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La poignante histoire de María Teresa Rivera, la première réfugiée des lois anti-avortement

Le Salvador est connu pour avoir une des législations les plus restrictives au monde.

Une femme manifestant au Salvador pour le droit à l'avortement en février 2017 I Marvin RECINOS / AFP
Une femme manifestant au Salvador pour le droit à l'avortement en février 2017 I Marvin RECINOS / AFP

Temps de lecture: 6 minutes

María Teresa vit avec ses beaux-parents et son fils Oscar, 7 ans, au Salvador quand une nuit de novembre 2011, prise de douleurs au ventre, elle se lève et sent «quelque chose qui se rompt dans son estomac». Sa belle-mère la retrouve couverte de sang et appelle alors les urgences. Le lendemain, la police locale entre dans sa chambre d’hôpital pour l’arrêter.

«Les policiers m’ont demandé où était mon fils. J’étais en pleine confusion et je ne comprenais pas de quoi ils parlaient. Ils m’accusaient d’avoir tué mon fils. Je n’ai compris que plus tard qu’ils m’accusaient d’avoir d’avorté», raconte-t-elle dans une interview pour Splinter News.

Quarante années de prison pour «homicide aggravé». C’est la sentence disproportionnée que María Teresa Rivera s’est vu prononcée par un juge du Salvador, il y a six ans, alors que la jeune femme se défendait seulement d’avoir fait une fausse-couche. 

Au terme d’un procès expéditif, où elle a été accusée d’avoir voulu avorté volontairement, elle passe quatre ans et demi en prison. Libérée en appel en 2016, grâce à une forte mobilisation, sa demande d’asile a été acceptée par la Suède qui a reconnu les persécutions judiciaires. Aujourd’hui encore, des centaines de femmes purgent des peines de plusieurs années de prisons au Salvador pour avoir avorté.

«Je ne savais pas que j’étais enceinte, explique encore María Teresa, j’avais toujours mes règles et mon ventre n’avait pas grossi». Mais la jeune femme, encore convalescente, est tout de même menottée et emmenée dans une cellule dès le lendemain.

Législation stricte

 

L‘avortement est une pratique illégale au Salvador, petit pays d’Amérique Centrale qui possède l’une des législations les plus strictes du monde sur la question. Il est formellement interdit, même en cas de grossesse suite à un viol ou à un inceste, ou lorsque la vie de la mère est en danger. 

La loi est tellement sévère que les juges ne font bien souvent pas la différence entre les fausses couches, les interruptions volontaires de grossesses clandestines et même parfois les accouchements qui se passent mal. Cela a été le cas de Mirna Ramirez qui a passé douze années en prison, à la suite du témoignage d’une voisine l'accusant d'avoir voulu se débarrasser du nouveau-né qui aurait été conçu, selon elle, avec un amant. Enceinte de sept mois, Mirna avait pourtant simplement accouché prématurément chez elle d’une petite fille. Celle-ci survécut et durant toute son enfance n’eut l’opportunité de voir sa mère que sporadiquement, derrière les barreaux d’une prison.

La société salvadorienne, fortement influencée par l’Église catholique, reste également majoritairement opposée à l’avortement et à tout changement de la législation, établie en 1997. Et ce, même après que plusieurs cas de condamnations injustes ont été révélés. Ainsi les femmes se retrouvent d’emblée «présumées coupables» pour la perte de leur fœtus.

Dénoncée par le personnel soignant

 

María Teresa a, elle, été dénoncée par le personnel soignant. Au Salvador, l’avortement est normalement puni de huit années de prison. Mais lorsque les femmes sont dénoncées par des médecins ou des voisins, les peines peuvent être considérablement alourdies, passant dans la catégorie des homicides. D'ailleurs, si le cas de María Teresa a été tant médiatisé, c'est qu'elle est l'une des femmes qui a reçu l’une des peines les plus lourdes. 

«Quand le juge a prononcé la sentence, j’ai senti que tout était fini. La première chose à laquelle j’ai pensé était: "Quel âge aura mon fils [Oscar] en 2052 quand je sortirai de prison?" J’ai calculé et me suis dit: “Il aura 47 ans, et il me détestera!”»

Comme beaucoup de femmes, María Teresa est victime d’un climat de suspicion générale, de la part de son entourage et des magistrats. Lors de son procès, un fait ayant eu lieu plus de onze mois avant la fausse-couche de María Teresa a été utilisé par le tribunal pour contrer sa défense. «En janvier 2011, j’avais dit à une collègue de l’usine où je travaillais que je m’inquiétais à cause d’un retard de règles.»

Pauvreté et manque d'information

 

Orpheline, María Teresa a été élevée avec son frère par sa grand-mère avant d'être placée dans une institution pour les enfants de disparus, ses parents n'ayant plus donné traces de vie depuis la guerre civile qui ensanglanta le pays dans les années 1980. Malgré les difficultés quotidiennes et financières, la jeune femme veut offrir le meilleur pour son fils. Avant son arrestation, elle avait réussi à l’inscrire dans un collège privé de San Salvador, dans l’espoir d’éviter qu’il ne se fasse recruter par les gangs, qui pullulent dans le pays.

«J’ai rencontré d’autres femmes en prison, certaines qui avaient tout juste 18 ans, qui avaient été incarcérées pour avortement, toutes étaient de milieux pauvres. Les femmes qui ont de l’argent, elles, peuvent payer un médecin dans une clinique privée ou avorter à l’étranger», ajoute-t-elle sans l’interview de Splinternews. 

