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«Ma vie n’est ni trop grandiose, ni trop médiocre. Elle est sympa»

Yuri a 7 ans. Sa mère, Céline, 45. Yuri est élevé par sa mère qui, depuis peu, subit un traitement pour son cancer et veut se concentrer sur son rôle de maman. Une histoire racontée en partenariat avec «À ton âge», sur France Inter.

Temps de lecture: 4 minutes

Tout l’été, Slate noue un partenariat avec «À ton âge», sur France Inter. Comment, à différents moments d’une vie, appréhende-t-on le rapport aux parents, à l’amour, au corps, aux origines ou à la liberté? C’est ce qu’explore l’émission de Caroline Gillet, tous les dimanches sur France Inter. Episode 8/ Céline, 45 ans, est une mère célibataire qui élève seul Yuri, 7 ans, et se bat contre un cancer du sein. Une situation qui l'a amenée à penser la vie autrement.

Au quatrième étage d’un petit immeuble, au-dessus d’une boutique sans âge, l’appartement de Céline a des allures de roulotte. On y écoute beaucoup de musique et on y mange des brioches tressées avec des fruits rouges. Dans ce décor chaleureux et bohème, il faut boire du thé et caresser Riton, «le chat le plus bête de la terre» (des dires de sa maîtresse). Céline habite avec son fils Yuri, dans une ville dont le nom (on l’oublie parfois) pourrait être emprunté à un conte: Les Lilas, aux portes de la capitale.

Alors, ce récit devrait peut-être commencer par: «Il était une fois».

Il était une fois une famille comme il en existe tant d’autres. Une famille où «les liens du sang ne priment pas». Une famille avec des «demis», avec une mère et un père qui se sont fait la guerre et qui ne sont plus «couple». Une famille avec des tantes à Paris, des frères en Bretagne et des voisins de palier chez qui on aime passer du temps car on peut y jouer plus longtemps aux jeux vidéos: «Pas vraiment une famille traditionnelle», paraît-il…

Céline raconte qu’elle est devenue adulte à 38 ans. Il a fallu pour cela qu’elle devienne maman: «C’est quand même hyper bien de l’avoir eu tard. J’ai vraiment fait tout ce que je voulais faire. Quand Yuri est arrivé, ma vie a changé. Mais il fallait qu’elle change.»

Céline est de ceux qui savent laisser une place à l’inattendu, à l’imprévu, au fantasque, aussi. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle parle du papa de Yuri: «un musicien, un peu fantasque».

«C’est rose? C’est que c’est une fille !»

 

La maternité n’était pas vraiment au programme. Ou peut-être que si:

«J’ai vécu avec des compagnes pendant plus de dix ans. Notre rencontre est un peu épique car son père souffre de bipolarité, et il était très très perché. Ça m’a fasciné. On a eu une histoire un peu clopin-clopant. On a, je pense, un peu fait exprès d’avoir cet enfant. On était des grandes personnes. On savait comment ne pas en avoir.»

L’idylle s’est alors transformée en projet parental, en un coup de théâtre: Céline se souvient s'être approchée, déterminée, de ce violoniste russe, test de grossesse en main. Elle lui a simplement dit: «Regarde!» Réplique? «C’est rose? C’est que c’est une fille!»

C'était un garçon. À la maternité, le père a cherché pendant trois jours son prénom sur son ordinateur, il a coupé le cordon ombilical et lui a donné son premier biberon. Céline a pu se reposer. Et se rassurer. Allongée, elle l’a vu prendre ce si petit bébé dans sa grosse main. Elle a trouvé le sommeil. Elle savait que Yuri était aimé. «C’est un père différent, mais à la hauteur.»  

Yuri est aujourd’hui en classe de CP, et sa famille, il la décrit ainsi: «Deux geeks (mon père et moi), celle qui fait une association (ma mère) et mon grand-père le pêcheur.» Il n’a que 7 ans et a déjà vu deux fois sa mère malade du cancer du sein.

