Boire & manger

La Provence en pleine renaissance touristique et gastronomique

La fréquentation a connu cet été de très fortes hausses. Un succès qui s'appuie sur quelques lieux d'exception.

L'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence
L'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence

Temps de lecture: 10 minutes

Est-ce la proximité d’Avignon, à 2h30 de Paris par le TGV, qui a rapproché la Provence de la capitale? Cet été, les lieux de vie, villas, hôtels, relais, restaurants, campings ont capté une clientèle en nette progression de vacanciers, d’amoureux du pays de Giono, de Pagnol et de Mistral. Les chiffres sont là –plus de 10 à 20% en augmentation. L’attractivité de la Provence n’a jamais été aussi vive et reconnue par les édiles locaux.

À l’Oustau de Baumanière, le Relais & Châteaux inventé aux Baux-de-Provence en 1946, juste après la Seconde Guerre par l’audacieux Raymond Thuilier, a connu en 2017 une fréquentation en hausse de 3.000 clients. Ce fut pour Jean-André Charial, propriétaire, inespéré et encourageant.

À l’Auberge de Saint-Rémy de Provence (10 400 habitants), Fanny Rey, finaliste de Top Chef 2011, étoilée au Michelin en février 2017, et son mari Jonathan Wahid, pâtissier, champion de France de pâtisserie, ont refusé du monde à tous les dîners dans la cour pavée, même en semaine. Déjeuners très courus.

Aux Baux-de-Provence, tout près de Maussane-les-Alpilles, cité reine de l’huile d’olive, un industriel du BTP, Patrick Saut, né ici, a vendu sa belle affaire de construction (10.000 employés) et a transformé un vaste domaine agricole et une bergerie en une hostellerie de campagne cinq étoiles au pied d’un golf de 18 trous, deux restaurants et un Spa: l’œuvre d’une vie, 11.000 mètres carrés bâtis. C’est la douceur de vivre dans la campagne provençale, villas hôtelières, chambres avec vue et un excellent chef venu de chez Troisgros au Domaine de Manville –les dîners très gourmands toujours complets cet été.

1.Les Maisons de Baumanière, l’Oustau aux Baux-de-Provence

Une saison d’euphorie? La Provence serait-elle redevenue une destination à la mode? Il faut le croire car même aux déjeuners sous un soleil de plomb, Baumanière a drainé une forte affluence de fins becs venus de toute la région –jusqu’à Marseille et au-delà vers Monaco. De plus, la Provence a toujours captivé les Américains du Nord pour l’huile d’olive et les spécialités culinaires: agneau, tian de légumes, rosés fruités sont pour beaucoup dans cette renaissance attendue.

Certes, les Baux et le Val d’Enfer chers à Jean Cocteau et au peintre Yves Brayer sont parmi les villages les plus visités de France, hérissés de rocs de pierres blanches, posés sous le ciel bleu, l’endroit a conservé un pouvoir de dépaysement: c’est un lieu de mystère jamais estompé.

En outre, la haute cuisine conçue par le petit-fils de Raymond Thuilier, le septuagénaire Jean-André Charial, l’héritier avec son épouse Geneviève, décoratrice née et leur fille est mitonnée par un jeune chef, Glenn Viel, venu de Courchevel. Les plats de la tradition provençale ont toujours de quoi enchanter les meilleurs palais et pas seulement le gigot d’agneau de lait escorté du gratin dauphinois et des haricots verts fins comme de la soie (175 euros pour deux), le rouget aux tomates confites (70 euros), et le millefeuille à la vanille (26 euros).

Jean-André Charial et Glenn Viel à l'Oustau de Baumanière

Toutes ces réjouissances et d’autres en saison (les truffes) sont nées de la gestuelle brillante, créative de l’ex-assureur de Lyon, Raymond Thuilier. Il est devenu dans les années 1950-1960 la star plébiscitée des fourneaux provençaux avec Fernand Point, son ami de cœur, propriétaire de l’Imperator à Vienne, le premier grand restaurant de province, triple étoilé en 1933, célébré par Sacha Guitry pour son cinquième mariage avec Lana Marconi: «Un point c’est tout».

C’est cette transmission réussie un demi-siècle plus tard qui est émouvante, le legs sentimental de Raymond Thuilier, trois étoiles en 1954 (douze en France), à ce petit-fils poussé aux fourneaux par le génial créateur du ris de veau en terrine.

