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Le réseau social Gab.ai a été lancé en août 2016, trois mois avant que le monde change. Un calendrier qui n'aura rien eu d'une coïncidence. Créé à San Mateo, en Californie, par Andrew Torba, ancien soutien de Trump et ex PDG d'une boîte d'AdTech de la Silicon Valley, le réseau n'a nécessité que quatre personnes pour voir le jour, sans investissement extérieur. Torba, jadis viré d'Y Combinator, un célèbre accélérateur de start-up, pour avoir enfreint leur charte anti-harcèlement, en avait marre du «monopole gauchiste» sur les médias sociaux. Monopole qui, comme il l'explique à Buzzfeed, déciderait des informations méritant ou non de faire la une ou de la définition de ce qui constituerait ou pas un cas de harcèlement. Aujourd'hui, un an plus tard, Gab dépasse les 240.000 utilisateurs après avoir levé un million de dollars en financement participatif, une réussite célébrée par un gros majeur dressé de tweet à destination de la «Silicon Valley».
Avec un logo ressemblant à Pepe, la grenouille anthropomorphique devenue l'emblème de l'alt-right, Gab est une cour de récré numérique pour nazis, suprémacistes blancs, masculinistes, croisés anti politiquement correct, rescapés du Gamergate, absolutistes de la liberté d'expression, anti-féministes et globalement pour tout amateur de bonnes grosses blagues dégueu. Les notifications y sont des croassements de grenouille. Si un commentaire antisémite, raciste ou sexiste n'est pas le premier post sur lequel vous tomberez, ce sera probablement le deuxième, le troisième ou le quatrième. C'est un «safe space» pour tous les gens dont on veut en général se protéger. De l'avis des gabeurs, leurs points de vue trouvent de moins en moins de place sur un internet formaté par la Silicon Valley et ses valeurs gauchisantes. Un rejet qui aura propulsé l’essor de Gab.
Le 17 août, une semaine après la manifestation de nazis et de suprémacistes blancs à Charlottesville, en Virginie, et deux jours après le premier anniversaire de Gab, Google l'expulsait de Google Play, sa boutique d'applications.
Les néonazis virés du web
Mais Gab n'est pas le seul à s'être fait claquer les portes numériques au nez. Ces dernières semaines, plusieurs groupes propageant la haine ont été chassés d'internet, où ils avaient élu domicile depuis des années passées à croître, se multiplier et s'organiser de mieux en mieux. Une purge commencée avant le rassemblement «Unite the Right» de Charlottesville, avec des bannissements d'Airbnb ou de Facebook pour certains des organisateurs de la manifestation. Mais après le week-end sanglant et son déferlement dans les réseaux sociaux et les journaux télévisés d'images de hordes suprémacistes marchant dans les rues de la ville, le mouvement s'est accéléré: Spotify, Paypal ou le site de rencontres OkCupid allaient eux aussi décider de bouter les nazis hors du web.
L'exemple le plus emblématique est celui du Daily Stormer. Ce site suprémaciste, une des principales plateformes organisationnelles du rassemblement du 12 août, a vu son hébergement résilié par GoDaddy après s'être moqué d'Heather Heyer, la militante anti-raciste tuée à Charlottesville par la voiture-bélier d'un suprémaciste. Le lendemain, le site s'est tourné vers Google pour se faire héberger, mais le géant le bannira à son tour quelques heures plus tard, ce qui reviendra, de facto, à excommunier le Daily Stormer de l'internet ouvert. Le 25 août, le plus vieux site internet néo-nazi, Stormfront.org, perdait lui aussi son hébergement et son nom de domaine.
Le plan B de l'alt-right
La nouveauté de cette récente vague d'interdictions, c'est qu'au lieu d'exclure les comptes d'individus ou de collectivités, comme cela a pu se passer avec Facebook, OkCupid ou Airbnb, les gardiens d'internet s'en prennent désormais à des organisations dans leur ensemble. Avec Gab, par exemple, c'est toute une plateforme qui devient fondamentalement inaccessible pour ses utilisateurs sur Android (Apple avait déjà interdit l'application). S'il est toujours possible de se connecter sur Gab via son navigateur, un réseau social sans application iPhone ou Android se voit gravement handicapée sur le marché. Sauf que Gab a un plan B.
