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Cet article est extrait du livre Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins.
On pourrait considérer le vaccin contre les oreillons comme un acte purement altruiste de la part des filles, car cette maladie n’a que très rarement d’effets secondaires sur elles. Il existe certes un petit risque de perte auditive, voire de manière rarissime de surdité –tout comme lors d’une otite–, mais si ce vaccin est recommandé pour l’ensemble de la population, c’est pour protéger les garçons post-pubères d’inflammations douloureuses des testicules. Non parce qu’elles sont douloureuses. Mais parce que ces infections entraînent, dans 15 à 25% des cas, une atrophie testiculaire irréversible, laquelle peut mener à une altération de la fertilité (la stérilité reste toutefois rarissime).
En étant un peu provocateur, on pourrait affirmer que nous ne faisons vacciner les filles que pour conserver les bijoux de famille de la gent masculine (et un peu, aussi, leur capacité reproductive). Il est intéressant d’ailleurs de remarquer que l’inverse est faux: en France, on ne demande pas aux hommes de se faire vacciner contre une maladie qui ne protégerait que les femmes. La preuve en est que le vaccin contre les papillomavirus (ou HPV), qui vise à éviter le cancer du col de l’utérus, n’est pour l’heure pas proposé aux garçons.Ils n’ont pas plus d’utérus que nous n’avons de testicules, nous qui nous faisons pourtant vacciner contre les oreillons. Si l’objectif de la vaccination contre HPV est de diminuer la circulation des papillomavirus, qui se transmettent par relation sexuelle, alors vacciner les garçons paraît logique. Ils participent en effet tout autant à leur dissémination que les femmes –voire plus si l’on en croit les enquêtes sur le nombre de partenaires sexuels plus élevé chez les hommes [1]. Morale de l’histoire: soit la vaccination est machiste, soit l’altruisme prend naissance dans l’utérus…
Les vaccins ne sont pas une nécessité en soi. Ils représentent un choix parmi d’autres solutions. Un choix à évaluer en permanence en fonction de multiples données: épidémiologiques, immunologiques, sociologiques ou encore économiques. Dans le cas de la lutte contre le cancer du col de l’utérus, l’analyse des choix qui ont été faits en France révèle, là encore, quelques incohérences vis-à-vis des valeurs de solidarité et d’égalité sans cesse mises en avant dans les discours de nos décideurs en santé publique. Il existe en l’occurrence deux solutions pour réduire l’incidence de ces cancers: la vaccination et le dépistage.
L’avantage de la vaccination, c’est qu’elle agit en amont de l’infection tandis que le dépistage intervient après et nécessite, en cas de lésions précancéreuses persistantes, de procéder à une intervention chirurgicale consistant à retirer la partie du col porteuse de la lésion (on parle de conisation [2]). Une intervention non dénuée de risques chez les femmes en âge de procréer (notamment en termes de risques d’infertilité et d’accouchement prématuré). L’avantage du dépistage, c’est qu’il détecte toutes les lésions alors que les vaccins actuellement disponibles [3] ne contiennent que deux, quatre et bientôt neuf souches du virus sur les quelque cent cinquante qui circulent parmi nous. Ce qui signifie que des femmes vaccinées sont toujours susceptibles de développer des lésions dues à d’autres souches. D’où la nécessité, même en étant vaccinées, d’effectuer régulièrement des frottis. Si des femmes se croient totalement protégées grâce au vaccin et en viennent à négliger non seulement la protection par préservatif, mais aussi le dépistage, le bilan pourrait s’avérer contre-productif.
Un choix injuste?