Jean-André, jamais absent –il a investi 12 millions d’euros après les années 1970–, confident des mangeurs aux deux repas, vit pour l’Oustau, pour son devenir, les dépendances hôtelières et la fidélité des clients –nombre d’habitués sont très attachés au site escarpé.

Tarte aux petits pois du jardin de Baumanière © Matthieu Cellard

«Je suis né là, dans cette ancienne bergerie en ruines rachetée en 1945 par mon grand-père qui venait d’Avignon en vélo. Il y avait encore des restrictions alimentaires, des problèmes d’eau, et il a construit une piscine et un haras! C’était un bâtisseur doublé d’un cuisinier hors pair et un hôtelier novateur. Le premier Relais & Châteaux de Provence, du Midi de la France, c’est ici. À l’Oustau, avec mon épouse si dévouée, je suis en charge du destin actuel et futur de ces Maisons de Baumanière implantées autour du Val d’Enfer. Rien ne me fait plus plaisir que d’accueillir les fidèles comme Pierre Arditi dix jours par an, Jean Reno, un voisin, le financier Michel-David Veil, et de faire vivre dans la joie ce lieu improbable et beau.»

Il y a 33 cuisiniers, boulangers, pâtissiers, plongeurs à l’Oustau, et une cinquantaine de chambres avec la Cabro d’Or, la succursale voisine, créée aussi par Raymond Thuilier en 1956. Aux fourneaux, c’est l’ode à la Provence éternelle enrichie de nouveaux plats du chef Viel: le thon rouge en tataki (70 euros), le pain de loup au jus de tête (57 euros), le pigeon des Costières à la lavande (65 euros) et la fameuse crêpe soufflée au Grand-Marnier (26 euros) façon Raymond Thuilier.

Tout cela, cette filiation talentueuse, très risquée, a forgé le succès actuel de l’Oustau, soixante-dix ans d’accueil et des travaux d’embellissement constants, des maisons, des piscines, parcs et jardins. Le Michelin si attaché aux traditions du bien vivre et du respect des pratiques culinaires devrait redonner la troisième étoile à ce lieu de mémoire provençale, «une récompense, la rencontre d’un site et d’un homme exceptionnel», a écrit Frédéric Dard, un fidèle parmi les abonnés des Baux.

• Route départementale 27 13250 Les Baux-de-Provence. Tél. : 04 90 54 33 07. Menus au déjeuner à 100 euros, 165 et 215 euros. Carte de 160 à 220 euros. 56 chambres à partir de 200 euros. Piscine chauffée, boutique, parking à l’ombre.

2.L’Auberge de Saint-Rémy-de-Provence, chez Fanny et Jonathan

Ce fut la révélation du Michelin 2017, la première étoile décernée à la trentenaire Fanny Rey, chef patronne avec son époux Jonathan de cet ancien relais de poste niché au cœur de Saint-Rémy-de-Provence, transformé en hôtel-restaurant très fréquenté par les gourmets du secteur et les accros de cette province bénie des dieux où «la vie recommence toujours en même temps que l’été». (Francis Scott Fitzgerald).

Fanny Rey et Jonathan Wahid

En fait, voilà une histoire d’amour et de cuisine liée au cadre majestueux de l’Hôtel Ritz à Paris. C’est dans le vaste laboratoire culinaire du palace rénové deux fois par Mohamed Al-Fayed que se rencontrent la bourguignonne Fanny, brunette aux yeux bleus, apprentie cuisinière très douce, et Jonathan, excellent pâtissier d’origine pakistanaise, naturalisé français –son père basé à Nîmes a servi dans l’armée.

Tous deux ont dans le sang la passion des choses de la gourmandise. Cette bourguignonne au regard vif a le feu sacré bocusien, toute gamine elle mitonnait des soupes d’orties façon Loiseau et des gâteaux de famille.

À Megève, elle a été cuisinière aux Fermes de Marie, puis à la Bastide de Ménerbes en Provence, elle cherche à en savoir plus sur les secrets de la grande cuisine (les sauces, les cuissons, les tours de main) et, en 2001, à 19 ans, elle tente sa chance au Ritz, place Vendôme, et c’est le grand Michel Roth, Bocuse d’Or, MOF, deux étoiles au Michelin, qui l’engage. La star des fourneaux, né à Metz, a décelé ses talents et son doigté au piano.

