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L'avenir d'Apple, c'est Siri

La voiture autonome d’Apple est dans une impasse. Pas son assistant personnel Siri.

Le PDG d'Apple Tim Cook à San Jose, le 5 juin 2017 | Josh Edelson / AFP
Le PDG d'Apple Tim Cook à San Jose, le 5 juin 2017 | Josh Edelson / AFP

Temps de lecture: 7 minutes

Baptisé «Titan», le projet d’Apple de concevoir une voiture autonome a du plomb dans l’aile. Comme l’a révélé le New York Times le 22 août dernier, la société a considérablement réduit ses ambitions en la matière, puisqu’elle ne prévoit plus que de concevoir le logiciel qui équipera une navette destinée au transport de ses employés. Et à en croire des sources anonymes citées par le New York Times, cette navette elle-même ne sera pas construite par Apple: il s’agira sans doute uniquement d’un véhicule commercial acheté auprès d’un grand constructeur automobile.

Cette nouvelle n’a pas choqué tous ceux qui ont suivi la saga, un peu gênante, du secret le moins bien gardé de la Silicon Valley. Lancé il y a trois ans, le projet Titan semblait sur la mauvaise pente depuis un an au moins. En octobre dernier, Bloomberg avait déjà rapporté qu’une iCar made in Apple n’était plus en projet, ce qu’avait admis dans les grandes lignes son PDG, Tim Cook, en juin. La nouveauté, cette fois-ci, ce sont les détails au sujet de cette navette pour employés, qui souligne à quel point Apple est à la traîne, à quel point tout cela est confus et montre peut-être aussi comment la société pourrait s’en sortir.

Historiquement, Apple a construit son succès sur des produits matériels. Ses plus grands succès —le Mac, l’iPod et l’iPhone— étaient tous des biens matériels judicieusement conçus pour procurer une expérience intuitive aux utilisateurs. Ce sont ces biens matériels qui ont, par la suite, donné naissance aux services et logiciels d’Apple qui ont rencontré le plus de succès, comme iTunes et l’App Store. Il n’était donc pas tout à fait stupide de penser que l’iCar pourrait devenir le nouvel iPhone: un produit blockbuster qui se vend par centaines de millions, au point de transformer le secteur tout entier.

Apple a un problème d'intelligence artificielle

Toutefois, ce qui fait une voiture autonome, ce n’est pas la voiture. C’est l’intelligence artificielle. Et c’est ce qui a posé problème à Apple. De tous les nouveaux secteurs auxquels s’est essayé Apple sous le leadership de Tim Cook, l’intelligence artificielle (celle qui est nécessaire à la construction d’un véhicule autonome) est sans conteste le plus important. Les logiciels d’intelligence artificielle envahiront sans doute bientôt non seulement nos voitures, mais aussi nos domiciles, nos appareils électroniques et, de plus en plus, notre travail. Mais Apple est mal placé dans la course à l’intelligence artificielle. Contrairement à Google, qui a toujours été spécialisé dans les données et les algorithmes, Apple est d’abord une société de hardware. Dans le domaine du logiciel, sa force réside dans la création d’interfaces intuitives pour accompagner ses appareils —pas de récolter et de traiter des sets de données gargantuesques comme ceux sur lesquels reposent les algorithmes d’apprentissage automatique. Apple est en outre handicapé par ses positions fortes sur la protection des données et sa culture interne du secret, qui sont des hérésies aux yeux des meilleurs chercheurs du domaine.

Cela explique en partie pourquoi le projet initial d’Apple prévoyait la conception et la construction d’un véhicule à partir de zéro. Google, Uber et les autres ont une longueur d’avance en matière de logiciels, mais très peu d’expérience dans la conception et la fabrication de machines que le public voudra acheter. Apple pensait sans doute pouvoir distancer ses concurrents en associant le logiciel à un matériel au design innovant. Mais, comme Apple a pu rapidement le constater, concevoir des voitures et concevoir des ordinateurs sont deux choses très différentes… et cela ne l’a pas aidé non plus –il semble de plus en plus probable que les entreprises qui construiront demain nos voitures autonomes seront les mêmes que celles qui fabriquent nos véhicules actuels. Cela laisse Apple dans la même position qu’elle a occupée durant la dernière décennie: celle d’un constructeur d’appareils électroniques élégants, avec encore et toujours le vénérable iPhone pour étendard.

