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PMA pour toutes: le long chemin de la France vers l'acceptation

L’avis du Comité national d’éthique favorable à l’insémination artificielle pour les femmes homosexuelles constitue une étape majeure dans une histoire vieille de quarante ans. Une histoire marquée par des avancées médicales et la quête de nouveaux droits dans le champ de la procréation. Après le surplace de François Hollande, la balle est désormais entre les mains d’Emmanuel Macron.

PHILIPPE DESMAZES / AFP
PHILIPPE DESMAZES / AFP

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Bien avant que le Comité consultatif national d'éthique se dise «favorable» à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ce mardi 27 juin, on peut faire commencer l'histoire il y a quarante ans de cela. Pour la première fois au monde, un biologiste et un gynécologue-obstétricien britanniques parvenaient à créer des embryons humains en dehors des voies génitales féminines. La planète allait découvrir l’existence d’un «bébé éprouvette» et l’expression «fécondation in vitro» qui, bien vite, allait devenir la FIV.

Fin 1977, après quelques centaines d’échecs, Robert Edwards (1925-2013) et Patrick Steptoe (1913-1988) allaient donner la vie à Louise Brown, dont la naissance allait ouvrir un nouveau chapitre de la médecine de la stérilité. Personne ou presque n’imaginait alors que cette prouesse thérapeutique bouleverserait le rapport à la procréation et serait à l’origine d’une quête de nouveaux droits.

Jusqu’alors, la médecine de la reproduction ne parvenait à prendre en charge (de manière palliative) que les stérilités masculines via la pratique de l’insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD). Soit du sperme congelé dans des centres spécialisés créés en 1973 par le professeur Georges David à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, soit du sperme frais obtenu (moyennant rétribution) auprès de jeunes hommes dans certains cabinets de gynécologues-obstétriciens.

Le temps de la morale

 

Au départ le mouvement fut assez lent. Après Louise Brown, il fallut quatre ans pour qu’une équipe française parvienne au même résultat spectaculaire. Ce fut Amandine, qui vit le jour en février 1982 à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart grâce au couple Jacques Testart-René Frydman réunis par le Pr Émile Papiernik (1936-2009). Grosse couverture médiatique et innombrables questions soulevées publiquement  à commencer par celle de la normalité des enfants ainsi créés.

Tout ceci n’échappa nullement à François Mitterrand, depuis peu président de la République: dès l’année suivante, il créait le Comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) d’emblée présidé (de 1983 à 1993) par un médecin-phare de l’époque: le Pr Jean Bernard (1907-2006).

«Le conseil des ministres, réuni mercredi matin 2 février 1982, a adopté un projet de décret créant un Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Composé de quatorze chercheurs, de quatorze représentants des courants philosophiques et spirituels et de quatre personnalités désignées par le président de la République lui-même, ce comité aura pour mission de donner son avis sur les problèmes moraux posés par les progrès scientifiques et technologiques. Il se prononcera sur les questions que lui soumettront les Assemblées parlementaires, les membres du gouvernement ou les établissements publics de recherche. Il pourra également se saisir de toutes questions faisant débat au sein de la population.»

Le 2 décembre 1982, installant solennellement cette nouvelle institution, François Mitterrand déclarait:

«Je souhaite que votre Comité réponde à une triple attente: celle des citoyens qui cherchent des repères dans les avancées parfois vertigineuses des sciences de la vie et de la santé; celle des chercheurs et des praticiens qui se sentent trop souvent seuls face aux conséquences gigantesques de leurs travaux; celle des pouvoirs publics qui ont besoin d'avis, de conseils ou de recommandations. (…) Plus vite va le monde, plus forte est la tentation de l'inconnu, et plus nous devons savoir prendre le temps: le temps de la mesure, le temps de l'échange et de la réflexion, c'est-à-dire le temps même de la morale.»

PMA: nouvelles recommandations

 

«En huit mois, la France avait découvert la congélation d'embryons humains, l'apparition de la pratique des femmes louant leur utérus moyennant finances, le déni de filiation infligé par un tribunal à un enfant né par insémination artificielle, les premières interventions sur des fœtus ou les prélèvements de leurs tissus, la polémique sur l'euthanasie et l'extension des diagnostics prénataux destinés à l'élimination des anormaux, qui interpellaient avec fracas les critères que l'on croyait immuables des droits civils et de la morale sociale», écrivait alors, dans Le Monde, le Dr Claudine Escoffier-Lambiotte (1923-1996). Pour autant ces différents sujets ne nourrissaient pas, alors en France, une revendication théorisée, une quête associative de nouveaux droits.