Une semaine auparavant, après le licenciement de James Damore, l'auteur du «mémo Google», Gab lançait un nouveau mouvement. «Trop c'est trop», peut-on lire dans un post Medium, signé par les créateurs de Gab et posté le 10 août, soit deux jours avant la manifestation de Charlottesville. «À l'intérieur comme à l'extérieur de la Silicon Valley, il est temps pour les patriotes et les libres-penseurs de s'organiser, de trouver des moyens de communication sûrs et de se mettre à créer». L'article en appelle à la création d'un nouveau groupe, la «Free Speech Tech Alliance», visant à construire une infrastructure technique alternative où l'alt-right serait libérée des pressions de la Silicon Valley et de ses valeurs de justice sociale –mais aussi du pouvoir monopolistique des mastodontes de l'économie de l'information, comme Facebook, Google, Apple et consorts.
Gab et nombre de ses compatriotes de «l'alt-tech» cherchent à créer leur propre internet, là où leur haine pourrait trouver refuge.
Construire un nouvel internet n'est pas chose facile. Nous avons tendance à imaginer le web comme un champ ouvert et abstrait, propriété de tous et de personne à la fois –une légende qui remonte à ses origines de projet gouvernemental, mais aussi parce que nous calquons notre conception d'internet sur ce que nous savons d'autres infrastructures communicationnelles, comme les ondes radio ou la télévision câblée. Sauf qu'internet est constitué d'une série de services fondamentaux, pour la plupart possédés et gérés par des acteurs privés, hébergeant les contenus et donnant aux internautes des indications pour qu'ils puissent les trouver. Si ces fournisseurs de services ne veulent pas qu'un truc se retrouve sur internet, ils n'auront pas trop de mal à le faire disparaître.
«L'alt-righter moyen est probablement un nerd de 28 ans qui travaille dans l'informatique».
Si l'alt-right veut échapper au web dans lequel vit le commun des mortels, les plateformes que le «manifeste» de Gab appelle de ses vœux devront, avant toute chose, trouver des répertoires de noms de domaine acceptant de travailler avec eux. Sauf que de grosses entreprises américaines comme GoDaddy et Namecheap refusent désormais leurs services à des sites comme le Daily Stormer –soit une évolution de taille, vu qu'ils ne mettaient traditionnellement pas le nez dans les affaires de leurs clients.
Les sites alt-right ont d'autres options, plus clandestines. Ils peuvent utiliser des adresses brutes, en chiffres, ou essayer de débaucher des fournisseurs de noms de domaine extérieurs aux États-Unis. Ils peuvent aussi rejoindre le dark web, où les sites sont hébergés de manière anonyme, mais ne sont accessibles que via des navigateurs spéciaux, comme Tor (c'est ce qu'a fait le Daily Stormer après sa proscription). Si les sites veulent être ouverts à tous, ils doivent se trouver un hébergement, mais aussi se protéger des piratages, comme les attaques DDoS. Sauf que Cloudflare, une entreprise spécialisée dans la protection contre les DDos et qui était jusqu'ici célèbre pour la non-discrimination de sa clientèle, a elle aussi refusé ses services au Daily Stormer après les événements de Charlottesville. En résumé, s'il n'est pas impossible que le mouvement alt-tech se développe sans l'aide des gros fournisseurs en noms de domaine, services de sécurité et autres boutiques d'applications, cela ne sera pas une sinécure.
Et le projet exige aussi des ressources, beaucoup de ressources.
Au départ, tout ce que Gab entend produire pourrait parfaitement être financé par ses créateurs, qui semblent tous pouvoir compter sur des emplois très bien payés dans la Silicon Valley. En mars, dans Mother Jones, l'éditeur du Daily Stormer Andrew Anglin expliquait que le gros du trafic du site provenait du comté de Santa Clara, soit le cœur de la Silicon Valley. «L'alt-righter moyen», déclarait dans le même magazine Richard Spencer, suprémaciste blanc, «est probablement un nerd de 28 ans qui travaille dans l'informatique».