Quand certaines ont les moyens d’avorter à Miami ou ailleurs, d’autres se font arrêter à l’hôpital public.

«Ce cas est important car il met en lumière les lois iniques du Salvador qui restreint drastiquement la liberté des femmes de maîtriser leur fécondité, en interdisant l’interruption volontaire de grossesse, mais aussi en amont en restreignant de toutes sortes de façons l’accès aux contraceptifs de qualité et aux informations sur la procréation humaine, sous l’influence des églises conservatrices, protestantes notamment», explique Jules Falquet, maîtresse de conférences en sociologie, à l’université Paris-2 Diderot, spécialiste des questions de genre en Amérique Latine.

Les femmes pauvres sont victimes également d’une justice expéditive, et peinent à avoir accès à un bon avocat, comme ce fut le cas de María lors de son premier procès.

Les femmes, citoyennes de seconde zone

 

En mai 2016, María Teresa est libérée suite à une révision de son procès, notamment grâce une importante mobilisation des ONG de défense des droits de femmes, locales et internationales. Un juge a estimé que les preuves contre María Teresa n’étaient pas suffisantes. Elle sera restée plus de quatre ans dans l’une des prisons pour femmes les plus surpeuplées de San Salvador (avec un taux d'occupation de plus de 1.000% selon certaines estimations), celle de Ilopango, souffrant du manque de soins et d’alimentation.

Durant toutes ces années, elle et d’autres femmes à l'histoire similaire, ont été soutenues par Amnesty International, qui mène une campagne pour demander la fin de la criminalisation de l’avortement au Salvador.

«La libération de María Teresa est un nouveau pas vers la justice dans un pays où les femmes sont traitées comme des citoyens de seconde zonedéclarait Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d'Amnesty International, en mai 2016Elle n'aurait jamais dû passer une seule seconde derrière les barreaux. Sa libération doit être le catalyseur d’un changement au Salvador, où des dizaines de femmes sont incarcérées en raison d'une loi anti-avortement ridicule, qui met la vie de milliers de femmes et de jeunes filles en danger.»

Malgré une indemnisation qui lui a été accordée, María Teresa, n'a pas retrouvé de travail à sa sortie d’incarcération. «Les gens me reconnaissaient et ne voulaient pas m’engager, raconte-elle. Je me suis dit que je ne parlerai plus jamais aux journalistes. Les médias de mon pays ont toujours utilisé mon histoire contre moi.»

Précédent juridique

 

À peine quelques mois après sa libération, un procureur annonce vouloir faire appel contre la libération de la jeune femme. Invitée à une conférence en Suède, María Teresa ne voit plus qu’une solution: demander l’asile dans ce pays. Ce qu’elle fait le lendemain de son arrivée en octobre 2016. Sa demande est acceptée quelques mois plus tard, faisant d’elle la première personne à obtenir l’asile dans un tel cas, et créant ainsi un précédent juridique.

«Les autorités suédoises ont reconnues que mes droits en tant que femme ont été violés. Au lieu de me protéger, l’État m’a persécuté»explique-t-elle à Reuters, suite à la décision. Elles ont aussi estimé que la Salvadorienne ne pourrait pas être en sécurité si elle retournait aujourd’hui dans son pays.

«Je ne savais rien de la Suède avant d’arriver ici. J’ai regardé sur une carte et j’ai vu que c’était plein de lacs». María Teresa vit désormais à deux heures de Stockholm avec son fils Oscar, désormais âgé de 12 ans, où elle tente de se créer une nouvelle vie, aidée par des associations et des voisins. «Un jour sur le chemin de l’office pour l’immigration, j’ai vu une grande publicité.» La jeune femme y entre avec son fils. «C’était un endroit qui s’appelle Ikea. C’est gigantesque, nous n’avons pas cela au Salvador! J’ai acheté toute ma vaisselle là-bas», raconte-t-elle à Splinter News.

Pour autant, cette nouvelle vie n'est pas des plus faciles. «Je ne peux communiquer qu’avec peu de gens ici et tout ce que j’ai c’est mon fils, confie-t-elle. Je vis dans un centre pour immigrés qui appartient au gouvernement suédois. J’apprends le suédois grâce à internet et mon fils, qui va à l’école, m’enseigne quelques mots. Je n’ai pas le droit de travailler tant que je n’aurais pas mon permis de travail.»

Le devoir de témoigner

 

Cependant,  María Teresa continue à se battre auprès des associations de défenses des droits des femmes. «Ces derniers mois, de nombreuses campagnes nationales et internationales ont eu lieu impulsées par des mouvements de femmes, depuis l’intérieur du pays mais aussi de la part de la diaspora salvadorienne (car de plus en plus de jeunes sont contraint-e-s de partir du fait de la situation politique et économique déplorable du pays et de la violence terrible qui y sévit)», explique Jules Falquet.

Elles s’engagent notamment pour promouvoir un projet de loi pour assouplir la législation anti-avortement au Salvador. María Teresa veut aussi aussi aider la vingtaine de ses compatriotes qui sont encore actuellement en prison pour avoir, comme elle, fait une fausse-couche, mais aussi toutes les autres qui ont avorté. 

«Je leur ai promis que si je sortais, je parlerais en leur nom. Elles ne méritent pas d’être en prison pour un crime qu’elles n’ont pas commis.»

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