L'iPhone est parti pour rester

Le problème pour Apple est que la technologie de demain ne reposera pas comme aujourd’hui sur de petits appareils discrets qui fonctionnent chacun indépendamment, aussi bien conçus soient-ils, mais sur des intelligences dématérialisées, qui «flottent» d’un appareil à un autre, collectant au passage des données pour affiner leur compréhension de l’utilisateur. Dans le contexte d’une voiture, le facteur clé pour l’avenir ne sera pas la machine elle-même (l’arrangement des sièges, le moteur, les roues…) mais le logiciel d’intelligence artificielle qui la conduira.

Et qu’en est-il du domaine de l’informatique personnelle, où Apple règne encore en maître? L’iPhone semble parti pour rester et l’on peut facilement imaginer que nous allons continuer à transporter sur nous des appareils technologiques de ce type dans les décennies à venir. Mais la manière dont nous interagissons avec nos téléphones est déjà en train de changer. Les écrans tactiles et les boutons sont en train de céder la place à des assistants vocaux tels que Siri, Google, Alexa et Cortana. La frappe manuelle est en train d’être remplacée, dans certains contextes, par la frappe prédictive, voire par des fonctionnalités de «réponse intelligente», qui composent automatiquement des messages à notre place. De la même manière, les portails Web passifs sont en train d’être supplantés par les notifications push, qui font des suggestions proactives.

Toutes ces nouvelles fonctionnalités reposent moins sur le type d’interface utilisateur dans lequel Apple est si bon que sur (vous l’aurez deviné) les logiciels d’intelligence artificielle. Pour tous les concurrents d’Apple, cela offre une opportunité de prendre le dessus sur l’une ou l’autre des fonctionnalités de notre iPhone.

Nos nouveaux cerveaux

 

L’application Facebook est déjà aujourd’hui celle sur laquelle nous passons le plus de temps sur nos téléphones. Et ses filiales Instagram et WhatsApp sont respectivement en train de prendre l’ascendant sur l’appareil photo et la messagerie. De même, Google est meilleur qu’Apple en matière de cartes, mais aussi d’e-mail, de calendrier et de navigateur. Toutefois, c’est sans doute de l’un de ses rivaux les plus inattendus, Amazon, que vient la menace la plus existentielle pour Apple, si elle souhaite que l’iPhone joue un rôle central dans l’informatique personnelle de demain. Avec ses enceintes Echo, et son logiciel Alexa, Amazon est en train de montrer au monde que le téléphone n’est peut-être pas, après tout, le centre de contrôle idéal d’une maison connectée. Pourquoi sortir un appareil de sa poche et s’ennuyer avec des boutons lorsqu’il est possible de simplement demander à Alexa d’allumer les lumières, de changer de chaîne, de vous donner les dernières informations, de commander à manger, de passer de la musique ou même de faire le café?

Echo (ou Google Home) ne peut pas littéralement remplacer votre iPhone, puisque vous ne pouvez pas le transporter partout avec vous. Mais, en revanche, vous pouvez emporter Alexa ou Google Assistant partout: théoriquement, les logiciels derrière Echo et Google Home pourraient devenir les «cerveaux» de nombreux appareils, y compris votre téléphone portable (Amazon propose d’ailleurs déjà Alexa sur son Fire TV et Google propose son Google Assistant en application pour ses appareils Android, mais aussi pour l’iPhone). Plus vous utilisez ce type de logiciel, plus il s’améliore, vous connaît et devient votre première porte d’accès au monde numérique.

