France

Cher Emmanuel Macron, la France des fainéants est votre meilleur atout

Le président ne veut rien céder aux fainéants. À tort, car le Français est flemmard, donc génial, par nature. De tous temps, le fainéant a été le phare du monde. Les glandus sont notre avenir. Plaidoyer pour la start-torpeur.

<a href="https://www.flickr.com/photos/89228431@N06/11285432175">Sleeping worker</a> | Reymermedia via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Sleeping worker | Reymermedia via Flickr CC License by

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Lorsque Slate, interrompant ma sieste, m'a proposé d'écrire un article parlant des fainéants, j'ai décliné. J'avais pas trop l'envie, et puis c'était trop tard, personne aurait le courage de le lire. J'ai dit «mmmouiii?» en baillant, pensant qu'ils oublieraient. C'est mal connaître ces glandeurs de la rédac', jamais aussi satisfaits que lorsqu'ils parviennent à refiler une corvée. Alors, en vraie feignasse que je suis, j'ai commencé à bosser. Pour me débarrasser du truc.

En bon scribouillard assoupi, je fais comme tout journaliste en 2017: je fais un copié-collé. En l'occurrence la citation du Président qui est la cause de tout:

«Je serai d'une détermination absolue et je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes.»

Beaucoup s'en indignent. Les Français ne seraient pas des fainéants. C'est pas gentil, vous voyez le topo.

La France, première impuissance mondiale des fainéants

Moi, non. L'indignation m'épuise. Et puis, on le sait tous au fond, la France est un pays de fainéants, peut-être même la première impuissance mondiale des fainéants. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont nos livres d'histoire et notre patrimoine culturel.

Quel autre pays peut se targuer d'avoir eu non pas un, mais plusieurs rois fainéants? N'est-ce pas un Français qui a posé les bases d'un droit à la paresse? Où, sinon en France, vit-on un An 01, révolution du farniente? Ne sommes-nous pas les champions du monde de la grève, des congés payés, des 35 heures? Est-ce un hasard si notre pays est la première destination touristique mondiale, lorsque le tourisme est une activité économique dédiée aux vacances? Et, mieux, n'avons-nous pas créé en Corse une île entièrement vouée au repos?

Procrastination intérieure brute

Ne chérissons-nous pas l’heure d’hiver qui nous permet de dormir soixante précieuses minutes de plus? N'avons-nous pas fait de Bonjour paresse un best-seller? D'ailleurs, notre pays abonde en œuvres de l'esprit consacrées à la paresse: Boudu sauvé des eaux (Jean Renoir), Alexandre le bienheureux (Yves Robert), «Sois fainéant» (Coluche), «Et bailler et dormir» (Eddie Constantine), «Le Travail c'est la santé» (Henri Salvador)... Jusqu'à Bel Ami, éloge de la promotion canapé, et La Recherche, roman écrit dans un lit, expérience ultime de la procrastination

La flemme nous est à ce point nécessaire que nous dépensons des fortunes en séances chez les psys, ces génies qui réussissent l'exploit de facturer le fait de s'allonger sur un divan. Nous sommes le peuple oblomovien par excellence. Je n'ose imaginer les sommes que nous dépensons en somnifères et calmants.

Monsieur le Président, sauf votre respect, vous avez tort de ne rien vouloir céder aux fainéants. Les oisifs sont l'âme de la France, la cossardise son ADN, la flemme notre génie national. Croyez-moi, vous avez tout à gagner à vous appuyer sur notre apathie pour faire vos réformes. On ne gouverne pas contre son peuple, fût-il assoupi.

Pour vous en convaincre, je voudrais vous parler de la roue. La roue, je suis formel, a été inventée par un glandeur. Un type qui en avait marre de porter des cailloux dans ses bras ou au bout d'une corde. Ce type s'est dit un jour qu'il y avait sûrement moyen de tirer au flanc et il a inventé la roue. Et comme il devait être un peu plus malin que les autres, il a dû leur vendre le truc ainsi: j'ai inventé un moyen de bosser moins, si vous voulez en profiter, portez mes cailloux, les autres ont dit oui et lui est allé faire la sieste.

Vous voyez où je veux en venir, M'sieur le Président? Ce type était un glandu, donc un génie, donc un Français.

Les fainéants font tourner le monde

Pas besoin de réfléchir beaucoup pour comprendre que toutes les inventions qui ont transformé le monde ont été l’œuvre de fainéants. Pourquoi le pont? Mais pour s'éviter des kilomètres à pieds ou à la nage. La voiture? Pour se déplacer le cul enfoncé dans un fauteuil. L'arc? Le canon? Le fusil? Le drone? Pour pouvoir tuer son prochain en restant bien au chaud dans son château ou derrière son ordi.

Le livre? Mais pour ne pas répéter dix fois, cent fois, dix mille fois la même chose.  Le lit? Pour dormir.

J'ai pas trop la force de faire le calcul de toutes les richesses, et de tous les emplois qui ont été créés grâce à ces inventions. Mais c'est évidemment colossal. Le paresseux est un entrepreneur. Le flemmard est un assoupissement productif. La start-up nation est mollassonne. L'inerte est notre modèle. Pour échapper au travail, le cossard déploie des trésors d'énergie

Regardons cette célèbre séquence d’Alexandre le bienheureux.

 

Avant d'accéder à ce bonheur d'indolence, combien de tâtonnements, d'échecs, de calculs, de précautions? Alexandre a tout connu des difficultés du créateur d'entreprise. Il a bâti son laziness plan et créé un processus industriel innovant. À présent, il doit veiller à la gestion des stocks et à l'élimination des déchets... Le parcours de ce créateur hors normes devrait être enseigné dans toutes les écoles de commerce.

Songez à Gaston Lagaffe, M'sieur le président, ce héros belge tellement lymphatique qu'il mériterait d'être Français. Sa vie fut un concours Lépine permanent. Il a à peu près tout inventé pour en faire le moins possible. Pour échapper au travail, Gaston Lagaffe n'a eu de cesse de raisonner en gains de productivité. Les économistes devraient le citer en exemple à tous leurs étudiants et le Medef serait bien avisé de l'inviter à son université d'été.

Et, lorsque j'observe le monde des start-up, où la création de richesses repose très largement sur l'ubérisation ou le service à domicile, je me dis que les feignasses ont un avenir radieux. Monsieur le Président, je vous fais une lettre. Ah non, plutôt un e-mail, c'est plus facile.

Innovez, M'sieur le Président. Confiez la prospective à des indolents pour qu'ils nous dessinent un avenir radieux. Transformez France stratégie en France léthargie. Exigez l'inaction. Ranimez la flemme. Soyez le président de la France qui se couche tôt.

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