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Acte sexuel avec un mineur: pourquoi il n'y a pas d'âge minimum de consentement en France

Peut-on consentir à un acte sexuel avec un majeur quand on a 11 ans? La Justice française semble dire que oui. Pourtant, il serait possible de fixer un âge en-dessous duquel le consentement ne peut pas exister.

Fred TANNEAU / AFP
Fred TANNEAU / AFP

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À l'âge de 11 ans, en France, on peut être considérée comme consentante lors d’un acte sexuel. Voilà ce que rappelle le parquet de Pontoise dans une affaire que révèle Médiapart. En avril dernier, un homme de 28 ans aborde une petite fille de 11 ans à la sortie du collège. Après plusieurs rencontres, il obtient d’elle deux fellations ainsi qu’une pénétration. Sa famille porte plainte pour viol.

En France, pour que l’on parle d’«agression sexuelle», il faut nécessairement qu’il y ait eu un acte commis avec «violence, contrainte, menace ou surprise». Si cet acte inclut une pénétration, on parlera d’un viol. L’article 222-22-1 du Code Pénal vient préciser que la dite contrainte peut être «physique ou morale». Dans le Val-d’Oise, la fillette de 11 ans n’a pas crié, elle ne s’est pas débattue. Elle a suivi son agresseur, sans broncher.

C’est son absence de lutte qui fait dire au parquet qu’il ne s’agit pas d’un viol mais d’une «atteinte sexuelle»: il n’est pas permis d’avoir des rapports sexuels avec une mineure de moins de 15 ans. Mais cette requalification induit que ces actes auraient été commis «sans violence, menace, contrainte ni surprise»; en d’autres mots, cette requalification induit que ces rapports auraient été consentis par la victime.

Mais une fillette de 11 ans peut-elle réellement donner son consentement, «libre et éclairé», à un acte sexuel?

Des «rustines» qui ne protègent pas suffisamment

La Cour de Cassation a admis, en décembre 2005, que le «très jeune âge» d’un enfant pouvait impliquer qu’il y avait nécessairement «contrainte ou surprise» s’il subissait un rapport sexuel. La juridiction estime que lorsqu’ils sont très jeunes, les enfants ne peuvent «avoir aucune idée de ce qu'est la sexualité, ce qui les [rend] incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur [sont] imposés». Mais qu’entend-on par «très jeune âge»? «Au vu des décisions où cette jurisprudence a été appliquée, il s’agit d’enfants de moins de 6 ans», détaille Me Pascal Cussigh, avocat au Barreau de Paris.

Qu’en est-il pour des enfants plus âgés? Et pourquoi cette règle n’est-elle pas inscrite au Code pénal, pour acquérir une force systématique et légale? Ce dernier reprend tout de même des traits de cette décision, à son article 222-22-1, qui dispose que «la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits.» Mais encore une fois, le terme trop vague semble peu protecteur des mineurs. «Cet article corrige l’absurdité de notre système actuel, mais ce sont des rustines», regrette Me Cussigh:  

«Cet article ne couvre pas un tas de cas de figures: la différence d’âge est-elle significative lorsqu’un majeur de 20 ans a une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans?»

En France, c’est la victime mineure qui doit prouver qu’elle n’était pas consentante

Dans une tribune pour l’association qu’il préside, Coup de pouce-Protection de l’enfance, cet avocat plaidait donc pour la mise en place d’une «présomption d’absence de consentement pour les jeunes mineurs victimes de viol ou d’agression sexuelle». Cette présomption, rappelle également Médiapart, existe déjà dans nombre de pays qui considèrent qu’en deçà d’un certain âge, un enfant ne peut être consentant lors d’un acte sexuel:

«Quatorze ans en Allemagne, Belgique, Autriche; 16 ans pour l’Angleterre et la Suisse, 12 ans en Espagne et aux États-Unis. À chaque fois, avant que cet âge soit atteint, il ne peut y avoir consentement.»

Si l’affaire de Pontoise avait eu lieu en Belgique ou en Autriche, ces actes sexuels auraient automatiquement été qualifiés comme un viol. Nul besoin de prouver que la fillette n’était pas consentante: on présume qu’elle ne l’est pas, et il est impossible de prétendre le contraire.

«Elle était tétanisée, elle n’osait pas bouger, de peur qu’il la brutalise»

La mère de la jeune fille de 11 ans

Cette règle n’apparaît pas dans le Code pénal français. Ainsi, en principe, si un enfant de 3, 7, 11 ou 14 ans est victime d’une atteinte sexuelle, c’est à lui –ou à ses représentants– de prouver qu’il n’était pas consentant. C’est parfois plus aisé que d’autres: des cris, des marques de violence, des preuves de menace peuvent être rapportés. Mais que se passe-t-il dans un cas comme celui de cette jeune fille de 11 ans qui, comme le rapporte sa maman dans l’article de Médiapart, «était tétanisée, elle n’osait pas bouger, de peur qu’il la brutalise»?

13 ans, le bon âge limite?

Pourquoi la France ne fait-elle pas le même choix que ses voisins allemands, belges ou espagnols? «Je pense que ce qui fait peur, c’est de fixer un âge», reconnaît Me Cussigh:

«On pourrait objecter que tous les enfants ne sont pas identiques. Définir un âge, c’est introduire une barrière rigide.»

Mais l’avocat n’est guère convaincu par cet argument: «On fixe constamment des barrières, y compris dans le Code pénal: l’âge de 15 ans est retenu pour l’atteinte sexuelle», rappelle-t-il. Même constat lorsque la Cour de Cassation parle de «très jeune âge» mais semble dans les faits avoir fixé le seuil de 6 ans pour retenir cette présomption.