Des centaines de candidatures
Utsav Sanduja, le directeur d'exploitation de Gab, m'a décrit la «Free Speech Tech Alliance» comme «un groupe de cent et quelques ingénieurs de la Silicon Valley qui œuvrent en coulisses à créer une infrastructure alternative». L’objectif du mouvement: posséder ses propres serveurs et fournir ses propres noms de domaine, son propre stockage cloud, proposer sa propre protection anti DDos, sa propre cryptographie, sans oublier ses propres réseaux sociaux et autres plateformes de «libre expression» alternatives, comme un PewTube, remplaçant de YouTube. Si on en croit Sanduja, Gab a déjà reçu des centaines de candidatures pour rejoindre l'alliance, qui demeure pour l'instant aux portions congrues histoire de protéger les identités des agents doubles travaillant toujours dans la Silicon Valley. S'il est impossible de connaître avec certitude leur réel employeur, une poignée serait sur le campus Google, affirme Sanduja.
Gab emboîte le pas d'un certain nombre de services web existants et penchant vers l'extrême-droite. Pax Dickinson, l'ancien directeur technique de Business Insider forcé à la démission après un article de Gawker sur son compte Twitter rempli de blagues racistes et faisant l'apologie du viol, a créé sa propre entreprise de financement participatif «alternatif», Counter.Fund. Il y a aussi Hatreon, l'alternative de Patreon, qui affirme dans ses directives générales que «la haine est une expression protégée par la liberté d'expression». Il y a aussi la version droitière de Wikipedia, Metapedia. Sans oublier le site de rencontres alt-right, Wasp.love, avec son slogan «Préservez votre héritage! Croissez et multipliez!». Si ces services sont effectivement des tribunes pour trafiquants de haine, ils diffèrent des forums de Stormfront et Gab, où des idées suprémacistes et antisémites sont discutées, et où des criminels comme Dylann Roof et Anders Breivik ont pu trouver des oreilles attentives et se radicaliser.
En manque d'argent frais
Dickinson essaye de séduire des investisseurs, mais il n'est pas très optimiste. «Les investisseurs gauchistes sautent de joie quand il s'agit d'étaler leur gauchisme à la face du monde, qu'importe la stupidité des projets qu'ils financent», se lamentait Dickinson sur Gab. (Il a refusé d'être interviewé pour cet article). Reste que les partisans de l'alt-tech sont persuadés de la viabilité commerciale de leurs services. «Je pense que les premiers à nous rejoindre seront les plus marginaux et les plus radicaux, ceux qui ont déjà été exclus de YouTube et autres plateformes similaires», explique Anthony Mayfield, créateur de PewTube. «Mais à mesure que la définition du méchant qui n'a pas le droit de dire certains trucs sur internet continuera de s'étendre, je pense que les usagers de ma plateforme et de ses équivalents vont continuer à devenir de plus en plus normaux».
Depuis le licenciement de Damore par Google et l'exclusion de Gab du Play Store, le besoin d'un internet alt-right se fait de plus en plus pressant. Le 25 août, Dickinson publiait une présentation ciblant les investisseurs et les nouveaux entrants. «L'alt-tech promet de restaurer et de ressusciter le vieux credo libertarien d'une technologie horizontale vecteur de liberté», peut-on lire dans ces slides, qui affirment que le mouvement ne se soucie ni de la race, ni du genre ni du pedigree et que sa seule ligne de conduite est «tais-toi et code». Le plan promet de donner un second souffle aux zones rurales et aux petites villes américaines, en créant de nombreux emplois pour des ingénieurs désireux de créer un nouvel internet «anti-marxiste». «Les premiers investisseurs à financer ces alternatives seront les bâtisseurs de la révolution Alt-tech», proclame un slide.
Ces dernières semaines, quelques youtubeurs de droite extrême sont devenus les figures de proue de ce mouvement naissant. C'est le cas de Styxhexenhammer666, un célèbre libertarien dont les deux vidéos sur le projet ont généré près de 70.000 vues. D'autres ont posté des vidéos d'«appel à l'action» à destination des informaticiens susceptibles de créer de «nouvelles tribunes de défense de la liberté d’expression» et ont elles aussi attiré des milliers d'internautes. Les chiffres ne sont peut-être pas encore énormes, mais ils laissent néanmoins entendre que le mouvement peut compter sur un soutien populaire certain.
