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Il est la révélation du débat parlementaire mort-né sur la réforme du code du travail. Adrien Quatennens, 27 ans, est un primo-député qui n’a pas peur de faire résonner sa voix dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Élu dans le Nord et originaire de Lille, il a fait le 10 juillet la fierté de la France insoumise, nourrissant les applaudissements au-delà de ses bancs, lors de la première séance d’examen du projet de loi d’habilitation, préalable à la mise en place des ordonnances.
Désigné par son groupe pour défendre à la tribune une motion de rejet du texte, il s’adresse directement à la ministre du Travail: «Vous nous demandez de renoncer, sur un sujet majeur, à notre rôle de législateur, purement et simplement. Pour notre part, nous vous opposons un grand "non", vous n’aurez pas notre blanc-seing pour jouer les apprentis sorciers avec le Code du travail».
Alors que Muriel Pénicaud venait d’évoquer dans son exposé des motifs une entreprise qui ne serait «pas un lieu systématique de conflits», le jeune élu ironise:
«Marcel qui va en sifflotant au travail, c’est bien connu, va dialoguer socialement avec son patron en disant "tiens, aujourd’hui on va augmenter les salaires!" On sait que ça ne se passe pas comme ça». Alors qu’elle fustige un code du travail complexe, «inadapté à l’économie de notre temps» et «fait pour embêter 95 % des entreprises», il tempête:
«Ces propos sont inacceptables et par ces mots Madame la ministre, vous déshonorez votre fonction! (…) Sachez que le Code de la route est fait pour embêter 100% des chauffards», avant d’exhorter les députés de la majorité à penser contre eux-mêmes:
«Mes chers collègues de la République en marche, ne vous laissez pas griser par la vague Macron qui vous a amenée jusqu’ici. Vous êtes des députés de la nation, des représentants du peuple français, soyez à la hauteur! Faites un usage immodéré de votre capacité de réflexion propre et de votre libre arbitre. Sondez en vous autre chose que ce qu’il convient de faire pour vous faire bien voir des autres. N'hésitez pas même, à vous insoumettre. Vous en trouverez toujours comme nous pour vous accueillir avec le plus grand plaisir et vous soutenir dans cette démarche.»
Mise sur orbite
Depuis lundi, il enchaîne les interviews. Sur les raisons de cet emballement médiatique, il prend soin de garder la tête froide. «Cela tient à bien peu de choses finalement. Évidemment que j’avais ciselé mon verbe durant le week-end pour faire l’intervention la plus pêchue possible. J’avais l’intention de faire d’une pierre plusieurs coups, afin de critiquer à la fois la méthode et le fond de la réforme. Pour autant je pense qu’on est face à une parole tellement monolithique avec cette nouvelle législature, qu’il est assez facile d’avoir un discours qui tranche.»
Un petit tacle à ses collègues de «La République en marche». Pour ce qui est de ses camarades de «La France insoumise», il se défend de toute tentative de singularisation. «Vous allez voir émerger d’autres personnalités de talent au fil du temps. Des comme moi, il y en a bien d’autres.»
Jean-Luc Mélenchon lui a tout de même fait part de sa «fierté». «Déjà, le jour de notre rentrée parlementaire, quand je l’ai vu sur la place du Palais Bourbon, la première chose qu’il m’a dite a été combien il était fier de nous voir ici, nous, les jeunes. Contrairement à l’image véhiculée, c’est quelqu’un qui est très soucieux de la transmission, de faire émerger de nouveaux visages. Il est d’une bienveillance absolue». Il entretient une relation de proximité particulière avec son chef de file, «qui n’a fait que grandir avec les années», et aimerait un jour raconter «son» Mélenchon, afin de lui rendre justice.
