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Pourquoi les États-Unis freinent l'action militaire de la France et de ses alliés africains au Sahel

Alors qu'Emmanuel Macron s'est rendu ce dimanche 2 juillet au sommet du G5 Sahel, le refus des Américains d'apporter un soutien actif au déploiement d'une force militaire conjointe contre l'activité terroriste pourrait minimiser son action sur le terrain.

Emmanuel Macron et son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta visitent les soldats français de la force Barkhane qui viennent en appui aux soldats maliens dans la région de Gao au Nord Mali. 19 mai 2017. Christophe Petit Tesson/AFP
Emmanuel Macron et son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta visitent les soldats français de la force Barkhane qui viennent en appui aux soldats maliens dans la région de Gao au Nord Mali. 19 mai 2017. Christophe Petit Tesson/AFP

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Après avoir échoué à placer sous mandat de l'Onu la force militaire conjointe du G5 (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), Emmanuel Macron a tenté de rassurer ses cinq partenaires sur le soutien de l'Hexagone et de l'Europe, à l'occasion du sommet de Bamako qui s'est ouvert ce dimanche 2 juillet au Mali.

Le 21 juin, à l'issue d'intenses négociations avec Washington, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé le déploiement d'ici la fin de l'année de cette force régionale africaine au Sahel, tout en se gardant de lui apporter le soutien financier nécessaire. Et pour cause, Américains et Britanniques se sont montrés réticents jusqu'au bout à débourser davantage. Comme l'indique Serge Michaïlof de l'Institut des relations internationales et stratégiques, il s'agit donc d'«une résolution symbolique». Et il incombe désormais à ces pays de se donner les ressources nécessaires dont ils ont besoin pour le fonctionnement de leur force.

Créé en 2014 par le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie et le Tchad –cinq pays sahéliens directement touchés par l'activité terroriste et la criminalité transfrontalière–, le G5 est une organisation régionale de coopération sécuritaire et de développement. En novembre 2015, ces pays ont mis en place une force conjointe de 5.000 hommes pour lutter contre le terrorisme. Sa mission? Sécuriser et pacifier la région, vaste bande de terre semi-aride au sud du Sahara, riche en ressources minières et énergétiques.

Bien que la France soit engagée depuis janvier 2013 au nord Mali, principal sanctuaire des djihadistes, la menace terroriste n'a pas faibli. Plus inquiétant, elle a gagné ces dernières années les autres pays ouest-africains de la région. Paris souhaitait initialement que le Conseil de sécurité accorde toute sa confiance à cette force militaire en lui donnant « tous les moyens [financiers] nécessaires pour faire face à la menace». Mais c'était sans compter sur l'intransigeance de la Maison-Blanche et de son commandant en chef.

Casse-tête budgétaire

 

Le budget prévisionnel de la force militaire du G5 a été évalué à environ 500 millions d'euros par an. Or, à maintes reprises, depuis l'arrivée de Donald Trump, la Maison-Blanche a clairement affiché son intention de réduire drastiquement la contribution américaine (7,5 milliards d'euros) au budget des opérations de maintien de la paix. La première victime de cette politique d'austérité a été la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco), fin mars. Celle-ci a connu une réduction de ses troupes et de son budget de fonctionnement.

Pour Washington, il est hors de question que la force du G5 soit greffée au budget des opérations de maintien de la paix. D'autant que la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) coûte déjà 900 millions d'euros par an à l'ONU.

Quant à la position de Londres, elle tient plus au «special relationship» que la Grande-Bretagne entretient avec les Américains. Ce qui la place systématiquement, selon Salim Chena, spécialiste des politiques de sécurité au Sahel et chercheur associé au laboratoire «Les Afriques dans le monde» (LAM), dans une position de soutien inconditionnel.

«Il ne faut pas perdre de vue non plus que la résolution est d'inspiration française, donc européenne. Les Britanniques sont actuellement dans une démarche de distanciation des positions de l'Europe.» 

À chacun son fardeau

D'évidence, la position de Londres et de Washington peut se justifier par des considérations géopolitiques. La zone sahélo-saharienne est essentiellement francophone et apparaît logiquement comme étant le pré carré de l'Hexagone. Comparé au Moyen-Orient ou à l'Asie du Sud-est, les Américains y ont peu d'intérêt même si l'importance du continent a été revue à la hausse notamment sous les présidences de Bush fils et de Barack Obama.

«Du fait de sa proximité avec la péninsule arabique et des bases militaires qu'ils y possèdent, souligne Salim Chena, la corne de l'Afrique demeure la première préoccupation des Américains. Le Sahel reste pour eux une zone secondaire.»

Dans son article, La Stragétie américaine en Afrique: les risques du light footprint, Maya Kandel, spécialiste de la politique étrangère et de défense des États-Unis à l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (Irsem), précise bien cette pensée. 