Bien entendu, Apple peut faire sa propre version d’Echo. Et c’est d’ailleurs exactement ce que l’entreprise a annoncé le 5 juin. Elle s’appellera HomePod et il est très possible qu’elle soit supérieure à Echo et Google Home. Mais comme avec la voiture autonome, Apple ne pourra pas l’emporter uniquement sur le matériel et l’interface utilisateur. L’enceinte intelligente, comme le véhicule autonome, n’est qu’une coquille vide sans le logiciel d’intelligence artificielle qui l’accompagne.

Siri est plus qu'une appli sympa

S’il y a bien une entreprise qui aurait dû voir cela venir, c’est pourtant bien Apple. Siri était la pointe des assistants artificiellement intelligents lorsqu’Apple l’a racheté en 2010. Mais l’entreprise de Cupertino ne s’est pas rendu compte de ce qu’elle possédait. Apple n’a vu dans Siri qu’une application sympa pour améliorer son appareil star, l’iPhone. Si elle en était restée là, elle n’aurait jamais fait les investissements nécessaires pour faire de Siri quelque chose de plus grand. En voyant Siri, les autres entreprises ont pensé qu’elles aussi pouvaient le faire. Et c’est ce qu’elles ont fait. Chaque entreprise des «Big Five» (Amazon, Apple, Facebook, Google et Microsoft) possède désormais son propre logiciel d’intelligence artificielle et certains d’entre eux surpassent assez clairement Siri.

Par-dessus tout, les concurrents d’Apple (Amazon, en particulier) ont été plus créatifs lorsqu’ils ont imaginé le type d’appareils auquel l’intelligence artificielle peut se prêter. Pour se faire, ils ont d’abord réfléchi aux possibilités du logiciel, puis au type de matériel qui pourrait permettre de les exploiter au mieux. Et c’est ainsi que, pendant qu’Apple s’affairait à faire des tablettes et des montres fonctionnant comme l’iPhone, Amazon a élaboré un tout nouveau type d’appareil fonctionnant de manière très différente. Ironiquement, l’enceinte intelligente d’Amazon a plus de chances de devenir le «prochain iPhone» (autrement dit, un appareil qui change notre relation au numérique) plus que tout ce qu’a fait Apple.

Plusieurs signes montrent qu’Apple commence enfin à prendre la mesure du vrai potentiel de Siri. Ses AirPods, lancés l’année dernière, représentent une nouvelle interface qui pourrait bien changer les choses, non seulement pour l’iPhone, mais aussi pour tout appareil sur lequel Siri peut fonctionner. Comme je l’ai écrit quand Apple les a sortis, tous ceux qui les considéraient comme des écouteurs Bluetooth passaient à côté de l’essentiel: ce sont, en fait, des versions portables d’Echo, des enceintes intelligentes portatives. Apple a également donné à Siri un rôle plus central à la fois dans l’iPhone et le Mac. Un peu tardivement, Apple commence à développer sérieusement l’intelligence artificielle nécessaire pour que Siri soit en mesure de concurrencer Google, Alexa, Cortana de Microsoft et ce que les spécialistes en intelligence artificielle de Facebook finiront par concocter.

L’avenir d’Apple, en bref, n’est pas un appareil —ni un petit, comme un téléphone, ni un gros, comme une voiture. C’est Siri. Et il va falloir qu’il soit assez bien conçu pour pouvoir nous suivre partout, de la même manière que l’iPhone nous suit partout aujourd’hui. Le fait que Siri habite déjà le téléphone le plus populaire au monde devrait lui offrir une longueur d’avance sur ses concurrents. Il devrait déjà vous connaître (vos habitudes, vos préférences…) mieux que tout autre. Ce qui nous ramène à la voiture. Parce que ce n’est pas avec le moteur, le volant ou le système de vision artificielle qu’Apple doit aborder la voiture autonome. C’est avec Siri.

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