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Le Bitcoin Cash sonne-t-il la fin des bitcoins?

Incapable de trancher le débat sur l’évolutivité, le réseau Bitcoin vient de connaître un phénomène classique de l’open source: la création d’un fork (embranchement).

<a href="https://www.flickr.com/photos/fstorr/13884256287/">Bitcoin</a> | Francis Storr via Flickr CC <a href="cr%C3%A9dit%20photo">License by</a>
Bitcoin | Francis Storr via Flickr CC License by

Temps de lecture: 4 minutes

Le 1er août dernier, une «nouvelle» crypto-monnaie est née: le Bitcoin Cash (BCH). Sachant qu’il en existe actuellement plusieurs centaines, dont certaines naissent et meurent comme des éphémères, la nouvelle pourrait paraître anecdotique s’il ne s’agissait pas là des fameux bitcoins.

Célébrés par certains comme un instrument de libération du «joug» du système financier; honnis par d’autres comme outil de blanchiment et de trafic, les bitcoins ne laissent personne indifférent. Rappelons rapidement de quoi il s’agit.

Les bitcoins, un succès récent

Les bitcoins (et les crypto-monnaies en général) sont des unités de compte, gérées de manière décentralisée à travers un réseau pair-à-pair. C’est-à-dire un réseau où chacune des parties prenantes est aussi bien utilisateur que producteur, aussi bien client que serveur.

À la différence des monnaies classiques, où une banque centrale joue le rôle de régulateur et de contrôleur, c’est un algorithme qui, à travers le travail décentralisé des membres du réseau, assure contrôle et régulation.

Les bitcoins ont été proposés en 2009 par le mystérieux Satoshi Nakamoto. Leur capitalisation dépasse désormais les 45 milliards de dollars et des milliers de commerces à travers le monde les acceptent. Des zélotes sont même parvenus à montrer qu’on peut vivre en utilisant les seuls bitcoins comme moyen de paiement.

Il n’est plus possible désormais d’y voir un épiphénomène qui trouverait son origine dans les excès de «geeks» ultralibertaires. Les crypto-monnaies, et les bitcoins en particulier, sont parties intégrante de l’écosystème numérique mondial. Face à un tel succès, pourquoi donc mettre en place les Bitcoin Cash?


Le Bitcoin Cash

Le Bitcoin Cash a été proposé pour tenter de résoudre le problème récurrent de la capacité du système à absorber la croissance. Le réseau Bitcoin ne peut gérer qu’une dizaine d’opérations par seconde. Comparées aux plusieurs milliers d’opérations par seconde que peuvent gérer les réseaux de type Visa, il y a là une limite fondamentale et structurelle.

Cette faiblesse provient notamment du fait qu’un bloc (soit un ensemble de transactions qui forme l’unité fondamentale du système) est limité à une taille de 1 mégaoctet (Mo). Sachant que le réseau est conçu pour valider un bloc toutes les 10 minutes, on comprend bien que si la taille du bloc est réduite, il ne peut contenir qu’un nombre restreint de ces transactions, qui ne sont validées que toutes les 600 secondes environ.

La communauté Bitcoin réfléchit depuis longtemps aux solutions potentielles à ce problème d’évolutivité. Deux approches sont privilégiées. La première consiste à alléger les blocs en gérant différemment certaines informations. C’est le cas du mécanisme Segregated Witness (SegWit) proposé par Pieter Wuille, qui, tout en restant compatible avec le système actuel, gère une partie des données en dehors des blocs.

La seconde, la plus évidente, consiste tout simplement à accroître la taille des blocs. Si l’on accepte des blocs de 2 Mo au lieu de 1 Mo, le réseau sera (grossièrement) capable de traiter deux fois plus d’opérations par unité de temps. Mais, si le débat fait rage depuis plusieurs années au sein de la communauté Bitcoin, l’arrivée de Bitcoin Cash en marque l’échec.

La gouvernance du réseau Bitcoin

Le réseau Bitcoin est basé sur des logiciels open source et sa gouvernance s’opère à trois niveaux:

  • Les développeurs, avec en particulier l’équipe en charge de Bitcoin Core, le client de référence, descendant direct de celui développé par Nakamoto;

  • Les mineurs, qui sont chargés de valider les transactions et les blocs au prix d’un gros effort de calcul et, en conséquence, d’une lourde consommation électrique. Actuellement, compte tenu des investissements nécessaires, le minage est massivement dominé par des structures professionnelles (des fermes);

  • Les utilisateurs.