Adrien Quatennens félicité par Jean-Luc Mélenchon le 10 juillet 2017 à l'Assemblée Nationale à Paris | Bertrand GUAY / AFP
Il l’avait rejoint peu de temps après que ce dernier ait déserté la rue de Solferino. En 2012, il est sympathisant du Front de Gauche et milite pour sa candidature, avant d’adhérer au Parti de Gauche en 2013. «Je mets toujours un peu de temps pour faire les choses, mais quand je prends la décision, j’y adhère pleinement». Il s’agit de sa toute première expérience en tant que militant d’un parti politique. Il avait fréquenté les rangs d’ATTAC vers l’âge de dix-huit ans suite à sa rencontre avec une professeure d’histoire-géo. L’altermondialisme donne une base idéologique à celui qui jusqu’à présent n’avait manifesté qu’à l’occasion du CPE, en 2006, alors qu’il était encore lycéen. «J’ai grandi dans une famille où le souci de l’autre est une préoccupation constante, mais je n’ai pas baigné dans la politique». C’est lors du décès de l’Abbé Pierre, alors qu’il tombe sur un reportage consacré à l’hiver 54, qu’il ressent le déclic qui le pousse à s’engager. Il rejoint une association lilloise qui organise des maraudes de nuit pour venir en aide aux sans-abris. Sympathisant de la LCR, il est déçu par le manque de vocation majoritaire du NPA, avant de se reconnaître dans la démarche du Parti de gauche, séduit par l’articulation idéologique entre le socialisme «au sens originel du terme», et l’écologie. S’engageant à corps perdu, il devient très vite responsable du parti pour la métropole lilloise, et membre du Conseil national.
Comme son père, il a débuté parallèlement une carrière dans le secteur de l’énergie, en tant que conseiller clientèle. Il se consacre actuellement de manière exclusive à son mandat, mais a eu la prudence de borner juridiquement la mise en retrait de son entreprise, obtenant l’équivalent d’un congé sans solde. Il dit n’avoir pas réellement anticipé sa candidature à la députation. C’est seulement en décembre 2016 qu’elle devient une évidence, poussée par les militants des comités locaux lillois. Il refuse de se laisser griser, voire «embourgeoiser», par le confort lié au statut de parlementaire. «Je viens ici comme je suis, je n’oublie pas pourquoi je suis là. Cela constitue un levier supplémentaire pour l’action politique, mais ce n’est pas le seul. Nous restons avant tout des militants élus, ou des élus militants».
De l’hémicycle à la rue
Avant son discours tonitruant à la tribune, il s’était fait remarquer la semaine antérieure lors des travaux en commission des affaires sociales, accusant la majorité de vouloir précipiter l’examen du projet pour «entraver la prise de conscience dans le pays sur l’ampleur de ce qui se prépare». Le 4 juillet, il a tenu brandi le Code du Travail tout au long du discours de politique générale prononcé par Édouard Philippe, avec quelques autres députés de son camp. Il concède que l’idée est venue de lui, et regrette un peu que tous les membres de son groupe n’aient pas pensé à se procurer le lourd pavé rouge. «L’orchestration a manqué de détails», dit-il en souriant, lui qui a une formation en musique et qui adolescent pensait plutôt se faire un nom grâce à la guitare et à la batterie, ses instruments d’alors. Il nourrit un rapport passionnel à tout ce qu’il fait, et compte livrer bataille jusqu’au bout, même si celle-ci est perdue d’avance. Dans l’hémicycle en tout cas, le gouvernement disposant d’une majorité écrasante pour faire passer ses ordonnances.
Mais il espère que ses propos aient une résonnance au-delà des murs du Palais Bourbon, et pense en termes d’articulation entre combat parlementaire et dans la rue. «Il faut décloisonner le débat, nous ferons autant d’allers-retours qu’il le faudra entre l’Assemblée et la rue. Ce n’est pas parce qu’on a été élus qu’on va se couper du mouvement social. Au contraire, on est là pour le servir d’autant mieux.» La rue donc, comme force de déstabilisation, et lui comme courroie de transmission. «Car après tout, pour le CPE aussi c’était perdu d’avance». Avant que le vent ne finisse par tourner.