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La Hongrie, cet État de l’Union européenne qui préfère Poutine

Marginalisé au sein de l’UE et à Bruxelles pour sa fermeté anti-migrants et son «illibéralisme» autoritaire, Viktor Orbán courtise ouvertement le maître du Kremlin, vu comme un modèle. Au risque de précipiter à nouveau Budapest dans les bras de Moscou.

Orbán et Poutine I ATTILA KISBENEDEK / AFP
Orbán et Poutine I ATTILA KISBENEDEK / AFP

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Le tract est plus que jamais d’actualité à Budapest. En haut, Brejnev et Honecker échangeant un baiser langoureux entre camarades. En bas, un jeune couple s’adonnant au même geste. Nous sommes en 1990 et la Fidesz de Viktor Orbán, jeune mouvement pro-occidental en quête de sièges à l’Assemblée nationale, propose aux électeurs de «faire leur choix» entre la soumission à Moscou et la liberté.

Vingt-sept ans plus tard, le leader libéral d’antan chouchou de l’Ouest regarde résolument vers l’Oural. Centrale nucléaire de Paks bientôt rénovée avec l’appui de Moscou, gaz Gazprom à foison, hostilité commune envers les ONG et les médias critiques et six rencontres avec Vladimir Poutine depuis 2010.

La septième a eu lieu ce lundi 28 août, jour un des Mondiaux de judo de Budapest dont le maître du Kremlin, ceinture noire et président d’honneur de la fédération internationale, était l’invité de marque. Le retard de son convoi a privé Vladimir Poutine de cérémonie d’ouverture mais n’a pas empêché les deux leaders d’apprécier tout sourire les débuts du tournoi depuis le balcon VIP de l’Aréna László Papp. Et des raisons de sourire, il y en a: l’opaque chantier de Paks (aux conditions tenues secrètes pour trente ans) qui débute en janvier, le choix d'une société russe pour rajeunir l’antique métro M3 soviétique rongé par la rouille, le renforcement des liens gaziers entre la Hongrie et Moscou, et l'invitation d'Orbán le fana de foot  à la Coupe du Monde 2018 en Russie.

«Cette rencontre est la quatrième depuis l’annexion de la Crimée et le gouvernement magyar s’est toujours opposé aux sanctions prononcées envers Moscou dans le cadre du conflit en Ukraine. Les Mondiaux de judo et le côté diplomatie sportive ne sont qu’un prétexte destiné à éclipser les véritables motivations politiques de cette entrevue qui ne parviendront jamais aux oreilles du grand public. Poutine est plus populaire qu’Angela Merkel en Hongrie et Orbán se sert de sa relation avec lui pour déstabiliser l’Europe. La Russie y gagne elle aussi au change puisqu’elle peut ainsi démontrer qu’elle n’est pas totalement isolée à l’Ouest», estime le politologue Péter Kreko du think-tank Political Capital.

Anti-russe russifié

 

Avant, Orbán l’ex-secrétaire lycéen des jeunesses communistes de Székesfehérvár était pourtant l’un des principaux contempteurs de la présence soviétique en Hongrie puis des relations privilégiées entretenues avec Moscou par les Premiers ministres socio-démocrates l’ayant précédé de 2002 à 2010. Le chef de l’opposition d’alors tirait à boulets rouges sur Péter Medgyessy, l’ancien membre des services secrets reconduit personnellement par Poutine à l’aéroport de Saint-Pétersbourg en 2003. Puis sur Ferenc Gyurcsány accueillant Vladimir Poutine dans sa villa privée en février 2006 et signant en 2008 l’édification de la portion magyare du réseau gazier South Stream lié aux intérêts de Moscou.

Aujourd’hui, c’est lui, l’anti-russe farouche de jadis, celui qui a exigé le départ des troupes soviétiques le 16 juin 1989 sur la place des Héros, que l’opposition accuse de se coucher devant Poutine. Lui qui, en août 2014, lors de l’université d’été de son parti organisée en Transyvalnie, cita la Russie et la Turquie parmi les exemples de régimes à suivre afin de construire «l’illibéralisme» dont il théorisait les bases. Lui encore qui, boursier Soros à Oxford et protégé de l’Open Society, copie le modèle poutinien en ciblant les ONG et l’Université d’Europe Centrale soutenues par son ex-mentor transformé en ennemi d’État. Ou lui qui, dirigeant d’un pays membre de l’UE et de l’Otan, laisse la porte ouverte aux espions russes.

«De nombreux officiels occidentaux ont remarqué une forte expansion des activités de renseignement russe sur le territoire magyar au cours de ces dernières années. Située à la lisière de l’espace Schengen et de la zone Otan, la Hongrie sert d’arrière-cour opérationnelle à la Russie au cœur du continent tout en hébergeant régulièrement des exercices de l’Otan et en incarnant un allié non-négligeable dans la stratégie de défense de l’Europe Orientale vue sa proximité avec l’Ukraine. Certains partenaires de la Hongrie considèrent clairement que son gouvernement et son appareil sécuritaire sont compromis», détaille un article de Politico Europe s’interrogeant sur la profondeur de l’influence russe dans le pays.

Balancier Bruxelles-Moscou

 

Une influence très importante dans les cercles d’extrême droite locaux. István Györkös, numéro un de l’organisation paramilitaire Front National Hongrois (Magyar Nemzeti Arcvonal), entretenait jusqu'à son arrestation des liens étroits avec les renseignements militaires russes (GRU) et avec plusieurs diplomates qu’il côtoyait lors de parties d’airsoft (tir sportif en plein air avec des répliques d’armes à feu projetant des billes, ndlr).

Béla Kovács, eurodéputé ultranationaliste du Jobbik, est quant à lui soupçonné d’espionnage au profit de Moscou sur la base d’informations classifiées largement diffusées dans la presse magyare. Une autre investigation, du média 444.hu, rapporte que le site gouvernemental dédié aux «consultations nationales» contenait un code de traçage transférant les données des votants au Google russe Yandex. De quoi alimenter la crainte souvent agitée d’un retour dans le giron moscovite délaissé en 1989?

«Orbán sait que sa population est plutôt pro-européenne et que les subsides de Bruxelles font tourner l’économie locale. Il sait aussi que la Hongrie n’est pas en position de force face à Moscou qu’il s’agisse de gaz, du métro ou de Paks et que nous n’avons rien à offrir aux Russes hormis l’accueil en grande pompe de notre invité spécial. Comme Poutine et Trump, Orbán parle “d’export de la démocratie” concernant les interventions de la coalition au Moyen-Orient et soigne sa relation avec lui afin de consolider sa puissance intérieure. S’afficher aux côtés d’une pop-star telle que Poutine provoque la colère et l’admiration alimentant sa stratégie», précise l’expert en politique étrangère András Radnóti.

La poutinophilie du gouvernement hongrois est l’une des rares thématiques fédérant l’opposition de gauche éparpillée, donnée battue par Orbán aux élections générales d’avril prochain. Les écologistes du LMP et de Dialogue villipendent l’ingérence énergétique russe. Les sociaux-libéraux (Ensemble et Coalition Démocratique) dénoncent une relation nocive isolant Budapest de l’Union Européenne. Les socialistes refusent que la Hongrie redevienne un satellite de Moscou et les libéraux-centristes de Momentum exècrent le «dictateur» Poutine manipulant le pays. Le 26 avril à Bruxelles, l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt accusait Viktor Orbán d’avoir mis en place une «version moderne du communisme». L’oligarchisation avancée du régime et l’ouverture revendiquée vers l’Est tendent à lui donner raison.

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