France

La vie de Max Gallo dit beaucoup de notre pays

La disparition de Max Gallo, membre de l’Académie Française, met en lumière un destin qui reflète presqu’à la perfection celui de notre pays depuis la Libération.

Le 16 mai 2007 à Paris: Max Gallo lors de la cérémonie de passation de pouvoirs entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, au Palais de l'Elysée. AFP PHOTO DOMINIQUE FAGET
Le 16 mai 2007 à Paris: Max Gallo lors de la cérémonie de passation de pouvoirs entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, au Palais de l'Elysée. AFP PHOTO DOMINIQUE FAGET

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Les nombreuses vies de Max Gallo, décédé le 19 juillet à l’âge de 85 ans, sont le reflet kaléidoscopique de l’Histoire de notre pays depuis les lendemains de la Second Guerre Mondiale. La vie de l’auteur de La Baie des Anges dit beaucoup de notre pays, des promesses et des espoirs d’une France de la reconstruction aux doutes d’un pays habité par l’angoisse du déclin. Le parcours de Max Gallo, ses engagements dans la vie de la cité, son évolution idéologique, ses certitudes, doutes et ses questionnements personnels sont à l’image de la France et sont certainement, à chaque étape de son activité d’écriture, entré en résonnance avec les préoccupations de nombres de Français.

De l’usine à l’université, un enfant de la République

A la fois titulaire d’un CAP de mécanicien-ajusteur et d’un doctorat d’Histoire, Max Gallo fut donc ouvrier puis universitaire, incarnant une sorte de rêve français ancré dans notre imaginaire, celui d’un pays assurant une mobilité sociale ascendante.

Cet enfant de l’immigration italienne, niçois de naissance, fut sans doute profondément marqué par la Défaite de 1940 et l’Occupation, et devint un fervent avocat de la nation.

Français d’origine italienne, fils de Résistant, antifasciste viscéral et excellent connaisseur du régime de Mussolini, il lui consacra plusieurs ouvrages.

A l’instar de nombreux Français, Max Gallo fut communiste. Il fut même membre du Parti Communiste Français. Il en garda probablement le goût pour les engagements affirmés et des opinions abruptement affirmées… et aussi le rude respect de ses adversaires.

Dans cette France «gaullo-communiste», une sorte de consensus tacite s'était établi entre les forces issues de la Résistance, tant sur le récit national à porter que les grands axes de la reconstruction.

1981 et le remord de la gauche

Dans Une affaire publique, roman paru en 1989, Max Gallo revient certes sur une part dramatique de sa vie mais évoque aussi 1981 et cet été où la gauche s’installa au pouvoir pour la première fois depuis 1958. Cette victoire devait être une réplique de 1936. Sa concomitance avec l’arrivée au pouvoir de Thatcher et Reagan lui réserva un tout autre destin, dont les dernières élections soldent les comptes. La génération de Max Gallo vécut probablement avec une certaine douleur qu’après «changer la vie», la gauche au pouvoir change d’avis et que nombre des siens s’attachent essentiellement à changer leur propre vie.

Député de Nice en 1981, élu sous les couleurs du Parti Socialiste, il fut aussi membre du gouvernement de Pierre Mauroy. Porte-parole du gouvernement entre 1983 et 1984, il a pour directeur de cabinet François Hollande. Les deux visages de la France socialiste sont, encore, presqu’admirablement résumés par ce face à face entre le Ministre et le jeune haut-fonctionnaire qui dirige son équipe ministérielle.

De Maastricht à l’Académie, au cœur des débats

Max Gallo, l’historien, le romancier, le directeur de rédaction du Matin de Paris (un journal des années 1980), l’homme politique, député puis député européen, fut surtout un ardent militant de ses convictions, même après la fin de son investissement dans la politique partisane et électorale. L’engagement politique, les opinions martelées avec l’opiniatreté de ceux qui, un jour, «crurent au matin», collaient parfaitement à Max Gallo.