C’est la chance de sa vie et, mieux, Roth au grand cœur la confie à son bras droit Philippe Mille, chef poissonnier de grand avenir (les Crayères à Reims). Dans les sous-sols du palace, animation électrique, elle découvre les bases de la haute cuisine post-Escoffier, les liaisons, les jus courts, les pommes soufflées, le pithiviers aux truffes, le homard à l’avocat et au pamplemousse, le gros turbot au diamant noir… C’est une formidable école des goûts justes, des textures, des gestes : la main guidée par le cerveau.

Elle côtoie le maître MOF Jean-François Girardin, alter ego de Roth, l’as de la sole soufflée et du baron d’agneau en croûte. Oui, une formation d’exception : même Michel Troisgros n’a pas bénéficié d’une telle éducation au feu.

À la pâtisserie, Jonathan Wahid mémorise les secrets des desserts d’anthologie auprès d’Eddie Benghanem, le génie du soufflé au chocolat et de la pêche Melba née à Londres du temps d’Auguste Escoffier qui cherchait à séduire la cantatrice australienne. Jonathan montre une dilection particulière pour les techniques, les finitions, la touche finale des gâteries de fins de repas, parmi les plus délicates de Paris : tartes, babas, glaces et sorbets…

Mais, surtout, de l’autre côté des cuisines du palace s’agite sa bien-aimée Fanny qui a trouvé son Don Juan distingué, charmeur, un gentleman –ce sera l’homme de sa vie. Un fils Enzo naîtra, scellant leur union et le désir de s’installer à leur compte comme Michel Rostang, Guy Savoy, Bernard Loiseau, Alain Dutournier, Joël Robuchon, Bernard Pacaud et bien d’autres. Être chez soi, envoyer une cuisine que l’on aime dans un cadre choisi, c’est le rêve des jeunes turcs de la poêle mus par la créativité et la liberté.

Après un détour par l’Oustau de Baumanière, grâce à un coup de pouce d’Alain Ducasse, le couple tombe sur la Reine Jeanne, un restaurant connu à Saint-Rémy-de-Provence où à vécu Nostradamus, Michel de Notre-Dame, l’homme des fameuses prédictions. C’est là que Fanny et Jonathan vont installer leur charmant restaurant dans le patio, une cour pavée d’un charme fou et un hôtel de quelques chambres au cœur de la cité provençale.

En juillet 2012, après un an de travaux et un million d’euros investis, le relais de poste revit, monument historique classé, retapé comme il faut et un restaurant de quarante places de cuisine locale: petits farcis, filet de bœuf à l’anis, homard au fenouil, turbotin au beurre blanc et caviar (55 euros). La carte s’étoffe selon la saison, la manière de Fanny plaît, les plats partent bien, 35.000 couverts en 2016. La rentabilité est là, dynamisant sa créativité et celle Jonathan Wahid: millefeuille revisité et entremets au chocolat à tomber. On finit en beauté!

En février 2017, Fanny Rey obtient la première étoile, une exception de taille dans le paysage gastronomique français, elle rejoint au palmarès Reine Sammut à l’Auberge la Fenière (84160 Cadenet), Hélène Darroze à Paris (75006), Stéphanie Le Quellec au Prince de Galles (75008), sur les traces de la reine Anne-Sophie Pic à Valence, trois étoiles comme la Mère Brazier à Lyon et au Col de la Luère. Quel avenir pour Fanny!

Le couple a rebaptisé le restaurant Fanny et Jonathan –ils ne servent que 35 couverts par service, et moins l’an prochain car si l’étoile Michelin a boosté la fréquentation (il faut réserver aux dîners), ils veulent diminuer le nombre de tables pour accroître qualité et raffinement. Oui, quel exemple pour les jeunes pousses de la restauration française.

De son long séjour, cinq ans au Ritz, elle a retenu l’artisanat de l’assiette bien comprise: le carpaccio de maigre à l’aïoli safrané, dosage parfait (26 euros), la sole de ligne étuvée, crémeux de chou-fleur (59 euros), les Saint-Jacques cuites à l’étouffée «pince à linge» (45 euros) et le ris de veau au citron noir, mousserons et jus (56 euros)… tout cela soutenu, embelli par un remarquable sens des goûts justes et une dextérité de saucière hors pair. Oui, le Michelin a bien discerné le talent multiforme de cette vestale des fourneaux, mère de la petit Jade, huit ans.

Reste maintenant à s’approcher de la seconde étoile, un palier ô combien complexe dans la hiérarchie sophistiquée du guide rouge –il n’y a que 72 chefs à ce niveau en France, la crème de l’élite. Allez-y!

