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Les psys américains divisés à propos du diagnostic de Trump

L'envie est forte chez certains de le diagnostiquer, mais d'autres rappellent les dangers de ce type de pratique.

Donald Trump, le 8 août 2017, à Bedminster (New Jersey). NICHOLAS KAMM / AFP
Donald Trump, le 8 août 2017, à Bedminster (New Jersey). NICHOLAS KAMM / AFP

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«Trump destitué pour “narcissisme malfaisant”? Des psychiatres s'interrogent». «Antisocial, narcissique, machiste ? La santé mentale de Donald Trump inquiète des psychiatres américains». «Donald Trump, un pervers narcissique mégalo et dangereux ? Des psychiatres alertent». «Donald Trump est-il fou? Des psychologues américains sortent de leur réserve». «Trump vu par des psychiatres: “On est face à un malade, réellement dangereux”».

Régulièrement des articles, des tribunes, des tweets s'intéressent à la santé mentale de Donald Trump. Il faut dire que le président américain est probablement l'homme le plus scruté de la Terre, et que ses différentes sorties et élucubrations en poussent certains à se demander s'il est effectivement en pleine possession de ses moyens. Pourtant, aux États-Unis, il existe un précédent qui voudrait que les psys ne commentent pas l'état de santé d'une personne qu'ils n'ont pas examiné eux-mêmes. Un précédent qui a donné ce qu'on appelle la «Goldwater rule».

La Goldwater rule

L'histoire de la Goldwater rule (règle Goldwater, en anglais), remonte à 1964. À l'époque Barry Goldwater, candidat républicain à la présidentielle doit affronter le Démocrate Lyndon B. Johnson, qui a succédé à John F. Kennedy, assassiné moins d'un an plus tôt. Les opposants de Goldwater le présentent comme un extrémiste et un démagogue, rappelle FiveThirtyEight. Tous les coups sont permis, et le magazine Fact décide d'interroger des centaines de psychiatres avant de publier en une:

«1.189 psychiatres disent que Goldwater n'est pas apte à devenir président!»

Ce que ne dit cependant pas cette une, souligne le site américain FiveThirtyEight, c'est que l'article se basait sur un questionnaire envoyé à 12.000 psychiatres, dont 80% n'ont pas pris la peine d'y répondre.

Barry Goldwater aura beau remporter bien plus tard son procès l'opposant à Fact (et obtenir, au passage, l'équivalent de 750.000 dollars aujourd'hui), le 3 novembre 1964, il subit l'une des plus lourdes défaites de l'histoire des présidentielles américaines. Face à la polémique, «l'Americain Psychiatric Association a créé la Goldwater rule», instaurée en 1973: interdiction pour des psychiatres membres de cette association de livrer un commentaire sur la santé mentale d'une personnalité publique, qu'ils n'ont pas examiné eux-mêmes.

«Il arrive qu'on demande aux psychiatres leur opinion concernant une personnalité publique et médiatique. Dans ces circonstances, un psychiatre peut partager son expertise sur des questions psychiatriques générales. Mais il n'est par contre pas éthique pour un psychiatre de donner une opinion professionnelle sans avoir examiné la personne en question et sans avoir obtenu l'autorisation de diffuser tout commentaire.»

Stat News indique qu'aucune autre spécialité médicale ne possède une telle règle. Mais si elle n'a pas fait l'objet de trop de débats pendant plus de cinq décennies (même si elle a régulièrement été transgressée par quelques personnes), elle est revenue sur le devant de la scène avec la dernière présidentielle américaine, quand de nombreuses personnes ont essayé de diagnostiquer Donald Trump. En août 2016, le docteur Maria A. Oquendo, présidente de l'association américaine de psychiatrie a ainsi publié un communiqué pour condamner cette pratique de diagnostic à distance.

«L'atmosphère unique de cette campagne peut pousser certains à vouloir psychanalyser les candidats, mais agir ainsi serait non seulement contraire à l'éthique, mais également irresponsable.»

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Une règle que tout le monde ne suit pas

Visiblement, tout le monde n'est pas de cet avis. Fin juillet 2017, huit mois après l'élection de Donald Trump, une autre association de psys, l'American Psychoanalytic Association a envoyé un email à ses 3.500 membres pour leur dire (à eux seulement) qu'ils n'avaient pas à se plier à cette règle et qu'ils pouvaient donc commenter l'état de santé mentale de Donald Trump, explique son ancienne présidente à Stat News.

«Nous ne voulons pas empêcher nos membres de faire usage de leur savoir de façon responsable. Le comportement de Trump est tellement différent de ce que nous avons vu jusque-là.»

Interrogé plus tard par FiveThirtyEight, l'American Psychoanalitic Association nuancera cependant cet avis, et soulignera que cet email servait à rappeler que la Goldwater rule ne s'appliquait qu'aux membres de l'Americain Psychiatric Association. Néanmoins, «nous disons à nos membres de faire attention quand il s'agit de diagnostiquer des personnalités publiques».

De son côté, la bien plus importante Americain Psychiatric Association (qui compte 36.000 membres) en profite pour rappeler que la Goldwater rule reste bien en place, pour elle, et que «rien n'a changé»: en clair, pas question de diagnostiquer qui que ce soit, pas même le président des États-Unis, à moins de l'avoir examiné.

