Culture

Montaigne, le premier des blogueurs

[BLOG] À bien des égards, par la diversité des sujets abordés, les «Essais» seraient comme un blog tenu par un homme dont le souci de vérité eût été la seule règle.

<a href="https://www.flickr.com/photos/142846602@N07/27654460256/">Montaigne Ecrivain</a> | Patrimoine Bordeaux via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/publicdomain/mark/1.0/"></a>
Montaigne Ecrivain | Patrimoine Bordeaux via Flickr CC

Temps de lecture: 3 minutes

Montaigne, selon les dires de ses contemporains, ne possédait ni ordinateur, ni adresse mail, ni page Facebook, ni compte Twitter. Pourtant, à sa manière, il a été le précurseur d'un genre plus ou moins littéraire qui fait fureur à notre époque, j'ai nommé la tenue d'un blog, activité ô combien respectable dont je suis, selon ma mère, le plus éminent spécialiste.

Par blog, j'entends cet assemblage iconoclaste et quelque peu fourre-tout de réflexions, d'articles, d'avertissements, de mises au point, de suppliques, de coups de gueule, d'avis divers et variés sur une multitude de sujets, exercice qui tient à la fois du journal intime, du carnet de notes et de l'autofiction.

Voici comment il commence:

«C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altiére et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.»

Le blogueur est cette drôle de personne, légèrement mégalomane, un tantinet impudique, un brin exhibitionniste, qui dit à son lecteur:

«Voilà mon brave de quel bois je suis fait, voilà ce que je pense du monde et des gens qui le composent, voilà mon âme telle que je l'envisage, voilà l'essence même de mon être d'où je tire la substantifique moelle de ma pensée et de mes actions.»

Or que sont-ce les Essais sinon cette singulière tentative entreprise par Montaigne de se montrer au lecteur tel qu'il est, de disserter sur les mœurs et coutumes de son époque, de se référer au passé afin de mieux éclairer le présent, d'envisager le métier de vivre sous toutes ces coutures, d'entreprendre de se raconter sans s'épargner en multipliant les points de vue, tout au long de chapitres, de rubriques qui vont de l'éducation des enfants à la façon de s'habiller en passant par l'évocation de pratiques prêtées aux cannibales?

Comme tout blogueur qui se respecte, Montaigne assène des vérités qui lui tiennent à cœur, dénonce parfois l'hypocrisie ou  le manque de tenue de ses contemporains, met en avant sa propre expérience pour mieux décrire son rapport au monde, se sert de ses lectures afin d'affiner son jugement sur tout ce qui touche à la morale et à la façon de se comporter face aux grandes questions qui agitent le cœur des hommes: la mort, le courage, la guerre, l'amour.

Et pareillement au blogueur, il ne suit pas un schéma établi, il écrit au gré de son humeur et de ses envies, il va là où bon lui semble sans se soucier de cohérence ou de suivi tout au long de la rédaction de ses pensées, dans une anarchie de sujets si variés, si entremêlés, si distincts que le lecteur en perd parfois son latin –sujets parfois traités en quelques paragraphes ou nécessitant des dizaines de pages.

Surtout, il a lui aussi l'exigence de la vérité, de sa vérité, peu importe le prix à payer, peu importe le regard que le monde alentour lui jettera, peu importe les considérations de ses contemporains ; ce qui compte avant tout c'est d'être fidèle à ce que l'on est, de ne pas faiblir dans son exigence d’authenticité, de ne pas s'épargner et de tenter de se présenter au lecteur, sans fard, sans outrance, dans la plus parfaite honnêteté d'un homme dont l'humilité demeure la première des qualités.

Au fond, Michel de Montaigne m'a tout piqué.

Quel enfoiré.

Pour suivre l'actualité de ce blog, c'est par ici : Facebook-Un Juif en cavale
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