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Pourquoi tant de bisexuels finissent dans des relations hétérosexuelles?

C'est avant tout une bête histoire de statistique.

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Caution Sign -- Entering Heterosexual Area | Mike Licht via Flickr CC License by

Temps de lecture: 4 minutes

Quand j’ai commencé à fréquenter une femme pour la première fois, après avoir joyeusement fréquenté des hommes des années durant, j’avais une blague toute prête pour expliquer mon orientation sexuelle à ceux qu’elle interrogeait: «Je suis à moitié gay: seulement du côté de ma mère.»

Je fais partie de ces gens qui ont toujours à tort «détesté les étiquettes» et j’ai vraiment activement évité le terme «bisexuel» pendant des années. Je suis ainsi sortie avec des personnes transsexuelles et, dans ma tête, «bi» était aussi un indicateur de genres binaires auxquels je ne croyais pas. Mais ce que j’ai fini par comprendre, c’est qu’en fait, le terme «bi» ne signifie pas une attirance pour deux genres mais le fait d’être attiré par des gens de son propre genre et d’autres genres que le sien, et que le parapluie bisexuel est en fait un véritable arc-en-ciel d’étiquettes, qui dénote une grande fluidité sexuelle. Aujourd’hui, je porte fièrement mon étiquette de bisexuelle.

Au vu de toutes ces luttes et de toute cette réflexion, ma situation actuelle peut donc surprendre: je suis engagée dans une relation de long terme avec un homme cisgenre qui se considère comme hétérosexuel –et cela comme une immense majorité d’autres femmes bisexuelles.

Une quête de réconfort?

 

Le journaliste et polémiste Dan Savage faisait un jour remarquer que «la plupart des adultes bisexuels, quelles qu’en soient les raisons, finissent dans des relations avec des personnes du sexe opposé». Que vous soyez ou non fan de Dan Savage (et de certaines de ses assertions douteuses sur la bisexualité), les statistiques confirment cette assertion: la grande enquête sur les LGBT du Pew Center, conduite en 2013, indique que 84% des personnes bisexuelles finissent en couple avec des personnes du sexe opposé, ce qui semble confirmer cette idée que la bisexualité serait, comme de nombreuses personnes le disent «juste une phase» ou bien la première marche vers «une homosexualité totale». Sachant pertinemment que cela n’était pas vrai, j’ai décidé d’enquêter.

Parmi mes premières suppositions: une homophobie intériorisée, la peur du regard des autres et d’un rejet de la famille, et même quelques craintes relatives à sa propre sécurité physique. Si le fait d’être bisexuel ne signifie pas nécessairement que vous êtes attirés de manière égale par des genres multiples, il n’apparaît pas aberrant d’imaginer que ce genre de choses puisse pousser une personne aux attirances mouvantes dans une direction tenue pour socialement plus acceptable.

Si les recherches manquent sur la manière dont ces facteurs pourraient ou pas pousser des personnes bisexuelles à choisir des relations qui apparaissent «normales» aux yeux du monde extérieur, on ne manque pas d’études qui montrent que les personnes bisexuelles vivent sous les pressions constantes d’une partie de la communauté LGBTQ. Non seulement les personnes bisexuelles font face à des risques plus élevés de cancer, de MST et de maladies cardiaques, elles font également face à de plus forts taux d’anxiété, de dépression et d’abus de substances illicites et sont davantage en proie aux conduites à risques et aux tentatives de suicide que les personnes hétérosexuelles, gays ou lesbiennes. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que pour certains, la promesse d’un peu de sécurité et d’acceptation sociale puisse expliquer le choix final d’un partenaire du sexe opposé, même inconsciemment.

Une loi mathématiques

 

Mais il y a une raison plus simple, plus évidente et plus probable à la fois pour laquelle tant de personnes bisexuelles finissent par vivre une relation avec une personne du sexe opposé: c’est que la probabilité en est tout simplement énorme.

Les Américains ont une tendance bien documentée à totalement surestimer le pourcentage de personnes queers au sein de la population. Des sondages ont révélé que si la plupart des gens pensent que les personnes LGBTQ représentent 23% de la population, le chiffre est, dans les faits, de 3,8%. Il n’est donc pas seulement plus probable statistiquement qu’une personne bisexuelle finira avec une personne du sexe opposé; il est tout aussi probable (et même bien davantage) qu’elle va tout simplement finir avec quelqu’un issu des 96% de la population qui se considèrent comme hétérosexuels.

Comme toute personne qui a décidé un jour de braver le monde des relations amoureuses, l’amour ne se trouve pas sous le pas d’un cheval (même cisgenre). Il n’y a sans doute pas des tonnes de gens sur cette planète –et je ne parle même pas de votre environnement géographique et social – dont la morale, le sens de l’humour, les addictions à Netflix, les restrictions alimentaires et autres idiosyncrasies se rapprochent assez des vôtres pour que vous ayez envie d’accrocher vos deux wagons au train-train quotidien de la vie commune (et internet nous rend de plus en plus difficiles).

Ajoutez à cela qu’en raison d’une biphobie persistante, un grand nombre de personnes gays ou lesbiennes refusent catégoriquement de sortir avec des personnes se définissant comme bisexuelles et qu’il devient donc assez évident pour nous autres bisexuels que l’entonnoir se retrouve mathématiquement peuplé de manière écrasante par des personnes hétérosexuelles –des personnes qui, pour des femmes bi au minimum, ont par ailleurs davantage de chances de faire le premier pas.

Culture queer

 

Il est également bon de garder à l’esprit que si de nombreux bisexuels sont monogames, toutes les personnes engagées dans des relations de longue durée ne le sont pas forcément. Des personnes bisexuelles engagées dans des relations stables (voire des mariages) avec des personnes du sexe opposé peuvent avoir trouvé un accord avec ces dernières pour entretenir des relations avec des personnes du même sexe.

Ceci posé, il convient de se souvenir que même au sein d’une relation monogame entre deux personnes de sexe opposé, si une ou les deux personnes se considère bisexuelle, cette relation n’invalide en rien la bisexualité de qui que ce soit – après tout nous ne dirions jamais à un homme gay pratiquant l’abstinence qu’il «n’était pas vraiment gay» parce qu’il n’a pas, en ce moment, de relations avec un ou des hommes.

Enfin, une relation avec une personne bisexuelle n’est jamais vraiment hétérosexuelle –tout simplement parce qu’une des deux personnes impliquées, au moins, vient rajouter sa petite touche queer à l’ensemble. Car oui, en effet, nous autres bisexuels sommes un peu des ambassadeurs queers: nous sommes là pour injecter un peu de sensibilité queer dans un monde hétérosexuel, une conversation à la fois, une relation par une.

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