Au cours de ce dernier quart de siècle, marqué par l’accélération de l’intégration européenne autant que les conséquences de la fin de la guerre froide, Max Gallo participa à une querelle obsédante. Il présida un temps un parti issu d’une scission du Parti d’Epinay, le Mouvement des Citoyens, rassemblant les partisans de la ligne «chevènementiste», opposés à la Guerre du Golfe, au traité de Maastricht et thuriféraires d’une République dont les fondamentaux et les idéaux pourraient servir d’assise à une gauche privée, par l’avancée du néolibéralisme, de ce qui faisait sa force dans les années 1970. Les artisans d’Epinay (le CERES) accomplissaient une mue rhétorique plus qu’idéologique, substituant la République (et l’adjectif «citoyen» mis à toutes les sauces il est vrai) à l’autogestion, tous en gardant le cap d’un projet politique empruntant au socialisme et à une géopolitique évoquant le De Gaulle du retrait du commandement intégré de l’OTAN ou du discours de Phnom Penh. Fondateur de ce parti, Max Gallo fut compagnon de personnalités issues du communisme (Anicet Le Pors, ancien Ministre), du gaullisme de gauche (Léon Hamon, Résistant, gaulliste de gauche), de la Résistance, comme Serge Ravanel (FTP du Sud-Ouest durant la guerre, candidat MDC à Toulouse en 1997) ou encore des époux Aubrac, fervents soutiens de Jean-Pierre Chevènement.

Une Histoire de France magnifiée

Sur fond de fin de la guerre froide, d’évocation de la «Fin de l’Histoire», d’intégration européenne, de cercle de la raison, de «trotsko-balladurisme» (concept oublié mais préfigurant probablement notre actualité politique), le débat public opposait ceux que l’on allait désigner par le qualitification «national-républicain» opposés aux «fédéralistes», aux «libéraux-libertaires».

Sur fond de profond ennui intellectuel et d’attente de billets en «Euro» au distributeur du coin de la rue, la France était spectatrice, incrédule des mises à l’index de Régis Debray par Bernard-Henri Lévy ou de ses injonctions, empruntant à la magie vaudou ou à ses souvenir de l’Exorciste, à «chasser le Chevènement de nos têtes». Maastricht et son horizon, le Pacte de Stabilité, la géopolitique de Madeleine Albright puis Paul Wolfotwitz, étaient au cœur des débats, polémiques, de ces années-là.

Fondation Marc-Bloch contre Fondation Saint-Simon, partisans d’une «autre politique» contre tenants d’une «désinflation compétitive» muée ensuite en «respect des critères de Maastricht» contribuaient à définir un débat politique aussi répétitif que propice aux invectives et autres errances intellectuelles, rompant l’ennui et la lassante routine intellectuelle de cette période..

Max Gallo campa fermement sur ses positions. Aux articles des traités européens, il opposait une Histoire de France magnifiée et valorisant davantage sa part de lumière que ses très dommageables parts d’ombres. Opposé à la repentance au nom de l’Histoire, il batailla autant qu’il put. Gallo, comme Debray, comme Chevènement, comme beaucoup et aussi comme Charles Pasqua, qu’il faillit soutenir aux élections européennes de 1999, croyait en une France indépendante, marquée par une forme d’inconscient «FTP» (Francs-Tireurs Partisans, mouvement de résistance aux racines en partie communiste mais sensibles à la parole gaullien).

La dernière évolution

Beaucoup furent étonné de son soutien à Nicolas Sarkozy en 2007. Ce dernier s’était emparé du questionnement collectif sur le destin de la France. Il y avait apporté des réponses par un syncrétismme discursif habile, qui empruntait à un imaginaire laissant une place aux références «de gauche» sinon «gaullo-communistes». Max Gallo évolua. La place qu’il accorda à une nation, parfois idéalisée, son penchant à substituer le roman national à un nécessaire récit historique et sociologique du passé de notre pays, furent réels. Son évolution fut cependant éminemment liée aux bouleversements des trois décennies. En ce sens, Max Gallo fit siennes les réticences et les interrogations de ses concitoyens.

L’impressionnante bibliographie de Max Gallo, sa capacité à écrire tant romans que livres historiques, essais et épopées romanesques est révélatrice d’une activité intense constamment menée sur de nombreux fronts. Disparu ce mois de juillet 2017, Max Gallo est un témoin. Témoin d’une certaine France et de l’idée qu’elle se fait du destin de notre pays, Max Gallo eut aussi cette capacité à écrire pour le plus grand nombre, tout en fixant un cap, le sien… celui d’une «certaine idée de la France».

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