«L’Afrique, note-elle, est le laboratoire de la nouvelle approche dite d’empreinte légère [light footprint] et de leadership en retrait définie dans le document stratégique du Pentagone de janvier 2012 par “des approches innovantes et à faible coût”. Elle repose en particulier sur l’usage des drones, des forces spéciales et autres modalités discrètes d’intervention, l’importance de la surveillance, enfin l’appui sur les partenariats.»

Depuis 2005, Washington possède aussi son propre cadre de coopération dans la zone sahélo-saharienne à travers le Partenariat transsaharien contre le terrorisme. Ce programme inter-agences, composé du département d’État, de l’Agence américaine pour le Développement international (USAID) et du département de la Défense, est plus axé sur la formation et l'équiquement des armées. «C'est un service minimum. Ils y sont juste pour garder un œil sur ce qui s’y passe mais ils considèrent que la zone francophone relève essentiellement de la responsabilité des Français», analyse Serge Michaïlof.

De fait, cette situation contrarie Paris qui souhaite un engagement plus conséquent de ses partenaires dans la zone, alors que Washington concentre ses opérations dans la partie anglophone du continent.

Un général sénégalais et son homologue américain en discussion pendant l'inauguration de la base militaire américaine de Thiès à 70 kilomètres de Dakar (Sénégal). 8 février 2016. Seyllou/AFP

L'échec des opérations de maintien de la paix 

Outre le fait que les Américains sont devenus plus regardant sur le budget de l'ONU, la mauvaise réputation des forces de maintien de la paix ne plaide pas en faveur du G5 Sahel. Alors que la Minusma coûte chère, ses résultats sur le terrain ne sont aucunement satifisfaisants. On peut faire le même constat en RDC où malgré la présence de la Monusco sur le terrain depuis une dizaine d'année, la province du Nord-Kivu reste essentiellement une zone de non droit et de violence.

«Vous avez des contingents qui n’ont aucune motivation d’aller se battre à Kidal ou dans les autres régions du Nord-Mali. Au fond, personne ne peut compter sur cette force compte tenu de l'agressivité des groupes djihadistes», explique Serge Michaïlof.

Depuis le début de l'opération en juillet 2013, la Minusma a perdu près de cent soldats à la suite d'attaques djihadistes. À cela, il faut ajouter le «business» développé par certains États autour des missions de maintien de la paix.

Les États fournissent sur une base volontaire, les contingents dont les opérations ont besoin et la rémunération de chaque militaire est prise en charge par le gouvernement dont il relève selon son grade et le barème de rémunération applicable. Néanmoins, les État se font rembourser de leurs coûts par l'ONU sur la base d'un taux standard approuvé par l'Assemblée générale.

Au premier juillet 2016, cette somme était fixée à 1.010 euros le mois par soldat. Toutefois, les soldats africains dénoncent parfois le non-paiement partiel ou intégral du versement des sommes qui leur sont dues. Des délégués d'anciens casques bleus tchadiens qui étaient au Mali entre 2014 et 2016 ont récemment indiqué n'avoir perçu aucun frais de mission: ni salaire, ni prime.

Faut-il pour autant abandonner?

 

Pour Denis Tull, spécialiste des politiques d'intervention et opérations de paix à l'Irsem, on peut aisément comprendre la réticence et le malaise de certains pays occidentaux. «Rien n'empêche, insiste-t-il, les États du G5 de mettre en place une force commune. Ils n'ont nullement besoin d'un mandat de l'ONU pour cela. Ce qui les intéresse surtout, c'est d'avoir un engagement financier des bailleurs pour assurer de juteux per diem à leurs soldats.» Lui estime par ailleurs que les États sahéliens, à quelques execeptions près, ne montrent pas suffisamment de volonté dans leur lutte contre le terrorisme.

D'après Serge Michaïlof, le problème est que la plupart des pays du G5 sont étranglés financièrement de sorte qu'il leur est difficile aujourd'hui de financer leur force conjointe. «Un pays comme le Tchad, fait-il remarquer, a déjà des dépenses considérables en matière de sécurité [en 2015 par exemple sa dépense militaire est estimée à 5,3% du PIB contre 3,5% pour la France, ndlr].»

Le président tchadien Idriss Déby menace ainsi de retirer son armée des opérations militaires africaines s'il n'est pas soutenu financièrement. «Nous n'avons pas du tout été soutenus sur le plan financier, économique. Si rien n'est fait, si ca continue, le Tchad sera dans l'obligation de se retirer», a-t-il déclaré dans un entretien accordé à trois médias français dont Radio france internationale (RFI).

Tout en reconnaissant certaines griefs contre les États africains, Serge Michaïlof plaide pour la cause du G5. Selon lui, «remettre de l'ordre dans l'armée malienne est une tâche difficile. Essayer de rendre la Minusma efficace est une mission impossible. Par contre, si les 5.000 hommes du G5 sont bien encadrés et bien équipés par Barkhane et les autres partenaires européens, ils auront l'efficacité de l'armée française ou tchadienne pour venir à bout des groupes djihadistes de la région.» D'où l'appel lancé par la France à son partenaire allemand pour plus d'engagement dans le dossier sahélien.

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