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Au foot comme ailleurs, ce sont les riches qui savent le mieux contourner les règles

La façon dont le PSG a su s'arranger avec le fair-play financier pour faire signer Neymar et Mbappé montre qu'au football aussi, le législateur est toujours en retard sur ceux qu'il entend régenter.

Kylian Mbappé à l'entraînement, le 28 août 2017. FRANCK FIFE / AFP.
Kylian Mbappé à l'entraînement, le 28 août 2017. FRANCK FIFE / AFP.

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Le PSG a trusté toutes les unes des quotidiens cet été, d'abord en concluant le transfert record de Neymar Jr. pour 222 millions d’euros et un salaire annuel de 30 millions d’euros hors primes, puis, en cette fin août, en finalisant l’arrivée du jeune espoir français Kylian Mbappé sous la forme d’un prêt payant de 180 millions d’euros. Comment les Franciliens ont-ils pu dépenser plus de 400 millions d’euros, malgré les contraintes du fair-play financier et alors même que les dirigeants qataris avaient semblé changer de stratégie, la saison précédente, en privilégiant des joueurs moins cotés mais au potentiel important?

Instauré dès 2011 par l’UEFA, le fair-play financier prévoyait, au départ, de mettre fin à l’inflation de la dette footballistique en imposant une règle d’or comptable: un club ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne. Inspiré par la DNCG française, défendue par les économistes du sport Wladimir Andreff et Stefan Szymanski, cette nouvelle contrainte apparut très tôt comme un instrument au service des puissants, comme un outil en faveur de la domination des clubs historiques. En effet, une fois actée la fin des déficits, seules les équipes qui étaient capables de générer des revenus très importants pouvaient continuer à dépenser avec fracas et s’accaparer les meilleurs joueurs du monde. La hiérarchie du sport était bloquée et les géants, comme le Real Madrid ou le FC Barcelone, restaient au sommet.

Le PSG et Manchester City, caractérisés comme «nouveaux riches» du fait de leur faible palmarès sur la scène internationale et de la présence d’investisseurs étrangers, furent donc les premières victimes. Alors qu’avant 2011, avant le fair-play financier, ces clubs pouvaient dépenser sans compter et investir allégrement sans se préoccuper d’abord de leurs recettes, ils se retrouvèrent contraints par cette nouvelle règle et ne purent avancer aussi rapidement que la concurrence. Pis, ils furent mêmes sanctionnés, en 2013, par l’instance européenne pour «non-respect des règles du fair-play financier» et condamnés à payer de lourdes amendes précisément parce qu’ils n’avaient pas eu les moyens de leurs dépenses.

Que s’est-il donc passé pour que, quatre ans plus tard, malgré le risque, malgré la contrainte, malgré le sursis, le PSG et City (également très dépensier cet été) valident des dépenses de plus de 600 millions d’euros sans aucune inquiétude ni frein des autorités nationales et internationales?

Logique darwinienne

Deux explications peuvent être données, intimement liées entre elles. Tout d’abord, face au vent des critiques, l’UEFA a, dès 2014, mis de l’eau dans son vin et acté une réforme de son fair-play financier: les dépenses conjoncturelles pourront être étalées sur trois ans et un déficit conjoncturel de 30 millions pourra être accepté, si et seulement si le projet sportif est validé par l’organisation européenne.

Mais la deuxième explication apparaît comme plus logique et plus pernicieuse: les clubs se sont tout simplement adaptés à la nouvelle contrainte et ont multiplié les démarches alternatives pour contourner le règlement. Dans une logique très darwinienne, le Paris Saint-Germain s’est accommodé à son nouvel environnement et est parvenu, parce qu’il en a les moyens, à faire valider des transferts qui n’auraient pas dû, jusqu’ici, être homologués par les organes officiels du foot.