Si l’on admet qu’il faut fixer un seuil, une question surgit de suite: à partir de quel âge peut-on éventuellement être consentant à un rapport sexuel? Dans un avis pour une «juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et des agressions sexuelles»  publié en octobre 2016, le Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes préconisait la barrière de 13 ans. Un âge que les auteurs du rapport ont fixé avec précaution, insiste Ernestine Ronai, l’une des rapporteures:

 «Nous avons estimé que c’était l’âge en dessous duquel il ne pouvait y avoir consentement: avant 13 ans, l’enfant ne peut pas consentir à un rapport sexuel, dans la mesure où il n’a pas la maturité affective pour le faire.»

Un arbitraire protecteur

Cette limite s’inscrit dans la moyenne des autres pays qui ont choisi d’adopter cette présomption: entre 12 et 16 ans. «Je pense qu’ils ont déterminé ce seuil au regard des connaissances psychologiques sur les degrés de maturité des enfants, explique Me Cussigh, et sur les études de psychiatres et de pédiatres.»

Treize ans, c’est aussi un âge qui laisse un «écart suffisant» avec une personne majeure, ajoute Ernestine Ronai. Cela permet à la fois d’exclure de la présomption des rapports qui seraient consentis entre un mineur «âgé» et un «jeune» majeur, mais aussi de protéger des mineurs de 13 ans de jeunes adultes.

«L’âge exact du consentement qu’il soit fixé à 15, 16 ou 17 ans, sera toujours arbitraire, mais il vise à protéger les enfants des abus d’adultes plus puissant»

Docteur Sarah Nelson

Le problème pour déterminer ce seuil semble ce qui laisse la France réticente. «Il y a toujours la peur qu’un cas particulier n’entre pas dans le cadre général», analyse Ernestine Ronai.

Mais comme le soulignait justement sur la BBC le Docteur Sarah Nelson, chercheuse sur les abus sexuels faits aux enfants, «l’âge exact du consentement qu’il soit fixé à 15, 16 ou 17 ans, sera toujours arbitraire, mais il vise à protéger les enfants des abus d’adultes plus puissants».

Des âges de «majorité sexuelle» qui varient

Si la présomption d’absence de consentement est loin d’exister partout, la notion «Age of consent» existe en revanche dans de nombreux pays. Mais ce terme est très ambigu: il désignerait en effet davantage ce que nous appelons couramment la «majorité sexuelle» –qui juridiquement, «n’existe pas», rappelle Ernestine Ronai.  Car on ne parle pas ici d’un âge en-dessous duquel la victime ne pourrait être consentante; il s’agit de l’âge à partir duquel une personne peut «légalement» avoir des rapports sexuels.

En France, toute personne qui a des relations sexuelles avec un.e mineur.e de moins de 15 ans peut ainsi être inquiété.e pour «atteinte sexuelle». Ce seuil n’a cessé d’être relevé depuis l’introduction de ce délit, rappelle Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteure de Histoire de la pédophilie. De 11 ans en 1832, il est passé à 13 ans en 1863 puis à 15 ans en 1945. Ces changements attestent de la difficulté de fixer une limite inamovible concernant ces questions.

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Ces limites ne sont d’ailleurs pas les mêmes selon les pays: 18 ans en Egypte, 15 ans en Suède, ou 12 ans au Mexique, rapporte l’Unicef. Au Bahreïn, il faudrait même attendre 21 ans, selon le site Age of Consent. La culture influence sans nul doute la fixation de ce seuil. Celui-ci n’est d’ailleurs pas toujours le même pour les filles et pour les garçons, et varie également selon l'orientation sexuelle.

C’est ainsi qu’au Chili, les relations hétérosexuelles sont autorisées à partir de 14 ans, mais les homosexuelles seulement à partir de 18 ans. En Papouasie Nouvelle-Guinée, les filles atteignent l’«age of consent» à 16 ans, mais les garçons à 14. C’est le contraire en Indonésie, où les filles sont considérées comme aptes à avoir des relations sexuelles à 16 ans, alors que les garçons doivent attendre 19 ans.

Présomption simple ou irréfragable?

Les associations qui plaident pour l’instauration d’une présomption de l’absence du consentement souhaitent néanmoins un seuil valable pour toutes et tous. S’il peut s’avérer difficile à déterminer, ce seuil «serait bien plus protecteur que le système actuel» envers les mineurs, assure Me Cassigh. Une présomption simple, plutôt qu'irréfragable, pourrait peut-être permettre d’apaiser les plus rétifs à cette idée, reconnaît l’avocat:

«En dessous d’un certain âge, on ne se poserait pas la question du consentement, qui serait présumé absent. Mais on peut imaginer que l’auteur des faits aurait la possibilité d’apporter la preuve que la victime était bel et bien consentante.»

Une solution qui ne le satisfait toutefois pas pleinement.

Si la requalification du Parquet de Pontoise permet de rouvrir ce débat, il n’est pas sûr qu’une mesure soit prise avant le début du procès de cette petite fille de 11 ans, renvoyé en février prochain. Jugé pour atteinte sexuelle, l'auteur encourt cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende; bien loin des 20 ans de réclusion criminelle dont il est passible en cas de viol.

Au-delà de cet écart de peines, les conséquences pour la victime sont extrêmement graves, ajoute Me Cussigh:

«Même s’il y a une sanction pour atteinte sexuelle, le juge considère que cette victime était consentante.»

 

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