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Les victimes de Houston ont une histoire, celles du Sierra Leone ne sont que des chiffres

Les inondations à Freetown ont fait 30 fois plus de victimes qu'à Houston. Mais les médias occidentaux ne font pas preuve de la même compassion.

Des militaires cherchent des victimes dans la boue et les débris à Freetown, le 19 août 2017. SEYLLOU / AFP
Des militaires cherchent des victimes dans la boue et les débris à Freetown, le 19 août 2017. SEYLLOU / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Le Texas a été touché par un ouragan, Harvey, et des inondations d'une rare violence. Les Éats-Unis n'avaient pas enregistré de tempête d'une telle violence depuis 2005. Particulièrement touchée, la ville de Houston a été submergée par des pluies diluviennes. Plus de 17.000 habitants sinistrés, près de 125 cm de pluie, au moins quarante-quatre personnes déjà décédées et des images des gratte-ciel cernés par l'eau dans le centre-ville de la mégalopole texane qui ont fait le tour du monde. 

Dans le même temps, de l'autre côté de l'océan Atlantique, à plusieurs milliers de kilomètres de là, d'intenses inondations ont ravagé une autre ville. Freetown, la capitale d'un des pays les plus pauvres du monde: la Sierra Leone. L'ampleur des dégâts humains est au moins 30 fois supérieure à celle de Houston. Après trois jours de pluies extrêmes, des glissements de terrain massifs ont enseveli de nombreuses habitations. Au moins 500 personnes sont mortes et 800 sont toujours portées disparues avec peu d'espoir de les retrouver vivantes. 

Mais le drame qui s'abat sur la Sierra Leone, pays des Blood Diamonds de Leornado di Caprio, ne rencontre pas le dixième de l'écho des dégâts causés par la tempête Harvey au Texas. 

«À la suite de la tragédie, les demandes du Sierra Leone pour une “aide urgente” se sont heurtées au silence. Il n'y a pas eu d'appels de célébrités, de concerts ou de larges campagnes pour des levées de fonds au-delà des traditionnels messages des organisations humanitaires. Aucune effusion de sympathie, pas de filtres photos sur Facebook pour afficher son soutien, ni de minutes de silence observées avant les événements sportifs majeurs en Europe ou en Afrique», analyse le site d'information américain Quartz

Une hiérarchie des morts

C'est une loi vieille comme le monde qui réapparaît à chaque catastrophe: le fameux «mort au kilomètre». Un média américain n'accordera pas le même traitement médiatique pour un mort dans un attentat terroriste aux États-Unis qu' à 100 tués dans une attaque de grande ampleur de Boko Haram au Nigeria. 

Sur Slate.fr, mon collègue Jean-Marie Pottier s'était justement posé cette question qui fâche en mars 2016 suite aux attaques terroristes à Bruxelles en Belgique puis à Lahore au Pakistan. 

«Vingt-quatre heures après le terrible attentat qui a coûté la vie à au moins 70 personnes au Pakistan, dont de nombreux enfants, l'accusation est déjà brandie sur les réseaux sociaux et interroge certains médias: pourquoi cet attentat suscite-t-il une couverture médiatique moins intense que celui qui a frappé Bruxelles le 22 mars, tuant au moins 35 personnes?». 

La réponse tenait autant aux lecteurs –ils cliquent davantage sur des articles décrivant l'horreur qui a frappé leur pays plutôt qu'une horreur plus grande encore qui s'est déroulée à des milliers de kilomètres– qu'au prisme local des journalistes en charge de ces actualités.

«La tour Eiffel ne peut même pas s'éteindre en mémoire des plus de 600 personnes qui sont mortes à Freetown»

Un internaute sur le réseau social Twitter

«Il y a une hiérarchie des morts», a déclaré Mallence Bart-Williams, un réalisateur sierra-léonais, à Quartz. Ce documentariste a lancé une campagne de dons pour venir en aide aux victimes mais n'a récolté à l'heure actuelle que 16.000 euros sur un objectif de 50.000. Le footballeur ivoirien Didier Drogba, véritable star à travers toute l'Afrique de l'Ouest, affirmait sur Twitter être d'accord avec les internautes qui se plaignaient de la différence de traitement des morts de Barcelone et de Freetown.

«Je respecte autant les gens qui sont morts à Barcelone ou partout ailleurs dans le monde, mais ceci est tristement vrai», a-t-il écrit en commentaire d'un tweet disant: «La tour Eiffel ne peut même pas s'éteindre en mémoire des plus de 600 personnes qui sont mortes à Freetown, alors que les Africains seraient les premiers à lancer un "Prier pour Paris"».  

Peu de témoignages humains

 

La preuve par l'exemple. Non seulement il y a moins d'articles sur Freetown que sur Houston mais en plus, le traitement des inondations en Sierra Leone est moins compassionnel: les morts africains sont souvent traités comme de simples chiffres quand  les naufragés texans ont une histoire.

Dans son édition du 31 août, le journal Le Monde décrivant la colère des habitants de Houston avec un récit centré sur l'histoire d'une famille.

«Lorsque l’on pénètre chez les Khan, mercredi 30 août, dans la matinée, une odeur de moisi prend à la gorge. (...) Selima sort les albums de photos d’un placard inondé. Cette jeune psychologue se réjouit de voir que les feuilles plastifiées ont protégé les souvenirs de famille. Dans sa boîte à bijoux, gorgée d’eau, elle récupère les objets les plus précieux.»  

Un reportage comme des dizaines d'autres parus dans les médias français. Un choix éditorial classique pour mieux faire vivre au lecteur «l'atmosphère» qui règne sur place. À l'inverse, sur le Sierre Leone, très peu de sujets centrés sur des habitants dans nos journaux. Le flux d'articles sur Freetown –car il y en a tout de même– contient surtout des comptes-rendus. On y évoque le nombre de victimes, la situation géographique et économique du pays et les raisons de la catastrophe. Pourtant, sommes-nous plus proches des Texans qui nagent entre des rangées de gratte-ciel plutôt que de Sierra-léonais qui s'enfoncent les pieds dans la boue? 

On ne parle même pas du Niger

Le très lourd bilan des inondations de Freetown aura au moins poussé la presse occidentale à évoquer un peu la catastrophe. Mais il aura fallu un nombre de morts dépassant le demi-millier –au vu du nombre de disparus la barre des 1.000 victimes risque même d'être atteinte dans les prochains jours. Même chose en Asie du Sud-Est, où les journaux consacrent peu de place aux inondations qui ont fait pourtant plus de 1.000 morts cet été, explique Le Monde.

Mais très peu de médias occidentaux ont évoqué le cas du Niger où les pluies diluviennes ont fait au moins 44 morts depuis le début de l'été. Soit à l'heure où j'écris ces lignes autant qu'aux États-Unis avec Harvey. 

Ce «fossé d'empathie», comme le nomme le magazine The Atlantic dans un article, est aussi vieux que la presse. Ce n'est pas une raison pour ne pas changer nos habitudes. 

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