pas croire, sans crainte, ni conséquence. Cette liberté fondamentale est garantie par les pouvoirs publics eux-mêmes, neutres à l'égard des spiritualités, en assurant la prééminence du politique dans l’expression du bien commun.

Si Jules Ferry n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas fait adopter les lois créant l’école publique laïque, condamnées par toutes les églises en 1882.

Si Émile Loubet n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas promulgué la loi de séparation des églises et de l’État condamnée par toutes les églises en 1905.

Si Albert Lebrun n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas promulgué la loi supprimant le devoir d’obéissance de la femme à son mari, condamnée par toutes les églises en 1938.

Si Charles de Gaulle n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas légalisé le recours à la contraception condamnée par toutes les églises en 1967.

Si Valéry Giscard d’Estaing n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas légalisé l’interruption de grossesse condamnée par toutes les églises en 1974.

Si François Mitterrand n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas dépénalisé toutes relations homosexuelles en 1981 ni décidé que l’IVG devait être remboursée par la sécurité sociale en 1982, l’ensemble étant condamné par toutes les églises.

Si Jacques Chirac n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas légalisé la publicité pour le préservatif, efficace dans la lutte contre le Sida, condamnée par toutes les églises en 1987.

Si Lionel Jospin n’avait pas affirmé la «prééminence du politique» et voulu trancher un débat, il n’aurait pas laissé les parlementaires de gauche créer le Pacs et légaliser le concubinage, condamnés par toutes les églises en 1999.

Si François Hollande n’avait pas affirmé la «prééminence du politique», il n’aurait pas fait voter l’ouverture du mariage et de l’adoption à tous les couples, condamnée par toutes les églises en 2013.

Une bienséance religieuse menaçant le libre exercice de la démocratie

Les mots du président de la République sont inquiétants venant d’un homme qui, pendant la campagne électorale pour le 1er tour, n’a pas été d’une grande clarté sur la question de la laïcité et qui a bénéficié pour son élection au deuxième tour du sentiment de rejet qu’inspire –heureusement!– l’extrême droite qui lui faisait face.

Ces mots rappellent d’ailleurs les mots d’allégeance encore plus forte d’un autre président, Nicolas Sarkozy, qui déclara, également au début de son mandat, le 20 décembre 2007 devant une assemblée également religieuse:

«L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur.»

Puisque le président de la République entend soumettre le libre exercice de la démocratie à une sorte de bienséance religieuse, rappelons qu’il est, par fonction, gardien de la constitution. Laquelle commence par ces mots: «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.»

C’est inscrit dans notre état de droit autant que vivant dans nos consciences. Et il va bien falloir tenir compte de ces consciences-là aussi!

 

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