 

 

«En réaffirmant cette politique, le comité d'éthique a expliqué la raison d'être de cette règle. Par exemple, en offrant une opinion professionnelle, ou un diagnostic d'une personne qui n'a pas été minutieusement examinée compromet l'intégrité du médecin et de la profession, et cela peut stigmatiser les personnes atteintes de maladies mentales.

Par ailleurs, quand un médecin donne une opinion professionnelle à propos d'une personnalité publique sans son consentement, cela viole le principe selon lequel une évaluation psychiatrique doit avoir lieu après consentement ou autorisation.»

Remise en question

Alors pourquoi certains veulent-ils tant diagnostiquer Trump? Dans l'émission On The Media, on peut ainsi entendre Bill Doherty, thérapeute et professeur de psychologie à l'université du Minnesota, s'appuyer sur des précédents historiques et tout en reconnaissant le rôle important qu'elle joue, remettre en question le bien-fondé de la Goldwater rule.

«J'ai plusieurs opinions différentes sur cette règle. Elle a un rôle important puisqu'elle joue un rôle crucial dans le sens où elle dissuade les professionnels de la santé mentale d'utiliser un diagnostic comme arme contre des personnalités politiques qu'ils n'aiment pas pour quelque raison que ce soit. Elle sert également à ne pas banaliser le diagnostic.

Mais je pense qu'elle a été détournée pour faire taire les voix de professionnels de la santé mentale qui doivent parler sur ce sujet. C'est un peu comme avec l'objectivité dans le journalisme. Il y a deux camps, et personne n'a d'opinions. En temps normal, la Goldwater rule, c'est pareil, mais quand il existe une menace contre notre société ou notre démocratie, alors nous ne devrions pas être obligé de suivre certaines normes traditionnelles.»

Dans une lettre publiée dans le New York Times en février 2017, trois semaines après l'investiture de Donald Trump, 35 psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux s'en prenaient eux aussi à la Goldwater rule:

«Ce silence nous a empêché de prêter notre expertise à des journalistes inquiets et à des membres du Congrès en ces temps critiques. Nous craignons que l'enjeu ne soit trop grand pour continuer à rester silencieux.»

Autant dire que dans le pays où la liberté d'expression constitue le premier amendement à la constitution, nous n'avons pas fini d'entendre des spécialistes de la santé mentale donner leur opinion sur l'état de santé de Donald Trump... ce qui n'est pas vraiment du goût de tous les spécialistes.

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Alors Trump, fou?

En réponse, Allen Frances, l'un des psychiatres les plus influents du pays avait répondu en assurant que la définition de trouble de la personnalité narcissique ne correspondait en aucun cas à Trump. Il a également ajouté qu'il fallait arrêter, et que l'utilisation de diagnostic sur sa santé mentale se trouvait être une insulte contre ceux qui souffrent vraiment de ce genre de troubles.

«Un mauvais comportement est rarement signe de maladie mentale, et ceux qui en souffrent se comportent rarement mal. Les insultes psychiatriques sont une mauvaise façon de contrer l'attaque de M. Trump contre notre démocratie. Il peut et devrait être attaqué sur son ignorance, son incompétence, son impulsivité, et sa poursuite de pouvoirs dictatoriaux.

Ses motivations psychologiques sont trop évidentes pour êtes intéressantes, et les analyser ne l'empêchera pas de poursuivre sa quête de pouvoir. L'antidote à un âge noir trumpien dystopique est politique, pas psychologique.»

Le risque de ne pas la respecter

De son côté, le site FiveThirtyEight, qui a publié de nombreux articles et podcast sur le sujet, souligne que ce genre de diagnostic tape souvent à côté, et «augmente les marques d'infamie autour des maladies mentales», ce qui peut dissuader certaines personnes souffrant de ce genre de troubles de demander l'aide d'un professionnel. Il demande notamment aux journalistes d'éviter cela pour soutenir un argumentaire politique: un choix que ne partagent pas vraiment de nombreux médias comme le New York Magazine, par exemple.

«Chez Trump, les sonnettes d'alarme sont ses mots, ses faits, ses tweets, et l'on n'a pas besoin de faire quelque diagnostic que ce soit pour les comprendre ou les critiquer.»

En clair, seule la personne qui l'aura examinée pourra vraiment avancer un diagnostic. Alors peut-être vaut-il mieux se concentrer sur les actes du président américain et ce que l'on a sous la main, plutôt que d'essayer de se lancer dans diverses conjectures et essayer de deviner de quel trouble mental il pourrait souffrir.

D'autant que, comme l'explique Prudence Gourguechon, ancienne présidente de l'American Psychoanalytic Association, interrogée par FiveThirtyEight, cela ne serait pas nécessairement suffisant pour comprendre Trump.

«Un diagnostic est bon pour un traitement, et pour les remboursements d'une assurance –sans un diagnostic, vos visites chez un psychologue ou un psychiatre ne sont pas couvertes–, mais il ne sera pas très utile pour comprendre les gens dans leur profondeur et leur complexité».

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