Les cas Neymar et Mbappé l’illustrent très bien: le transfert du Brésilien est passé par un obscur montage financier, où une entreprise extérieure lui aurait fait signer un contrat de 300 millions d’euros pour, officiellement, devenir porte-parole de la Coupe du monde 2022 mais pour, officieusement, racheter sa clause libératoire au FC Barcelone. Résultat, il est arrivé, comptablement, à zéro euros dans la capitale française. Quant à Kylian Mbappé, son transfert n’a pu être réalisé qu’à travers la mise en place d’un prêt payant de 180 millions d’euros. Son apparition sur les comptes parisiens est simplement décalée d’un an afin de laisser le temps aux dirigeants parisiens de payer cette somme.

C’est un peu la métaphore de la «délinquance des cols blancs», lorsque les riches agissent de manière déviante, ne respectent pas la loi ou la contournent, parce qu’ils en ont les moyens ou tout simplement parce qu’ils ne prennent pas conscience de la gravité de leurs actes. En économie, Thomas Piketty a montré que les 1% des ménages les plus riches de France, ceux gagnant plus de 10.000 euros par mois, payaient tout simplement moins d’impôt que les autres. Le taux d’imposition, passé un certain cap, deviendrait dégressif.

Comment expliquer cela? Ce n’est pas une décision autoritaire du législateur de mieux traiter les ménages aisés; ce sont, au contraire, ces derniers qui ont les moyens légaux de contourner la loi et les règles fiscales. Ils embauchent des experts en droit fiscal et se payent les services de gestionnaires de fortune afin d’optimiser leurs ressources. Pour les sociologues Pierre Lascoumes et Carla Nagels, auteurs du livre Sociologie des élites délinquantes, les plus riches «ne reconnaissent pas leurs torts et, au contraire, les légitiment». Il y a une situation de «déni collectif». Dans le cas du Paris Saint-Germain, c’est précisément ce qu’il se passe. Il existe des lois mais, grâce à leurs moyens colossaux, les dirigeants qataris parviennent à les contourner sans remord ni regret.

Quand on est riche, on s'autorise à tricher

Mais comment comprendre ce phénomène? Comment une équipe si médiatisée, si populaire, si installée sur la scène internationale peut prendre le risque d’être sanctionnée par l’UEFA? La branche comportementale de la science économique, par l’intermédiaire de l’universitaire américain Dan Ariely, a montré que la délinquance des cols blancs obéit à des stratagèmes conscients et réfléchis.

Lors d’une expérience de terrain, l’économiste a fait passer différents tests de logique et de culture générale (qui ne nécessitent pas de compétence particulière) à des étudiants en business des universités de la Ivy League et à des étudiants en économie des universités publiques américaines. En fonction du test passé, les incitations intrinsèques (l’importance du coefficient) et extrinsèques (la note donnée) étaient différentes mais la difficulté restait la même. À chaque fois, le superviseur oubliait sciemment une feuille contenant toutes les réponses au milieu de la salle d’examen, visible par tous.

Résultat? Globalement, ce sont les étudiants des universités de la Ivy League, coûteuses et prestigieuses, qui trichaient le plus et qui étaient amenés à consulter plus souvent les réponses «oubliées» par le professeur, contrairement aux étudiants des universités publiques. Et plus le coefficient (incitation intrinsèque) et la note (incitation extrinsèque) augmentaient, plus la triche grossissait. «Les personnes qui approuvent le plus les moyens illégitimes de tricher sont celles qui auraient précisément les moyens de ne pas le faire», concluait l'étude. Autrement dit, quand on est riche, on s’autorise à tricher parce qu’on s’imagine qu’on a le droit de le faire.

Et cela va à l’encontre de la réussite des vrais bons élèves, ceux qui ont révisé pour réussir. Ne serait-ce pas la même chose dans le foot? Entre le PSG qui, avec ses millions, parvient à s’offrir les services des meilleurs juristes en droit des affaires et contourne sans vergogne les règles du fair-play financier, et les autres, ses concurrents directs, qui doivent faire avec leurs moyens et connaîtront toutes les difficultés du monde à avancer légalement. Finalement, ces règles désavantagent les bons élèves.

Il conviendrait alors que l’organisation internationale du football revoie son mode de fonctionnement, évite ces effets pervers et corrige les inégalités. Mais pour cela, il faut beaucoup d’espoir...

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