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Vous imaginiez déjà un déluge de likes inonder vos photos de vacances: vous, dans votre plus belle bambi-pose à La Grande-Motte; vous, devant une assiette de tacos vegans à Cancún; vous, avec un lémurien albinos nain dans les bras… Le tout face à l’objectif d’un pote transformé en selfie-stick.
Hélas, on le sait au moins depuis Titanic, la vie est cruelle. Vous avez dû craquer votre PEL pour payer des arriérés d’impôts (saloperie de phobie administrative) et votre selfie-stick humain vous a lâchée. Adieu Grande-Motte, tacos et lémurien. Cet été, votre compte Instagram risque de ressembler à la plaine de Waterloo; morne et vide.
Une solution: la littérature, fournisseuse officielle d’images depuis Homère. Puisez dans les livres les plus beaux clichés pour ne pas être en reste sur les réseaux. Et parce qu’on est en pleine saison de disette éditoriale, on a sélectionné le meilleur de l’année écoulée, histoire de vous offrir une séance de rattrapage littéraire en plus d’une insta-crédibilité.
1.#SUNSET #NOFILTER #INSTAPUTE
Pardon de gâcher l’ambiance, mais les photos d’astre orangé sombrant dans la mer, à force, ça évoque plus la fin du monde façon Melancholia qu’un moment d’extase romantique. Il est temps de changer de disque (solaire).
. Rendez-vous à Positano de Goliarda Sapienza (éd. Le Tripode Han)
La côte amalfitaine, c’est surfait! Oui, mais là, il s’agit du Positano des années 1950, avant les touristes en Crocs. Sur fond de criques idylliques, la romancière italienne tisse une histoire d’amitié amoureuse entre deux femmes. Mieux qu’Elena Ferrante!
. La Part inventée de Rodrigo Fresán (éd. Seuil)
Un écrivain au succès émoussé entreprend de raconter sa vie. Les souvenirs réels et imaginaires se mêlent, le livre se métamorphose en ample fantaisie contemplative. Pour réapprendre à voir le monde autrement qu’à travers des écrans.
. Un monde flottant de Nicolas de Crécy (éd. Soleil/Noctambule)
Pas d’histoire, mais une série de dessins et de lithos somptueux qui rendent hommage à la tradition japonaise des yôkaï, des esprits à la dégaine monstrueuse. Plus près des estampes de Kuniyoshi que de Dragon Ball Z.
2.#ROADTRIP #FREEDOM
Le prochain qui pose au milieu des cactus à Joshua Tree ou qui se photographie dans le rétroviseur de son SUV de location (tellement pas #AccordsDeParis), vous lui faites avaler son Lonely Planet. Prenez des chemins de traverse en restant nickel question empreinte carbone.
. Pic de Jack Kerouac (éd. La Petite Vemillon)
Kerouac, c’est LE maître absolu du roadtrip. Mais à l’ultra-classique Sur la route, préférez ce court texte méconnu du héros de la Beat Generation: un petit garçon noir découvre les États-Unis au gré des aléas de la vie. Un Huckleberry Finn en modèle réduit.
. Gérard, Cinq années dans les pattes de Depardieu de Mathieu Sapin (éd. Dargaud)
De Saint-Germain-des-Prés aux routes d’Azerbaïdjan en passant par Moscou, le dessinateur a suivi Gégé dans ses voyages. Ça bouge, boit, bouffe. Pensez au citrate de bétaïne.
. Manuel à l’usage des femmes de ménage de Lucia Berlin (éd. Grasset)
Lucia Berlin a connu l’opulence au Chili et la dèche à San Francisco. Une vie chaotique qui a inspiré ses nouvelles où elle évoque un séjour en cure de désintox au Mexique, sa rencontre avec un Indien bourré dans un Lavomatic ou un plan foireux avec un poète au Texas. En restant toujours classe.