Lorsque les premiers vaccins arrivent sur le marché en 2006, le dépistage du cancer du col de l’utérus est balbutiant en France. Les rapports des experts et des organismes de santé publique reconnaissent l’intérêt de cette vaccination, mais considèrent tous comme prioritaire l’organisation d’un dépistage généralisé par frottis [4]. Cet outil est considéré comme le plus efficace pour réduire le taux d’incidence et la mortalité de ce cancer [5]. Surtout, il présente un rapport coût-efficacité bien plus intéressant, affirment les études médico-économiques [6]. Pourtant, le choix de la France est de recommander cette vaccination à toutes les jeunes filles avant leurs premières relations sexuelles et de rembourser à 65% le coût des vaccins dès 2007. Sans rien proposer pour améliorer le dépistage. Il faudra attendre 2010 pour qu’une expérimentation de dépistage organisé soit financée dans treize départements. Et ce n’est qu’en 2014, dans le troisième plan cancer, qu’on inscrira la généralisation du dépistage comme une priorité nationale. Celle-ci devrait devenir effective en 2018.
Autrement dit, jusqu’à aujourd’hui, la priorité a été donnée aux vaccins contre l’avis de la plupart de nos experts. Ce que je voudrais souligner ici, c’est que ce choix ne pouvait qu’exacerber les inégalités de santé existantes. Les vaccins anti-HPV sont en effet les plus chers jamais mis sur le marché: ils coûtent plus de 100 euros la dose, soit 200 euros la vaccination complète à deux doses. En 2013, l’État a consacré 34,7 millions d’euros à leur remboursement [7]. Les études montrent que ce sont avant tout les jeunes filles issues d’un milieu économiquement favorisé et/ou diplômé qui reçoivent ce vaccin [8]. Ainsi, non seulement l’argent public profite aux mieux loties financièrement, mais ces remboursements bénéficient à celles qui, consultant plus fréquemment un gynécologue, ont en réalité le moins besoin de ces injections. À l’inverse, les jeunes filles de milieux défavorisés ne profitent ni des remboursements, ni du dépistage individuel tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Il aurait été plus logique et surtout plus solidaire de lancer d’abord un réel programme de dépistage organisé, accompagné d’une stratégie de ciblage pour limiter l’inégalité d’accès aux gynécologues, avant d’ajouter un autre outil insuffisamment évalué et plus élitiste. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas de dépistage organisé à l’échelle nationale. Et les couvertures vaccinales sont si faibles qu’elles ne peuvent avoir aucun impact sur l’incidence globale des cancers du col.
1 — Nathalie Bajos et Michel Bozon (dir.), Enquête sur la sexualité en France, La Découverte, 2008. Retourner à l'article
2 — Chaque année, environ 36 000 conisations sont réalisées en France Retourner à l'article
3 — Cervarix® contient les souches 16 et 18, jugées les plus agressives. Ces souches seraient responsables d’environ 55 % des lésions précancéreuses en France. Gardasil® contient en plus les souches 6 et 11, réputées beaucoup plus bénignes, impliquées dans les verrues génitales. Et Gardasil 9® couvre cinq souches supplémentaires, responsables de 15 à 20 % des cancers du col. Retourner à l'article
4 — K. Haguenoer et al., « Dépister ou prévenir le cancer du col ? », Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction, vol. 37, n° 1, p. 1-2, février 2008. Retourner à l'article
5 — Généralisation du dépistage du cancer du col de l’utérus. Étude médico-économique. Phase 2, Institut national du cancer, octobre 2016. Retourner à l'article
6 — Institut national de veille sanitaire, Modélisation médico-économique de l’impact de l’organisation du dépistage du cancer du col utérin et de l’introduction de la vaccination contre les HPV dans le calendrier vaccinal, 2007 ; La politique vaccinale de la France, rapport de la Cour des comptes, 2012. Retourner à l'article
7 — Sandrine Hurel, Rapport sur la politique vaccinale, janvier 2016. Retourner à l'article
8 — A. Baudoin et al., « Vaccination anti-HPV : évaluation de la couverture vaccinale et des facteurs qui l’influencent chez les lycéennes et étudiantes de la région PACA », J. Gynecol. Obstet. Biol. Reprod. (Paris), vol. 44, n° 2, février 2015, p. 126-135 ; voir aussi l’avis relatif à la place du vaccin Gardasil 9® dans la stratégie actuelle de prévention des infections à papillomavirus humains du 10 février 2017 du Haut Conseil de la santé publique. Retourner à l'article