Trente-cinq ans plus tard, c’est le même CCNE (présidé par le Pr Jean-François Delfraissy) qui vient de rendre son avis n°126 consacré aux «demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP)».

«Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), autorisées à l’origine par la loi pour pallier une altération pathologique de la fertilité, sont sollicitées aujourd’hui pour répondre à des demandes sociétales, issues de situations personnelles (de couple ou non). Il s’agit donc de nouveaux usages de techniques qui existent mais qui dépassent le cadre actuellement prévu par la loi française.»

Que s’est-il passé entretemps? Un paradoxe veut que depuis vingt ans ans le CCNE ne soit plus jamais ou presque penché sur ces techniques. Il faut, pour comprendre, rappeler la volonté de François Mitterrand d’organiser, sous l’égide de l’ancien communiste Guy Braibant, un passage «de l’éthique au droit».

Anonymat, gratuité et bénévolat

 

On découvrit alors que les premières réflexions des «sages» réunis autour de Jean Bernard avaient ainsi clairement pour vocation de constituer un socle à partir duquel furent sculptées les premières lois de bioéthique, promulguées en 1994. Des lois forgées à partir de trois concepts-clefs: l’anonymat, la gratuité et le bénévolat.

Et, pour ce qui est de la PMA, des dispositions sans ambiguïté: de même que l’IAD conçue par le Pr Georges David, la FIV n’était comprise que comme une thérapeutique de la stérilité; une thérapeutique qui, de ce fait, ne pouvait être mise au service que d’un couple composé d’un homme et d’une femme en âge de procréer. Comme le rappelait, l'article L2141-2:

«L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué.»

Cette disposition législative était associée à une autre, économique et spécifiquement française: la prise en charge à 100% du coûts des actes de PMA par l’assurance maladie. Le CCNE avait justifié la position législative française en novembre 2005 dans son avis n°90 «Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation» (adopté à l’unanimité de ses membres moins une abstention).

«La loi française est formelle, exigeant la présence d’un homme et d’une femme, à l’origine du projet parental. Si l’AMP était ouverte aux personnes seules et/ou aux homosexuels, cela impliquerait une indifférence des donneurs de spermatozoïdes ou d’ovocytes, au destin de leurs gamètes qui pourraient être donnés à un couple hétérosexuel ou homosexuel ou à une personne seule sans choix préalable de leur part. La levée de l’anonymat qui serait éventuellement réclamée par des receveurs ou des donneurs volontaires dans une telle situation, introduirait paradoxalement une discrimination. [...]

L’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant.»

L'élection de Hollande, un appel d'air vite refermé

 

Douze ans plus tard (et après quatre années de réflexion), la position du CCNE a radicalement changé. Il considère désormais que l'ouverture de l’AMP à des personnes sans stérilité pathologique «peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles». Et, s’appuyant sur la reconnaissance de l’autonomie des femmes et la relation de l’enfant dans les nouvelles structures familiales, il propose «d’autoriser l’ouverture de l’IAD à toutes les femmes».

Cet avis n’est toutefois pas partagé par onze des trente-neuf membres du Comité (1), qui souhaitent, eux, que le statu quo soit maintenu.

Pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps pour un tel cheminement? Si, de fait, elles figeaient la situation les  lois de bioéthique de 1994 (toilettées en 2004 puis en 2011) n’expliquent pas tout. Il faut ici, pour comprendre, se souvenir de la polémique récurrente qui a émaillé le quinquennat de François Hollande. Le retour de la gauche socialiste au pouvoir en 2012 avait eu pour effet, comme en 1981, de donner une nouvelle dynamique aux aspirations et aux revendications «sociétales». Il s’agissait notamment de prolonger les avancées du Pacte civil de solidarité (Pacs) voté en 1999 sous le gouvernement Jospin et d’accéder au droit à un mariage pour tous.

Pour les associations militant en faveur des droits des femmes et des homosexuels, il était clair que le projet de loi prolongeant les avancées du Pacs inclurait l’accès des femmes seules et lesbiennes aux techniques de PMA. Certains imaginaient même que le nouveau pouvoir y associerait la dépénalisation de la pratique de la grossesse pour autrui. C’était compter sans les convictions personnelles de François Hollande et sans les oppositions croissantes suscitées, à droite, par le projet de loi «ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe» alors porté par Christiane Taubira, ministre de la Justice.