3.#PERFECTBODY #INSTAPOUFFE
Céder au «ribcage bragging» (exhiber ses côtes pour montrer qu’on peut être aussi sexy qu’une carcasse de poulet) ou faire saillir ses implants fessiers d’un monokini en crochet pour épater la galerie? Pourquoi pas, mais afficher des canons de la littérature, ça en jette aussi.
. La Montagne magique de Thomas Mann, nouvelle traduction de Claire de Oliveira, (éd. Fayard)
Règle de base: dire j’ai «relu» La Montagne magique. Pendant 750 pages, on suit Hans Castorp dans un sanatorium où il s’éprend de Clawdia Chauchat (miaou), experte en claquage de portes. Le sana is the new Spa.
. Les œuvres complètes de Michel Houellebecq (éd. Flammarion)
Pattaya, Lanzarote, l’Irlande… On voit du pays et comme ses œuvres complètes sont en deux tomes, on peut aussi s’en servir d’haltères pour se sculpter un #bodyperfect. Merci qui? Merci Michel.
. Réédition des romans de Carson McCullers (éd. Stock)
On fête cette année le centenaire de sa naissance, mais l’écrivaine américaine reste à jamais la jeune femme qui publia en 1940 Le cœur est un chasseur solitaire, puis Reflets dans un œil d’or ou Frankie Addams. L’occasion rêvée de redécouvrir une œuvre pleine de grâce et de freaks.
4.#BFF #QLF
Sérieusement, on a tous vu Les Petits Mouchoirs. Est-ce qu’après ça, on a vraiment envie de louer une maison avec douze potes et de passer ses vacances entouré de «belles personnes» qui s’engueulent à chaque partie de Taboo? Mieux vaut savoir s’entourer.
. Lettres choisies de la famille Brontë (éd. Quai Voltaire/La Table ronde)
Avec leurs histoires de vengeance et d’amours impossibles (Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevents…), les sœurs Brontë valent largement les sœurs Hadid. Sans oublier Branwell, leur frère morphinomane, idéal pour un amour de vacances, une histoire sans lendemain.
. Au pays des nudistes de Mark Haskell Smith (éd. Paulsen)
À Tampa comme au Cap d’Agde, le journaliste du L.A. Times n’a pas hésité à se mettre à poil pour partir à la rencontre des communautés naturistes. Des estivants plutôt cool, pour qui l’outfit of the day n’est pas un problème.
. Mères, filles, sept générations de Juliet Nicolson (éd. Christian Bourgois)
Pepita, l’aïeule de l’auteure, était danseuse de flamenco; la grand-mère, Vita Sackville-West, poétesse et romancière, fut la maîtresse de Virginia Woolf. Une saga familiale et féminine encore plus haletante que la vie des Kardashian. L’élégance en plus.
5.#REALLIFE #CONSCIOUS #MALALA
«Là-bas ils n’ont rien, mais ce qu’ils ont de plus beau à t’offrir, c’est leur sourire.» Pour éviter de consterner vos followers avec ce genre de platitude digne d’une Lindsay Lohan en plein ego-trip humanitaire, il semble judicieux de se renseigner avant de se lancer à la rencontre des «vraies gens».
. Kinshasa jusqu’au cou de Anjan Sundaram (éd. Marchialy)
Le jeune journaliste indien raconte sa plongée dans la jungle urbaine de Kinshasa, en pleine guérilla. Plus Au cœur des ténèbres que Tintin au Congo.
. Cinquante grammes de paradis de Imane Humaydane (éd. Verticales Beyrouth)
En 1994, une valise mystérieuse, des destins croisés de femmes, un amant en Turquie, des échos de la Syrie des années 1970. Un jeu de piste éclaté au Moyen-Orient.
. Traque verte de Lionel Astruc (éd. Actes Sud)
Ce roman d’investigation très documenté raconte la guerre que mène l’État indien contre les paysans pour permettre aux multinationales de s’approprier leurs terres et d’exploiter leurs ressources. C’est sûr, ça change des ashrams à Goa.
