France

Ardisson, Baffie, «TPMP»… On n’en peut plus de la berlusconisation de la télé française

Mépris pour les invités, misogynie et agression sexuelle: l'émission du samedi 23 septembre de «Salut les terriens» est un pur concentré de tout ce que l'on ne veut plus voir à la télévision française.

Capture de «Salut les terriens» du 23 septembre.
Capture de «Salut les terriens» du 23 septembre.

Temps de lecture: 5 minutes

Ça va? On ne vous dérange pas trop les porcs? C’est pourtant une intense et insupportable sensation de malaise que l’on a été nombreux à ressentir en découvrant cette séquence parfaitement abominable de «Salut les terriens» sur C8. Émission dont il y aurait par ailleurs, dans sa globalité, beaucoup à dire. 

Samedi 23 septembre, celui qu’on se plait à appeler «l’homme en noir» –alors que tant d’autres sobriquets me viennent à l’esprit– recevait Michel Fugain, Nicolas Dupont-Aignan, le rappeur Vald, la chanteuse Nolwenn Leroy. Mais aussi Nomi, ex-prisonnière d’une princesse saoudienne devenue star du X. Et hop! Trois cases cochées d’un coup dans la charte de l’émission: du cul, de l’exotisme, de la femme qu’Ardisson fera semblant d’écouter avec empathie, alors qu’il semble penser très fort «quelle pauvre fille, quelle salope!».

La question la plus conne du PAF depuis le début de l'année

Dans une ambiance jeux du cirque (applaudissement hébétés du public, lumières qui font peur, Ardisson en empereur tout puissant trônant sur sa chaise en plastique), les vannes, les micro-agressions et les menaces fusent. 

Un rappeur blanc? Ardisson ouvre le robinet à immondices: blagues sur les noirs, sur les rappeurs forcément illettrés et question appuyée sur le frère supposément musulman de l’artiste. On lit la jubilation dans les yeux d’Ardisson quand il pose la question la plus conne du PAF depuis le début de l’année –et pourtant, il y a de la concurrence: «Est-ce que vous enviez votre frère qui est devenu musulman?»

Même petite excitation dégueu dans le regard de l’animateur quand Nicolas Dupont-Aignan annonce à propos de l’humoriste Stéphane Guillon qu’il va «lui buter la gueule» s’il le croise.

Pendant ce temps, Laurent Baffie, le «sniper» comme il aime lui-même à se définir, remplit le rôle qu’il joue depuis des dizaines d’années à la télé: celui de la hyène, du bougon prompt à grommeler des insanités à chaque fois qu’il lui en prend l’envie. D’être odieux. Et vulgaire. Gratos. Et sous vos applaudissements, public zombie tout bien rangé comme il faut sur les bancs: les jolies filles devant, les autres derrières. 

Quelle bonne blague, de tenter de déshabiller une femme!

Puis arrive ce moment d’une violence folle où Laurent Baffie remonte la robe de Nolwenn Leroy assise à ses côtés en braillant: «Faut du cul, faut du cul!». Gloussements d’Ardisson qui surenchérit: «C’est pour l’audience». Avant de tenter de tempérer, toujours aussi grassement, les agissements de son acolyte en minaudant : «C'est une jeune maman, Laurent...» Car le saviez-vous? Une môman, ça se respecte, du moins un peu. Les autres, c’est open bar. Hop, la main dans le slip et tu te tais. 

La chanteuse, elle, n’aura de cesse de repousser la main de Baffie avant de déclarer: «Je le laisse faire parce que c'est Laurent et c'est mon ami.»

On ne reviendra pas ici sur la réaction de Nolwen Leroy, que d’aucuns ont jugé trop timorée, voire complaisante. Pourquoi ne pas s’y étendre? Parce que ce n’est pas la réaction de celle qui se fait soulever la jupe qui doit être questionnée, mais celle des trois mâles libidineux qui se taperaient bien dans le dos, tellement c’est une bonne blague de tenter de déshabiller une femme (oui, Michel Fugain, on n’oubliera pas ton petit air béat de gosse qui veut pas en perdre une miette).