De fait, sur Gab, on trouve tout un tas de posts d'individus se présentant comme des ingénieurs informatiques et offrant leurs services. Dans un groupe, le Right Wing Dev Squad, ça blaguait sec sur ses projets de week-end après la manifestation de Charlottesville: «Ça va être la dolce vita: une bière dans la main, du code sur mon écran et un juif dans mon four».
Un simple réseau social, la haine en plus
Un Facebook avec plus de racisme, telle est la manière la plus simple de décrire Gab. Même la récente éclipse solaire n'a pas été épargnée par les mèmes racistes. (Un gabeur écrivait: «Le soleil s'identifie maintenant comme Noir et exige des réparations!»). Sur Gab, il y a des chats privés, accessibles uniquement sur invitation, dont un pour l'Alt-Tech Alliance, mais aussi des forums thématiques et des profils individuels. Sur le mur du groupe consacré à l'ouragan Harvey, on pouvait lire «J'ai entendu que Dieu niquait les Noirs avec de bonnes vieilles techniques de nettoyage naturel. Dieu bénisse le sorcier du Ku Ku Klan, c'est un génie». Évidemment, tous les posts ne sont pas aussi haineux. Certains utilisateurs postaient simplement des liens vers des sites d'infos ou des messages bienveillants à l'égard des victimes, en espérant qu'elles puissent trouver refuge quelque part.
Gab.ai
Les gabeurs peuvent voter pour les posts, ce qui les fait remonter dans le fil. Lorsque je me suis inscrite sur le réseau pour préparer cet article, en disant que je cherchais des membres pour me parler de l'alt-tech, un gabeur m'a immédiatement demandé combien de juifs bossaient à Slate. Certains ont poliment refusé, en affirmant que mon média n'était pas fiable, quand d'autres ont accepté de répondre à mes questions.
«La plupart des gens que je vois arriver d'autres réseaux s'identifient comme conservateurs ou libertariens», m'explique un gabeur en mail, tout en demandant à être cité anonymement. «Ils voient qu'il y a un deux poids deux mesures dans la manière dont Google, Facebook ou Twitter censure les soi-disant “propos haineux”. La plupart du temps, ce n'est pas du tout haineux, c'est simplement une idée qui déplaît aux plus bruyants». Contrairement aux sites suprémacistes, Gab ne se focalise pas sur une idéologie politique particulière, même si beaucoup de haineux y gravitent. Il s'agit manifestement d'une plateforme mettant en avant la liberté d'expression, qu'importe qu'elle puisse blesser.
Si Gab se targue d'être un forum pour la parole libérée, le site censure néanmoins les appels à la violence, le partage d'images pornographiques illégales, la vente ou l'échange d'armes, ainsi que les groupes terroristes.S'ils trouvent quelque chose qui contrevient aux consignes du site, les gabeurs peuvent le signaler. Selon Sanduja, Gab a d'ores et déjà exclu des utilisateurs qui menaçaient de tuer des musulmans ou qui avaient partagé du revenge porn, sans qu'il lui soit possible de prouver ses dires.
Comme sur Facebook, on chérit les communautés sur Gab. Mais ici, les communautés sont plutôt du genre à fuir le monde réel. Internet aura été depuis longtemps un refuge pour les suprémacistes. Dans les forums et sur Twitter, Facebook, YouTube ou Reddit, les communautés de néo-nazis alt-right ou de nationalistes blancs ont pu trouver des espaces privilégiés pour partager leurs mèmes et s'auto-valider leurs théories belliqueuses.
Contrôler internet, pour le meilleur et pour le pire
Une réalité qui semble avoir fait son temps. Cette année, ragaillardis par la victoire de Trump, ils sont aussi ressortis dans les rues et il n'est plus possible de les dire contenus dans leurs boîtes de Pandore numériques. Une présence matériellement visible qui aura fait s'élever de plus en plus de voix en faveur de leur contrôle sur internet. Des appels que les géants du web ont enfin entendu, pour le meilleur et pour le pire.