6.#SOUVENIRS #INSOLITE #WTF
Dans vos placards s’entassent un stock d’amulettes en forme de pénis venues du Laos, un didgeridoo-chicha acheté en Australie, un komboloi qui donne l’heure, souvenir d’un été grec. Au rayon bizarreries et excentricités, voici de quoi bien remplir vos étagères.
. Animale machine d’Eleni Sikelianos (éd. Actes Sud)
Des jeux typo, des photos, un mélange de poésie et de prose. L’auteure américaine d’origine grecque compose un portrait-collage de sa grand-mère Melena dite «la Fille Léopard». Aucun rapport avec Jocelyne Wildenstein.
. L’Oubli de David Foster Wallace (éd. L’Olivier)
Dans ce recueil de nouvelles, on croise un prof psychopathe, une araignée de compagnie ou encore des considérations sur la valeur artistique du caca. Une expérience de lecture extrême et trippante.
. Double nationalité de Nina Yargekov (éd. POL)
L’héroïne amnésique se retrouve en jogging et diadème dans un aéroport. Dans son sac, deux passeports. Qui est-elle: française ou yazige? Un bijou de mindfuck.
7.#CUTE #KAWAI #30MILLIONSDAMIS
C’est tellement choupi d’immortaliser ce moment où vous embrassez un adorable petit capucin. Avec le bon filtre, on ne verra peut-être pas qu’il s’est oublié sur votre épaule. Heureusement, nos amies les bêtes n’ont pas le monopole du cœur (aka des plaisirs régressifs).
. Éloge de l’hypersensible d’Evelyne Grossman (éd. Minuit)
Marguerite Duras, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Louise Bourgeois… Ça ferait des super noms pour votre furet. Mais surtout, ces personnalités avaient en commun une sensibilité à fleur de peau dont elles ont fait un atout pour penser et créer. Quand kawaï rime avec Lol V. Stein.
. Neko Café d’Elsa Boyer (éd. POL)
Dans un Japon ébranlé par des secousses et hanté par des fantômes, «ce sont les chats qui guériront», promet la quatrième de couv’. Un livre aussi étrange et réconfortant qu’un bar à chats (neko café en japonais).
. Avant que tout se brise de Megan Abbott (éd. Le Masque)
Des gymnastes prêtes à tout pour une médaille, des parents névrosés, un meurtre… Soit la rencontre de Nadia Comaneci et de Stephen King pour un thriller qui se lit comme on regarde un épisode de Friday Night Lights, pyjama en pilou et bol de coquillettes inclus.
8.#SECRETPLACE #SEULAUMONDE #INTOTHEWILD
Quand certains rêvent de Club Med ou d’une grande maison à Belle-Île remplie d’enfants (#angoisse), vous donneriez tout pour un séjour dans un abri anti-atomique ou une retraite monastique au fin fond du Bhoutan. D’ailleurs, vous vous êtes fait tatouer sur
le bras gauche: «L’Enfer, c’est les autres.»
. Des hommes sans femmes de Haruki Murakami (éd. Belfond)
Des nouvelles du romancier japonais fan de jazz et de chats. Dans ce recueil, les hommes sont veufs, trompés ou largués ; les femmes se prennent pour des lamproies et possèdent un organe secret… La solitude à la sauce sexy chelou.
. De la simplicité! d’Henry David Thoreau (ed. Folio)
En 1845, le jeune Thoreau est parti vivre seul dans une cabane au bord d’un lac. Il a consigné son expérience dans Walden ou La Vie dans les bois. De la simplicité en offre un condensé. On n’a pas trouvé meilleur blog survivaliste et éco-friendly depuis.
. La Pièce obscure d’Isaac Rosa (éd. Bourgois)
Se couper du monde, d’accord, mais en gardant ses meilleurs amis avec soi. C’est ce que tente un petit groupe dans l’Espagne post-franquiste en transformant une pièce obscure en refuge à fantasmes. Claustros s’abstenir.