Culture

Il est urgent d'établir un code de déontologie des spoilers de «Game of Thrones» dans les médias

On se plaint beaucoup de nos amis, mais les médias ne sont pas en reste quand il s'agit de divulgâcher un épisode de série. Quand il s'agit de «Game of Thrones», tous aux abris!

Image issue de la saison 7 de «Game of Thrones» (HBO).
Image issue de la saison 7 de «Game of Thrones» (HBO).

Temps de lecture: 6 minutes

AVERTISSEMENT: cet article dévoile quelques éléments de la saison 7 de Game of Thrones mais ne contient aucune information sur l'épisode diffusé ce dimanche 13 août. Bon visionnage à ceux qui ne l'ont encore pas vu!
Mise à jour du 17 août 2017 : l'article a été mis à jour pour y inclure le traitement médiatique d'un épisode qui n'a pas été encore diffusé.

Depuis un peu plus d'un mois désormais, le lundi est devenu un champ d'obstacle pour des milliers de fans de Game of Thrones en France. L'épisode étant diffusé la nuit précédente sur HBO et en simultané ici sur OCS, les spoilers inondent déjà les réseaux sociaux avant même que sonne le réveil. Difficile pour le travailleur, impatient de rentrer du boulot, d'échapper aux messages laissés par le vacancier qui, de son côté, a pu dévorer l'épisode devant son bol de corn-flakes.

Mais au-delà du «divulgâchis» maladroitement imposé par nos proches, les fans doivent jongler avec un autre ennemi: les médias. Les sites d'informations, anglo-saxons comme français, ont beau se retenir d'en dévoiler trop, les dérapages ne sont jamais bien loin. Un phénomène malheureusement qui ne va qu'en s'aggravant au mépris des simples spectateurs là où certaines précautions très simples suffiraient à endiguer le phénomène.

Nos chers amis américains

Les ennuis commencent en ouvrant Twitter ou Facebook sur son téléphone (des bloqueurs de spoilers sont disponibles sur les ordinateurs), et ce dès les premiers rayons de soleil. Si la plupart des journalistes français n'ont pas encore vu l'épisode, leurs confrères américains ont pour la plupart publié et partagé les récaps et commencent à débattre des détails et théories de l'épisode. Dès lors, un titre, une accroche ou une image transforment les réseaux sociaux en bombes a retardement.

Et l'algorithme de Facebook et Twitter, parce qu'il fait remonter les pages sur lesquelles vous cliquez souvent, accentue la visibilité des spoilers. Par exemple, si Vulture est plutôt respectueux et ne dévoile rien de l'épisode du jour sur les réseaux, Time a publié lundi 7 août à 6h30 (heure française) un article expliquant pourquoi Jaime Lannister est peut-être encore en vie. Pour quelqu'un qui se lève et qui voit le post ci-dessous sans visionner l'article, il s'agit d'un navrant divulgâchis de l'intrigue puisqu'il révèle que le frère de Cersei est en très mauvaise posture. Le sous-titre est encore plus dramatique: «Malgré sa bataille avec Daenerys et son dragon.»


Et que dire des vidéos Facebook, remplies d'extraits de l'épisode à peine diffusé, qui se lancent en lecture automatique dès que l'on atterrit dessus. Ce n'est pas un hasard si la page officielle de Game of Thrones laisse quelques secondes d'attente au début de ses vidéos. Mais il faut bien garder en tête que les Américains pensent d'abord aux Américains, c'est-à-dire ceux qui regardent l'épisode le dimanche soir et qui ont envie de lire et échanger autour de l'épisode qu'ils viennent de regarder. Difficile de leur en vouloir de ne pas vivre dans le même fuseau horaire que nous autres.

En France, c'est une toute autre affaire.

7h28, lundi matin, le premier récap en ligne

Chez les journalistes français, il y a plusieurs options, souvent déterminées par l'intérêt du média pour la série: regarder l'épisode sur OCS en plein milieu de la nuit, au lever ou attendre d'arriver au bureau. Le site RTL a ainsi décidé de publier son récap à 7h28 et l'a partagé dans la foulée sur Facebook avec l'accroche: «Daenerys a décidé de prendre les choses en main... Attention, spoilers!» Si l'image, le titre, et l'accroche, différents de ceux du site, titillent les lecteurs sans rien révéler  ou presque de l'épisode, on peut tout de même s'interroger sur la nécessité de publier aussi tôt. Quasiment personne n'a pas encore vu l'épisode en France: quel intérêt y a-t-il à se positionner aussi rapidement, si ce n'est pour être mieux référencé ensuite sur Google Actualités par exemple.

Mais attention, à l'exception de posts prudents de Télé Loisirs vers 10 heures et L'Express vers 11 heures, les fans impatients ne sont pas au bout de leurs peines. Il est 12h28 quand Les Inrocks diffusent ce tweet.


L'image, le titre... tout est fait pour dévoiler le moment le plus intense de l'épisode. Ou plutôt, rien n'est fait pour éviter de le faire. Comment imaginer que le public, surtout s'il est au bureau, a eu le temps de voir surgir le dragon de la «Briseuse de chaînes»? Il est amusant de noter que plusieurs internautes ont fait part de leur mécontentement et que l'image de l'article a ensuite été changée, laissant plus de suspens sur son contenu (Slate.fr a déjà dû gérer ce genre de situation et fait aujourd'hui de son mieux pour en révéler le moins possible dans ses choix de titres et d'illustrations).