«La nausée te met dans un autre rapport au monde, tout devient dégoûtant»

Dans sa chambre d'hôpital, Céline attend chaque matin le café avec impatience, «il arrive à 9 heures». Là-bas, elle n’est jamais seule. Il y a les autres patientes, le va-et-vient des soignants, des internes et des médecins et puis un «bip-bip» permanent:

«Ça, c’est le son de la chimiothérapie. Quand je l’entends ailleurs, j’ai des nausées immédiatement. La peur de la nausée est même plus forte que la nausée elle-même. Elle m’angoisse, plus encore que la douleur. Je me suis dit qu’il fallait que je relise Sartre. La nausée te met dans un autre rapport au monde, tout devient dégoûtant. Je grossis à mort parce que je me goinfre en dehors du traitement pour retrouver le plaisir de la nourriture.»

«Comme l’amour est une grande chose poétique qu'il ne faut pas effaroucher», écrit Sartre.

Céline assure que sa maladie n’a rien abîmé aux choses qu’elle aime. «Tous les jours, il y a des choses qui me font plaisir. Ma vie n’est ni trop grandiose, ni trop médiocre. Elle est sympa.» Quand Céline a subi une ponction osseuse, elle s’est concentrée sur des images heureuses pour se libérer (un peu) de la douleur:

«Je suis dans ma chambre. J’ouvre la fenêtre pour mettre ma couette dehors. Et je vois Yuri dehors. On se fait un coucou par la fenêtre.»

Céline a décidé de se concentrer sur son rôle de mère. «Je veux montrer à Yuri que le bonheur est possible même dans la difficulté. Je veux qu’il me voie comme une maman fun.»

Ouverture culturelle

 

La beauté, c’est la première valeur que Céline souhaite transmettre à son fils. Depuis sa naissance, elle l’entoure de «beau», dans les oreilles et dans les yeux:

«Je ne lui propose pas la vie idéale mais celle que j’aurais voulu avoir car tout ce que j’ai appris, je ne l’ai pas appris à l’école. J’ai beaucoup lu, je suis beaucoup allée au théâtre et je donne à Yuri cette ouverture culturelle.»

Le garçon est à un âge où l’on change beaucoup, il a arrêté depuis peu les cours de violoncelle parce que «cela grinçait trop». Depuis, il a décidé qu’il sera chanteur. «Un chanteur pour grands», précise-t-il.

Le fils a hérité de sa mère: tâches de rousseurs, myopie et optimisme.

Dans la bouche de Céline, la perfusion permanente qu’elle transporte avec elle pendant une semaine pendant la chimiothérapie n’est pas une «injection» mais un «biberon». Elle le place dans son sac à main et a même posé du papier peint avec. «Yuri a l’habitude», dit-elle.

La «carte magique»

 

Lui a rebaptisé la carte d’invalidité de sa maman «la carte magique». Avec elle, plus besoin de faire la queue. Il aimerait bien que sa mère s’en serve aussi à la boulangerie. «Dès qu’il y a du monde, il demande de la sortir.»

Céline déteste qu’on lui dise qu’elle est courageuse. Mais le cap de l’injustice face à la maladie dépassé, il a tout de même fallu qu’elle «pense» sa vie autrement. Aujourd'hui , elle n’a «surtout pas envie de perdre du temps de vie. La carte magique est faite pour ça, t'as pas le temps de faire la queue».

Dans leur appartement des Lilas, Céline et Yuri ont des rituels. Céline s’occupe de son association Un petit Grain de sel, Yuri regarde Pirates des Caraïbes. Ensemble, ils vont à la chorale le jeudi soir et écoutent des émissions de radio dont ils connaissent par cœur les génériques. Alors quand Yuri reconnaît un morceau de Vivaldi, il dit: «Cette musique, c'est nous.»

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