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Trump met le feu au football américain, ce sport pratiqué par des Noirs et regardé par des Blancs

En insultant les joueurs qui s'agenouillent pendant l'hymne national, le président américain a poussé le football américain à se politiser.

Rallye à New York, le 23 août dernier I Scott Cunningham / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP II Les Falcons d'Atlanta, en janvier 2007 /  STREETER LECKA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP // Tweet de Donald Trump
Rallye à New York, le 23 août dernier I Scott Cunningham / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP II Les Falcons d'Atlanta, en janvier 2007 / STREETER LECKA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP // Tweet de Donald Trump

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C'est le sujet qui agite les États-Unis depuis ce week-end. Non, pas les problèmes «apocalyptiques» de Porto Rico après le passage de l'ouragan Maria, ni la nouvelle tentative républicaine de se débarrasser du système de santé mis en place sous Barack Obama, mais la guerre entre Donald Trump et les joueurs de football américain.

Vendredi 22 septembre, le président des États-Unis s'en est pris sans le nommer à Colin Kaepernick, joueur au chômage forcé depuis qu'il est devenu agent libre en mars dernier et n'a pas pu retrouver un club –il a aussi planté une opportunité. La situation est d'autant plus surprenante que Kaepernick est l'un des meilleurs quarterbacks du pays. Mais ses prises de position politique –bouder l'hymne national joué avant chaque match pour protester contre les violences policières envers la communauté noire, et plus largement pour la façon dont est opprimée la communauté noire aux États-Unis– ont fait de lui une persona non grata. Ce, au grand dam du reste des joueurs de la Ligue, qui ont pris fait et cause pour lui. Une position opposée à celle des propriétaires de franchises qui ne lui ont toujours rien proposé, et de Donald Trump.

«N'aimeriez-vous pas voir un de ces propriétaires d'équipes de la NFL, quand quelqu'un manque de respect au drapeau, dire: “Virez-moi ce fils de pute du terrain tout de suite. Dehors! Il est viré. VIRÉ!” Vous savez, un propriétaire va finir par le faire. Il va dire: “Ce type qui manque de respect à notre drapeau ne fait plus partie de l'équipe”. Et ces propriétaires ne le savent pas –beaucoup d'entre eux sont des amis– mais ils deviendront la personne la plus populaire du pays pour une semaine, car il s'agit d'un manque de respect total de notre héritage, de tout ce que nous défendons.»

Le football américain n'est pas apolitique

Après s'en être pris à d'autres athlètes pendant le week-end –qui ont pour point commun d'être noirs et sportifs–, Trump a continué à attaquer les joueurs pas assez patriotes selon lui, qui manifestent leur mécontentement en snobbant l'hymne national, ou en mettant un genou à terre lorsqu'il est joué, avant le début de la rencontre. Le tout, parfois, sous les huées des supporters présents dans le stade, qui refusent de voir leur passe-temps préféré être politisé à leurs yeux.

Or, rappelle Nate Silver, le fondateur du site FiveThirtyEight, «dire qu'un sport est apolitique reflète un certain niveau de privilèges. Vous êtes blanc et ignorez le fait que les joueurs de talent qui attirent les gens dans les stades sont des athlètes afro-américains, tandis que ceux qui dirigent la ligue sont blancs. C'est emblématique de la société américaine, et plus particulièrement dans le football américain, où la base est très conservatrice, et où il existe une fracture culturelle entre les 30 ou 35% de joueurs blancs, souvent sudistes, et les joueurs noirs, qui ont vécu une toute autre vie. Dire que l'on peut séparer tout ça est faux».

Le football américain est un sport majoritairement pratiqué par les Noirs et regardé par les Blancs. En 2015, Vice notait que sur les 1.700 joueurs présents dans la Ligue nationale de football (NFL), 1.200 étaient Noirs. Les fans, eux, sont principalement des blancs (83%), des hommes (64%) de plus de 45 ans (51%) qui gagnent plus de 5.000 dollars par mois (68%). Et ils sont plus souvent républicains que démocrates, expliquait une étude, relayée par Reuters.

Alors forcément, explique un journaliste du New York Times, quand un joueur décide de bouder l'hymne national, cela énerve pas mal de monde assez rapidement.

«La NFL pour différentes raisons a toujours été la ligue la plus conservatrice. Elle est très liée à l'armée, ils font beaucoup de choses ensemble. Et pour un athlète, et surtout un athlète noir, mettre un genou à terre lors de l'hymne est vu par certains supporters, certains propriétaires de franchises, certaines personnes au sein des médias, comme une insulte envers l'armée.»