Faut-il vraiment le rappeler? Ce geste, et tout ce qui suit, participent à la culture du viol. Voire constitue une agression sexuelle. Il n’y a même pas besoin de développer ce point. Le CSA a d’ailleurs été contraint d’ouvrir une enquête face aux multiples signalements

Un point Godwin pour seule réponse

Le CSA, cette fameuse émanation des heures les plus sombres de notre histoire. Car oui, c’est bien la rhétorique adoptée par Ardisson pour répliquer. Un bon gros point Godwin assorti de la morgue la plus sidérante : 

«Le CSA s'appuie sur des signalements, je déteste ce système de dénonciation anonyme.», lâche-t-il. «On se croirait en 1942, époque où les Français avaient une fâcheuse tendance à dénoncer...[...] Je trouve cela incroyable! C'est Orwell! On rêve. Je suis un citoyen français qui répond aux lois de mon pays. Si une association de lutte contre le remonté de jupe m'attaque, très bien. Mais, moi, le CSA, je ne reconnais pas cette juridiction intermédiaire! Le truc coûte quarante millions d'euros par an à la collectivité nationale, au moment où on ampute le budget de France Télévisions de quatre-vingt millions d'euros.»

Ça a l’air chouette la vie de Thierry Ardisson. Quelle chance de pouvoir décider unilatéralement que l'on ne reconnaît pas telle ou telle institution! De quoi donner des idées à ceux qui veulent pas trop s’emmerder avec le code de la route ou le Trésor Public.

Le hic, pour Ardisson en tout cas, c’est que ça ne se passe pas comme ça. Ce n’est pas parce qu’il estime le CSA inutile –et on pourrait être tenté de lui donner raison à certains égards– qu’il n’a pas à se soumettre aux règles ou à se conformer à la correction la plus élémentaire. Quant à cette référence à 1942, mon dieu, qu’elle est bête! 

Il est d’ailleurs coutumier du genre, puisque le 12 septembre dernier, après avoir été tancé pour avoir posé un sac de fausse cocaïne devant le fils de Pablo Escobar (hilarant! subsversif!), il avait également comparé le signalement au CSA à la délation des juifs pendant la guerre.

Quand un homme assimile la collaboration et la délation à un système qui permet aux citoyens d’alerter les instances publiques sur un moment de télé qui les a heurtés, on peut dire que cet homme est foutu. Et qu’on ne peut plus rien pour lui.

«TPMP», les premiers à voler au secours de «SLT»

Pas plus qu’on ne semble pouvoir avoir de prise sur Laurent Baffie et espérer que ce dernier fasse œuvre de repentance, ou seulement de lucidité. Non, il la ramène en se fendant d’un tweet perfide. 

Après la collaboration, la lapidation. Il ne manque plus qu’Hanouna et sa bande nous fassent le coup de «la France, ça devient le califat» et on est bons. L’équipe de «Touche pas à mon poste» a d’ailleurs fait partie des premiers à voler au secours de «Salut Les Terriens». 

Isabelle Morini-Bosc a ainsi chouiné qu’elle, elle ne s’offusquait pas quand Baffie l’appelait «la pute» dans la rue. Valérie Bénaïm, qui n’est jamais la dernière pour défendre l’indéfendable, y est elle aussi allée de son petit couplet sur la police de la pensée. C’est elle qui, pour défendre Hanouna et son canular homophobe, avait osé le point «c’est pas très Charlie» en déclarant: «Des gens sont morts pour le droit à la caricature». 

On appréciera également les messages de soutien d'autres personnalités sur Twitter.


De la bonne grosse téloche vulgaire façon Berlusconi

 

C’est décidemment une manie les parallèles indécents, dans ce petit monde qui se retrouve autour du même modèle: la télé Berlusconi. Avec cette petite touche franchouillarde bien de chez nous –vous savez, celle qui nous a inoculé les Coco girls dans les années 1990 et l’épreuve des cylindres dans «Fort Boyard»?. 

Nous avons sur nos écrans de télé, en 2017, peu ou prou ce qui a été infligé aux Italiens une décennie auparavant. De la bonne grosse téloche vulgaire, des animateurs tripoteurs, des canulars débiles. Avec toujours, en toile de fond, une obsession pour le corps féminin, et une détermination farouche à se l'approprier pour mieux le maltraiter. 

Ces images-là sont dignes de ce que l’on voit aujourd’hui dans «TPMP». Un Jean-Michel Maire collant ses lippes humides sur la poitrine d’une femme n’aurait en effet pas dépareillé en 2007 sur Canale 5. 

Rappelons d’ailleurs que Vincent Bolloré, patron des chaînes sur lesquelles officient les personnages sus-cités, a annoncé en décembre dernier détenir plus de 12% du capital de Mediaset, le groupe de télévision de Silvio Berlusconi. Il se défendait alors de mener une OPA sur le groupe TV italien, et vantait une volonté de «convergence». On voit en effet très bien vers quoi tout cela est en train de converger: de la télé bounga bounga

 

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