• 12 boulevard Mirabeau 13210 Saint-Rémy-De-Provence. Tél. : 04 90 92 15 33. Menus à 30, 42 et 85 euros. Carte de 70 à 120 euros. Rosé de Romanin (14 euros le verre). Chambres à partir de 100 euros. Forfaits.

3.Le Domaine de Manville

Sur la route de Maussane, voici un vaste resort édifié sur cent hectares, un golf de 18 trous cerné par des bâtiments hôteliers autour d’une piscine olympique et un patio de platanes qui apportent l’ombre bienfaisante –on circule en mini moke.

Voilà l’investissement en pierres blanches, en espaces verts, en lieux de restauration de Patrick Saut, un bâtisseur dans l’âme qui a offert au village de sa naissance un ensemble de grand tourisme, 150 employés à l’année, des salons d’accueil, un bar ouvert sur le patio et un grand restaurant sous une verrière 1900 mené par le chef Matthieu Dupuis-Baumal, venu des Troisgros où il a été numéro 1 aux côtés de Michel Troisgros et de l’aîné César: une expérience au piano hors du commun.

Matthieu Dupuis-Baumal © Julien Bouvier

Tout cela, ce domaine né de rien, est impressionnant par le bâti, 11.000 mètres carrés, l’importance des fonds engagés, des dizaines de millions d’euros, et la vraie réussite de ce projet touristique pour un weekend en Provence, une semaine de repos, des vacances prolongées (20% de golfeurs) dans le calme et la sérénité provençales.

C’est une folie dira-t-on, oui mais c’est le cadeau exemplaire du couple à leur village –Édith et Patrick Saut vivent là– auprès des hôtes, les golfeurs, et des fins palais car l’atout majeur de Manville, c’est la bonne chère mitonnée au dîner par Matthieu Dupuis-Baumal au palmarès ronflant, passé chez Michel Roux, trois étoiles au Waterside Inn près de Londres, cuisinier au Palais à Biarritz, au Cinq du George V à Paris du temps d’Éric Briffard et quatre ans aux côtés de Michel Troisgros, artiste du bœuf de Charolles au gingembre. Cela marque une vie de cuisinier, l’espoir de tout arpète. Mathieu est l’épigone parfait du fils Troisgros.

Il n’y a que huit plats salés et quatre desserts à la Table de Manville, un court récital d’une stupéfiante exigence dans la quête des produits et le traitement rigoureux des assiettes : le duo de carabineros de Palamos (grosses crevettes espagnoles) rôties, mouillées d’un jus aux fruits (43 euros), la liche, ce poisson très fin, fumée sauce ponzu (62 euros), et l’admirable barigoule d’artichauts mouillés d’une sauce champagne, caviar et yuzu, une merveille de saveurs pointues (42 euros), on reste saisi par la finesse de l’assiette.

Le loup de ligne est cuit en croûte de pain, escorté d’une sauce vierge au goût d’unami japonais et de coquillages, un plat sidérant (53 euros), le homard bleu est saisi en cocotte, la tête farcie et les tomates brûlées, une alliance savoureuse (64 euros).

Côté viandes, le carré d’agneau rôti, jus corsé et figues (47 euros), mais voici une sorte de chef-d’œuvre de goût : le pigeon du Poitou croustillant d’une divine tendreté et cromesquis d’abats (58 euros). Rien que pour ce plat digne d’un trois étoiles pour la cuisson et le parfum, «la Table de Manville vaut le voyage» conseille le guide rouge avec raison.

On termine par le rare soufflé à l’abricot et praliné (19 euros) ou par le baba des pères chartreux à la pomme verte et vanille (19 euros). Le sucré égale le salé.

Oui, un dîner de grande classe, proche de la perfection, qui mérite largement l’étoile (et même deux d’un coup) en février 2018.

Manville, une étape de choix pour les gourmets signalée par le connaisseur Marc Esquerré, rédacteur en chef de Gault & Millau qui a fait de Matthieu Dupuis-Baumal, nantais, un Chef de Demain. Et d’aujourd’hui. Un «must» en Provence. À suivre.

• 13520 Les Baux-de-Provence. Tél. : 04 90 54 40 20. À la Table, dîner seulement, menus à 85 ou 125 euros. Carte de 90 à 120 euros. Au déjeuner, le Bistrot de plats provençaux et italiens, vitello tonnato (12 euros), succulents desserts. Chambres à partir de 235 euros, 340 euros en haute saison. Affilié à Small Luxury Hotels.

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