Un sport pour les conservateurs

Plus largement, pour Reuters, le football américain est un sport qui plaît particulièrement aux conservateurs (quand d'autres comme le basket, le tennis ou le «soccer» plaisent plus aux progressistes), parce qu'il reflète certaines de ses valeurs, et parce qu'il va encore plus loin, dans la relation entre «travail et capital».

«Aucune autre ligue professionnelle ne fait preuve d'autant d'indifférence, voire de mépris, envers ses propres joueurs –ce qui explique pourquoi les anciens joueurs ont porté plainte. Le nombre record de commotions, et l'utilisation d'analgésiques prouvent que pour la NFL –et nombre de ses fans– les joueurs sont des Kleenex, que l'on peut échanger, et que l'on utilise jusqu'à ce qu'on les jette. Le fait que les joueurs n'aient jamais établi un puissant syndicat, comme l'ont fait les joueurs de baseball et de basket, ne fait que montrer que les joueurs ont une confiance aveugle en la NFL. La carrière d'un joueur moyen dure à peine trois ans, et pourtant, c'est la seule ligue professionnelle où les joueurs n'ont pas de contrats garantis.»

Au-delà de ça, poursuit Reuters, le football a réussi à remplacer le baseball dans le cœur des Américains parce qu'il a capturé l'essence de l'Amérique de Reagan, et «continue à vibrer chez sa base de supporters, parce que c'est l'un des derniers refuges des hommes blancs à être menacé par une démographie mouvante et un état d'esprit plus tolérant».

Donald Trump, allié malgré lui

Là où la mobilisation de sportives en 2016 (pour des raisons similaires) n'a connu aucune médiatisation, le mouvement lancé par Kaepernick la saison dernière semble prendre forme. Grâce à un Donald Trump qui a réussi à former une coalition contre lui, ils sont plusieurs à rejoindre le président américain, dans le camp des conservateurs, et à appeler leurs lecteurs à arrêter de suivre le championnat de football américain en réponse aux protestations des joueurs.

Mais contrairement à ce qu'avançait David French, dans le magazine conservateur National Review, si le terrain est là pour le sport, les déclarations ne se font plus seulement sur Twitter. Le terrain est aussi devenu un lieu d'expression pour ces athlètes. Et ce d'autant plus que depuis plusieurs années déjà, la Ligue est allée dans ce sens, rappelle FiveThirtyEight.

«Je ne pense pas qu'il y a toujours eu l'hymne national avant les matchs, et pas toute la cérémonie avec les drapeaux géants. [...] Cela a été inséré dans le sport et les matchs. Ces deux ou trois minutes sont déjà un environnement politique. C'est un choix délibéré effectué par les dirigeants de la ligue.»

Et les joueurs qui manifestent comptent bien en profiter. Pour certains, le but de ces protestations est de mettre en lumière les inégalités qui existent encore dans le pays, quand d'autres espèrent des changements significatifs, ou juste protester contre les propos du président américain.

 

Colin Kaepernick passe le flambeau

En rentrant dans l'arène et en insultant Kaepernick, Donald Trump a soufflé sur des braises, et a allumé un feu que l'on n'attendait plus en NFL. Comme l'explique justement SB Nation, «Trump a rendu le message de Kaepernick plus concret, plus nécessaire. Trump a ouvert les yeux au sein de la ligue, là ou Kaepernick n'y parvenait pas».

En un tweet, le professeur et journaliste du New Yorker, Jelani Cobb, a d'ailleurs parfaitement résumé la situation. Ce week-end ressemblait à la fin d'un film où Colin Kaepernick peut enfin laisser son message être porté par les autres, après avoir été si seul pendant plusieurs mois.

Même de nombreux propriétaires et la grande star de la NFL, Tom Brady, –dont les liens avec le président sont assez ambigüs pour qu'on se demande s'il le soutient vraiment– ont dû se retourner contre le président américain et soutenir le mouvement de protestation porté par les athlètes. Pas nécessairement pour protester contre les mêmes choses que Kaepernick, mais en faisant cela, ils mettent en avant son combat.

Et même si tous ces athlètes ne bénéficient pas d'un soutien populaire pour l'instant, FiveThirtyEight rappelle que c'est le cas de tous les grands mouvement qui ont fait bouger les États-Unis, lors de ces dernières décennies. Ces athlètes ont déjà recueilli de nombreux soutiens et l'avis du grand public aura potentiellement évolué d'ici quelques semaines ou quelques mois. Dans ce cas-là, les plus conservateurs pourront toujours bouder et se concentrer sur le Nascar.

 

 

 

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