Pour qu’un changement s’opère au sein du système, il doit être mis en œuvre par les développeurs et adopté par les mineurs et les utilisateurs. Si une minorité significative des participants n’adhère pas aux évolutions proposées, elles resteront lettre morte. C’est à la fois une garantie de sécurité et un gage de démocratie. Mais cet idéal est théorique et l’arrivée de Bitcoin Cash en démontre clairement l’échec.

Une capture d’écran du logiciel LibreOffice, célèbre fork de l’open source. Vanger/Wikimedia/The Document Foundation/LibreOffice Team, CC BY-SA

Incapable de trancher le débat sur l’évolutivité, le réseau Bitcoin vient de connaître un phénomène classique de l’open source: la création d’un fork (embranchement). On appelle fork le développement d’une version alternative d’un logiciel. L’exemple de LibreOffice est célèbre. Après l’acquisition par la société Oracle de la suite bureautique libre OpenOffice, la communauté open source a créé un fork (LibreOffice), afin de garantir un développement indépendant des éventuelles pressions commerciales du nouveau propriétaire.

Bitcoin Cash n’est ainsi rien d’autre qu’une nouvelle branche du réseau Bitcoin, qui, même si elle intégre l’ensemble de l’historique des bitcoins classiques, est non rétro-compatible. Il traite le problème de l’évolutivité en passant la taille des blocs à 8 Mo. À partir de là, on se dirige vers l’existence de deux monnaies différentes : le bitcoin classique (qui va utiliser SegWit) et le Bitcoin Cash avec ses blocs élargis.

Les crypto-monnaies, entre leadership et décisions décentralisées

Si, de manière générale, l’émergence d’un fork au sein d’un projet open source peut être un simple signe de vitalité, il en va tout autrement pour les crypto-monnaies. Créer un fork non rétrocompatible revient tout simplement à créer, potentiellement, une monnaie alternative.

Comment alors construire la confiance nécessaire à l’adoption d’une nouvelle unité de compte? Doit-on faire confiance aux Bitcoin Cash ou, au contraire, continuer de s’appuyer sur les bitcoins classiques? Et qu’en est-il pour les autres monnaies, susceptibles elles aussi de tentations schismatiques  La gestion des forks et la prévention de l’émergence de forks indépendants sont un impératif vital pour les crypto-monnaies.

La gouvernance des projets open source a fait l’objet de très nombreuses études et pour reprendre l’expression de Robert Viseur: «En pratique, aucune logique de gouvernance ne semble à même d’éliminer le risque de fork pour l’organisation.»

La solution se trouve peut être du côté de la décentralisation massive. Des réseaux comme Steem ou Tezos veulent intégrer le système de gouvernance au sein même de leurs protocoles. Par construction, les utilisateurs disposeront d’un droit de vote «natif», leur permettant de se prononcer sur les propositions d’évolutions.

Linus Torvald, «dictateur bienveillant» de Linux (à gauche). Murray Wayper/Flickr, CC BY-NC-ND

En intégrant la gouvernance au protocole, on espère limiter sensiblement la tentation des forks. À moins qu’elle ne se trouve du côté de la centralisation. On souligne souvent l’intérêt dans les projets open source du «dictateur bienveillant». Le projet Linux, avec Linus Torvald, en est l’illustration ultime. La création de Bitcoin Cash, qui est un échec pour la communauté Bitcoin, incapable à se gérer elle-même, va ranimer ces débats et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

À l’heure où la presse et les médias multiplient les Unes sur la blockchain et où les gouvernements et les institutions financières s’interrogent sur l’usage et les apports des crypto-monnaies, cet «échec» du Bitcoin doit nous interpeller. Il montre que les modèles de gouvernance des cryptomonnaies restent à concevoir et à valider. Tant que cela ne sera pas fait, la méfiance persistera.

The ConversationSi Nakamoto a fait œuvre de génie quand il a conçu son algorithme, il a visiblement sous-estimé les problématiques de gouvernance. On assiste là à une crise de jeunesse du Bitcoin et des solutions seront trouvées. Les débats à venir porteront nécessairement sur l’équilibre entre la démocratie du pair à pair et l’efficacité de la gouvernance. L’avenir des crypto-monnaies repose sur leur capacité à répondre à ce nouveau défi.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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