Macron en phase avec le comité

 

Le flou savamment entretenu dans la majorité présidentielle à compter de 2012 devait disparaître avec les explications officielles: la nouvelle loi n’inclurait pas l’ouverture de la PMA aux femmes homosexuelles. En contrepartie, François Hollande annonçait, en janvier 2013 (soit quatre mois avant la promulgation de la loi) qu’il saisissait le Comité national d’éthique de cette question. L’hypothèse, un moment envisagée par les associations militantes, d’inclure cette ouverture dans une loi sur la famille fut rapidement retoquée par le gouvernement; un gouvernement au sein duquel Manuel Valls faisait entendre haut et fort son opposition à toute forme d’initiative dans ce domaine devenu politiquement hautement sensible.

Interrogé à plusieurs reprises sur le sujet, François Hollande renvoyait à l’avis en cours d’élaboration du Comité national d’éthique. Au final, ce dernier aura mis quatre années (et changé de tête) pour répondre à la demande présidentielle. Et il apparaît aujourd’hui que sa réponse est en phase avec la position personnelle exprimée durant la campagne présidentielle par le candidat Emmanuel Macron. Le futur président se déclarait alors «favorable à une loi qui ouvrira la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires». Mais, en même temps, il ajoutait:

«Afin de ne pas réitérer les erreurs du passé, le calendrier de cette réforme sera soigneusement préparé. J’attendrais que le Comité national d’éthique ait rendu son avis pour pouvoir construire un consensus le plus large possible.»

Mais rien n’est jamais simple avec l’éthique. Et l’avis du CCNE ne constitue en rien un blanc-seing. Il demande notamment «que soient étudiées et définies des conditions d’accès et de faisabilité, notamment en distinguant la situation différente des couples de femmes et des femmes seules, en maintenant le principe actuel de gratuité des dons et en étudiant les modalités (remboursement refusé ou différencié) pour que l’assurance-maladie ne supporte pas les charges financières correspondantes».

Il souligne aussi que cette possible ouverture doit «être confrontée à la rareté actuelle des gamètes [spermatozoïdes de donneurs] qui risque de provoquer un allongement des délais d’attente ou une rupture du principe de gratuité des dons». Il met aussi en lumière, point majeur, le risque «de marchandisation des produits du corps humain».

Vers une nouvelle mobilisation sociale?

 

Reste ce qui a fait basculer sa position: la demande d’insémination artificielle avec donneur pour procréer sans partenaire masculin (en dehors de toute infécondité pathologique) s’inscrit «dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques d’AMP pour répondre à un désir d’enfant».

Et cette revendication doit être entendue quand bien même elle induira «une disjonction évidente entre sexualité et procréation, entre procréation et filiation»; et alors même qu’elle «modifiera profondément les relations de l’enfant à son environnement familial, en termes de repères familiaux, d’absence de père institutionnalisée ab initio». Qui plus est, elle fera «émerger plusieurs interrogations sur la relation des enfants à leurs origines, puisqu’en France le don est anonyme et gratuit, ou sur le fait de grandir sans père».

Et maintenant? Observera-t-on, au sein de la société française, une mobilisation équivalente à celle observée contre le mariage pour tous? Les associations aujourd’hui satisfaites de l’avis du CCNE risque-t-elle, demain, de déchanter face à la frilosité de l’exécutif? Quels enseignements Emmanuel Macron a-t-il tiré des affrontements sociétaux qui ont marqué le précédent quinquennat? Un quart de siècle après François Mitterrand il revient au président de la République française de reprendre le chemin qui mène de l’éthique au droit.

L’éthique? On peut retenir cette définition donnée en son temps à ses étudiants par le Pr Étienne-Charles Frogé, vice-président de la Société française de médecine légale: «L’éthique, c’est la morale en marche».

1 — Il s’agit de Mmes et MM Christiane Basset, Yves Charpenel, Sophie Crozier, Pierre-Henri Duée, Anne Durandy-Torre, Jean-Noël Fiessinger, Florence Gruat, Jean-Pierre Kahane, Frédérique Kuttenn, Dominique Quinio et Jean-Louis Vildé Retourner à l'article

 

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