Une heure plus tard, 20 Minutes se lance dans la course avec ce titre: «Game of Thrones: Retrouvailles entre Stark et revanche entre Targaryen, notre récap de l'épisode 4». Là encore, des internautes leur reprochent de trop en dire.


Un des cas les plus intéressants concerne Libération et les récaps écrits par Quentin Girard. Certes, le titre et l'image ont beau rester vagues, ils ne sont pas exempts de tout reproches puisqu'ils suggèrent un tournant de la série. Mais les community managers ont adopté un système de diffusion intéressant. Si le récap est partagé le lundi après-midi sur Twitter, il ne le sera que le mardi matin sur Facebook. Une façon de laisser du temps aux fans de visionner l'épisode de la veille et d'insister sur l'éditorialisation du récap, qui manque à beaucoup d'autres.


Le mardi, les vannes déjà bien affectées la veille sont désormais ouvertes. Les médias évoquent désormais sans retenus les moments les plus importants de l'épisode directement dans les titres et images d'illustration. Et cela va parfois très loin. Par exemple, Télérama s'est servi de l'attaque du dragon de Daenerys, Drogon, pour promouvoir ses meilleures adresses parisiennes de barbecue.

Sur Facebook, l'article posté à midi dévoile Drogon en train de déverser ses flammes sur une division armée du camp Lannister. Là encore, les internautes ont débattu en commentaire. Certains considéraient que montrer un dragon cracher du feu et annihiler une armée n'est en rien une surprise. À cela d'autres répondaient qu'il s'agissait d'un moment espéré depuis de longues années, et donc que ce post de Télérama gâche un effet de surprise. Certains invoquaient le droit de visionner l'épisode le mardi et non pas le lundi comme la plupart des fans. Les autres défendaient le journal en disant que l'épisode est disponibles depuis plus de 24 heures et que l'on devrait pouvoir en parler plus librement. Au final, ce post et les autres posent une vraie question sur le traitement médiatique de séries aussi importante que Game of Thrones: faut-il une charte éthique du spoiler pour les journalistes?

 

Des règles pour spoiler?

Il faut comprendre les médias. Les articles traitant de Game of Thrones marchent excessivement bien. Il s'agit d'un vivier d'audience non-négligeable, surtout en période estivale où le lectorat, en vacances, délaisse souvent internet. Il est donc normal que les rédacteurs aient envie de produire un contenu analytique ou récapitulatif dès lors que l'épisode est disponible. Après tout, Game of Thrones, de par sa construction, suscite la discussion et le besoin de théoriser au plus vite sur tel ou tel personnage.

Mais faut-il pour autant exercer une pression sur ces spectateurs qui, tout en suivant avec intérêt la série, ne se lèvent pas au milieu de la nuit ou à l'aube pour visionner le dernier épisode disponible? Est-il vraiment nécessaire de rire des fans qui, en commentaires, «osent» se plaindre d'une image ou d'un titre trop informatif, surtout quand il s'agit d'un moment qu'ils attendent depuis plus de cinq ans?

Pour répondre à ces questions, il faut se tourner vers le site de référence en matière de séries télé et de récaps: Vulture. En 2008, le site américain publiait «Spoilers: The Official Vulture Statutes of Limitations», ou «Spoilers: les délais de prescription officiels de Vulture».

Le journaliste Dan Kois écrivait:

«Nous refusons de croire que nous devons attendre qu'une série ou un film sorte en DVD: c'est insensé. Si vous aimez suffisament une série pour être en colère lorsqu'on vous spoile, vous ne devriez pas attendre un an pour la regarder. Nous sommes désolé. Mais jusqu'à quand est-ce trop tôt?» 

Il proposait ensuite de mettre des délais en fonction du contenu (télé-réalité, série, film...). Concernant les séries, Vulture demande à ce qu'on puisse parler librement du contenu d'un épisode dans le corps d'un article dès le lendemain de la diffusion, et qu'on l'on puisse spoiler dans le titre encore deux jours plus tard. Pour Game of Thrones, cela voudrait dire que les journalistes peuvent spoiler dans l'article dès lundi (en continuant de le signaler dans le chapô, le titre ou le début de texte) mais qu'ils doivent se réserver de le faire dans le titre, l'image ou le chapô (tout ce qui est visible avant d'accéder au papier) jusqu'au mercredi matin. Rien n'empêche de raconter ce que l'on veut dans l'article, l'essentiel serait simplement de faire plus attention à l'emballage et d'éviter d'agacer, une fois de plus, les lecteurs.

Ces règles pourraient même devenir primordiales dans les semaines qui viennent: HBO n'arrive pas à empêcher la mise en lige des épisodes de Game of Thrones avant leur diffusion télévisée. Le sixième est même déjà en ligne à cause d'une erreur de la chaîne en Espagne et le site Deadspin a d'ores et déjà décidé d'en faire un récap... 

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