Nous ne savons pas si l'alt-right pourra réaliser son rêve d'un second internet construit par ses soins. Reste que ses jérémiades sur la censure ont pu révéler une vérité essentielle: sur internet, le contrôle est effectivement centralisé et les géants du web n'ont pas forcément envie que vous soyez au courant de cette réalité. Si ses opinions sont gerbantes, l'alt-right a été bien maligne de contextualiser son combat dans une défense de la liberté d'expression. Un argument qui circule aussi au sein de la droite traditionnelle. Trump adore s'en prendre à Amazon, sans nul doute parce que son PDG, Jeff Bezos, possède le Washington Post. Son ancien conseiller, Steve Bannon, directeur général de Breibart, en a lui-même appelé à une régulation des fournisseurs de services internet sur le même modèle en vigueur pour les fournisseurs d'énergie ou d'eau. Si on y ajoute les projets démocrates d'une nouvelle grande loi antitrust, alors les cerbères d'internet pourraient bientôt avoir chaud aux fesses.
Et si leurs pouvoirs monopolistiques en viennent effectivement à être menacés à la suite d'une contre-offensive de l'alt-right, alors l'ironie serait des plus piquantes. Selon Sanduja, Gab aurait perdu entre 70 et 75% de son marché américain avec son exclusion des boutiques d'applications d'Apple et de Google. Même si vous êtes d'accord pour interdire Gab, l'énormité de ce pourcentage devrait vous pousser à y réfléchir à deux fois. Ce qui explique aussi pourquoi les arguments de l'alt-tech pourraient trouver pas mal d'oreilles attentives dans la Silicon Valley, où de nombreux entrepreneurs ont d'ores et déjà à souffrir d'une concurrence déloyale et des abus de positions dominante.
Les erreurs des GAFA
Difficile aussi de ne pas voir comment cette histoire révèle, au départ, les torts des GAFA. D'une certaine manière, l'alt-right met au jour les contradictions d'entreprises qui prétendent ne pas vouloir «être malveillant» (Google) ou qui espèrent «rapprocher le monde» (Facebook), tout en devant leur popularité (et leurs profits) à un internet où tout semble possible, tant qu'ils n'en ont pas décidé autrement. Si interdire les nazis pourrait sembler parfaitement légitime, vu le manque de transparence des entreprises technologiques, notamment en ce qui concerne leurs paramètres de modération, l'arbitraire n'est peut-être pas si loin.
Si le marché avait été réellement pluraliste, Facebook, Google et GoDaddy auraient été tout aussi libres d'exclure des idéologies odieuses, sauf que personne n'aurait pu les accuser d'enfreindre la liberté d'expression, vu que le Daily Stormer aurait pu trouver d'autres plateformes sociales et d'autres fournisseurs de nom de domaine pour répondre à ses besoins. Le premier idéal d'internet était celui d'un bien commun, où toutes les opinions les plus diverses pouvaient être partagées, où tout le monde pouvait se rassembler pour se comprendre et même en venir à penser contre soi-même et être convaincu par des idées nouvelles. Une utopie qui a sans doute toujours été naïve, mais si l'idée d'un internet libre du joug d'une poignée d'entreprises profitables à quelques actionnaires continue d'être aussi populaire, ce n'est pas sans raison. Facebook était censé contribuer au bien commun qu'est internet, pas que sa forteresse en vienne à l'engloutir tout entier.
Ce qui explique aussi pourquoi Gab et la Free Speech Tech Alliance ont pu attirer la confiance des nazis, mais aussi évoquer la rhétorique anti-trust de la gauche. Enfin, jusqu'à un certain point. «Si Google et Apple sont des entreprises qui roulent pour un camp politique, alors elles devraient assumer leurs discriminations. Elles devraient en être fières», déclare Sanduja. «Elles ne devraient pas enfumer leur monde et parler de changement ou de différence. Qu'elles arrêtent les sophismes et nous montrent leur vrai visage de tribune à gauchiasses».