France

Paris Match avait-il le droit de publier de nouvelles photos de l’attentat de Nice?

L'hebdomadaire publiait ce jeudi 13 juillet des photos de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016. Le parquet de Paris en a exigé le retrait en urgence.

Des bougies, des jouets et des fleurs ont été déposés sur la Promenade des Anglais à Nice, le 15 octobre 2016. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Des bougies, des jouets et des fleurs ont été déposés sur la Promenade des Anglais à Nice, le 15 octobre 2016. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

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«La tristesse d’une ville et des victimes ne se monnaye pas! Pas de Paris Match cette semaine», pouvait-on lire à l’entrée d'un kiosque de la Promenade des Anglais au matin du 13 juillet 2017.

Selon Nice-Matin, une trentaine de vendeurs de journaux niçois ont décidé de retirer de leurs rayons le nouveau numéro de Paris Match, qui publie cette semaine deux doubles pages de photos inédites de l’attentat du 14 juillet 2016 –un chiffre contesté par Paris Match*.

L'atteinte à la dignité des victimes critiquée

 

Issues de la vidéosurveillance de la ville, les images montrent le camion du terroriste Mohamed Lahouaiej-Bouhlel fauchant de nombreux passants. Impossible de distinguer les visages, mais la publication de ces images a déclenché une vague d'indignation parmi les familles et les associations de victimes, qui accusent Paris Match de rechercher le sensationnalisme en portant atteinte à la dignité des personnes décédées dans l’attentat.

Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC), a affirmé le 12 juillet sur Franceinfo que Paris Match avait publié ces photos «volées dans le dossier judiciaire» par «intérêt mercantile»:

«C’est un écoeurement. Paris Match fait ça pour l’argent, c’est vraiment dégueulasse. C’est une atteinte au droit fondamental des victimes au respect. Pour les familles, c’est déjà extrêmement éprouvant. On expose des photos volées dans le dossier judiciaire et pour ces personnes ça va être un choc, un retour en arrière.»

Le même jour, Eric Morain, avocat de la FENVAC, a ainsi appelé via un communiqué le Parquet antiterroriste de Paris à «faire cesser ce trouble manifestement illicite», en affirmant que les captures d’écran de la vidéo «portent atteinte à la dignité des victimes et de leurs proches» et sont «uniquement destinées à créer une atmosphère morbide et voyeuriste».

La «défense du droit à l'information»

Le 13 juillet, le Parquet de Paris décide alors d’assigner en urgence Paris Match en référé et demande au tribunal «d’ordonner le retrait de la vente» du magazine et «l’interdiction de diffusion sous tous formats, notamment numérique», explique le HuffPost.

Une action que regrette l’hebdomadaire, qui affirme défendre avec ce dossier photo «le droit à l’information»:

«Paris Match entend défendre bec et ongles le droit des citoyens, au premier chef le droit des victimes, de savoir ce qui s'est passé exactement lors de l'attentat commis à Nice le 14 juillet 2016.»

Et d’ajouter ensuite que la rédaction avait voulu «rendre hommage aux victimes» dans le but que «la société n’oublie pas».

Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris Match, a réagi à la polémique sur les ondes de RMC:

«Des millions de gens ont vu ça. Les photos que nous publions sont des captures vidéos. Ce sont des plans larges, sans identification possible des victimes ni d’atteinte à leur dignité. La France a du mal à se regarder en face, c’est un problème d’infantilisation du public.»

Les avocates de l’hebdomadaire ont aussi défendu le droit à informer, en affirmant que le but n’était pas mercantile:

 

Paris Match dans son droit?

La Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse indique que «le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelles ou l'image de cette victime lorsqu'elle est identifiable est puni de 15 000 euros d'amende». Mais cette loi ne concerne pas les personnes décédées, car comme le précise Emmanuel Pierrat, avocat spécialisé en droit de la presse, «les morts n’ont plus de droit sur leur image». Selon lui, il n’y a donc «pas lieu à référer».

L’article 225-17 du Code pénal prévoit également des sanctions en cas «d'atteinte à l’intégrité du cadavre», mais d’après la jurisprudence, ce délit ne concerne que l’atteinte physique portée à la dépouille. Or, les photos publiées par Paris Match ne semblent pas permettre l’identification claire des victimes, dont on ne voit aucun gros plan.

C’est ainsi que le magazine VSD, qui avait été attaqué par la famille d’une victime du Bataclan dont l’hebdomadaire avait publiée la photo -floutée-, n’avait pas été condamné.

Dans le cas du dossier photos de Paris Match, le délibéré devrait être rendu dans la soirée, un peu après 18 heures.

* — La contestation de la part de Paris Match a été précisée après une mise à jour.

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